Troie vaincue après dix ans de guerre est livrée aux vainqueurs qui ne se privent pas de piller, tuer et violer. Les Grecs vainqueurs se préparent à emporter en butin les femmes les plus illustres de la cité. Troyennes , la tragédie d’Euripide se situe du côté des vaincues, des femmes. A la souffrance de la mort de leurs époux et de leurs enfants s’ajoute celle de l’exil à venir loin de leur patrie. Soumises à la barbarie des vainqueurs, qui n’écoutant que leurs désirs et leurs passions n’hésitent pas à violer les règles divines en violant Cassandre et à sacrifier le jeune Astyanax, fils d’Hector et d’Andromaque en le jetant du haut des remparts, ces femmes font entendre leur souffrance. Chez Euripide, à la différence d’Eschyle, la responsabilité des Dieux n’est pas au centre de la tragédie non plus que la volonté de faire de ce drame un exemple, comme chez Sophocle. Troyennes , ce sont les horreurs de la guerre et le malheur des femmes auxquel le spectateur ne peut rester insensible.
Kevin Keiss propose une très belle adaptation du texte d’Euripide, avec une traduction qui lui garde son rythme et sa puissance. Il suit le découpage de la tragédie et chaque épisode est centré sur une des illustres Troyennes : la « vieille Hécube », veuve de Priam qui a vu mourir tous ses fils et sa fille Polyxène égorgée sur la tombe d’Achille et qui va devenir l’esclave d’Ulysse, Cassandre, sa dernière fille, prêtresse d’Athéna violée par Ajax, Andromaque la veuve d’Hector qui sera attachée à la maison de l’assassin de son époux et enfin Hélène par qui tout est arrivé. Chacune va livrer un moment de l’histoire, le jugement de Pâris, l’enlèvement d’Hélène, la ruse d’Achille et pleurer son malheur.
Comme dans les tragédies grecques, la mise en scène de Laëtitia Guédon accorde une place à la musique, au chant et à la danse. Blade Mc Ali M’Baye a créé une partition musicale qui mêle le slam et la beatbox. Le souffle amplifié des comédiens, la danse échevelée de Cassandre qui tournoie comme une ménade soulèvent l’effroi et la compassion chez les spectateurs. Si l’on peut regretter parfois une volonté de modernisation qui conduit la metteure en scène à faire d’Hélène une moderne Marylin victime de sa beauté, d’autres choix sont plus réussis, comme ce moment où Hécube et Andromaque partagent une cigarette en évoquant le bonheur passé et la peur de l’avenir, moyen de relier l’intime et l’Histoire. Des chaussons d’enfant jetés du haut d’un mur et c’est la douleur d’Hécube que l’on partage. Si tous les acteurs sont à leur place, on retiendra surtout Marie Payen qui incarne une Hécube bouleversante, tentant de garder une ombre d’espoir et de grandeur morale et Lou Wenzel qui campe une Cassandre émouvante.
Il y a dans ce texte la folie des hommes (« elle est belle la sagesse grecque, trembler devant un enfant ! » dit Hécube) mais aussi cette conclusion imparable « Les morts se moquent des beaux enterrements. Ne demeure que la fausse gloire des vivants ». Et la pièce nous donne à entendre, dans un texte écrit en 435 avant Jésus-Christ, la parole des vaincus de toutes les guerres, la parole de ceux qui n’ont plus de larmes pour pleurer en particulier celle des femmes.
Micheline Rousselet
Mardi, jeudi et samedi à 19h30, mercredi et vendredi à 20h30, le dimanche à 15h30
Théâtre 13 / Seine
30 rue du Chevaleret, 75013 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 88 62 22