
En juin dernier le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a mis en ligne des projets de programmes pour le cycle 3 et le cycle 4, conformément à une lettre de saisine de la ministre Nicole Belloubet en mars 2024. Le SNES-FSU s’est emparé de ses projets pour en fournir une analyse critique qu’il souhaite partager avec le Ministère comme avec la profession. Il va ainsi demander à ce que les concertations commencent dès cette année scolaire pour l’histoire-géographie, dont les programmes ont 10 ans et nécessitent donc une mise à jour.
De plus, repousser leur application à une échéance trop lointaine ne serait pas favorable : en effet, dans la perspective des échéances électorales de 2027, nous ne pouvons que craindre un contexte politique national défavorable à un renouvellement des contenus de l’histoire et de la géographie scolaires. Ces disciplines sont souvent victimes de polémiques et de manipulations médiatiques et subissent les fantasmes d’un certain nombre de personnalités politiques qui pourraient exercer une pression sur la conception de nouveaux programmes (comme ce fut le cas en 2015 !).
Toutefois, les projets de programmes du CSP nécessitent, avant leur mise en application, un allègement important, une plus grande cohérence ainsi que la disparition de biais idéologiques qui nuisent à leur pertinence. En effet, le groupe histoire-géographie du SNES-FSU a fourni un travail d’analyse critique de ces programmes. Les collègues consulté·es s’accordent pour reconnaître leur lourdeur excessive accentuée par leur caractère étroitement prescriptif.
Des partis pris discutables
Les textes souffrent de biais qui confinent au manque d’honnêteté intellectuelle, tant par l’absence de certains objets d’étude que par la manière de traiter des phénomènes comme le réchauffement global.
Par exemple, la Commune de 1871 ne figure pas dans les repères attendus en lien avec la naissance de la IIIe République, ou encore les révolutions russes de 1917 dans le chapitre sur la Première Guerre mondiale. Il est pourtant crucial d’étudier la Commune pour saisir la diversité des projets républicains à l’œuvre dans les années 1870. De même, il est incompréhensible que les révolutions de 1917 ne soient pas au moins mentionnées dans les textes, d’autant que le régime stalinien, lui, demeure dans le programme de 3e. Le constat est similaire pour les autres niveaux : le projet de programme de 6e réduit la préhistoire à la « révolution néolithique », pourtant remise en cause par les préhistorien·nes, et efface le paléolithique, période dont l’enseignement est pourtant apprécié, tant elle est importante pour aborder les questions de genre, ainsi que la notion d’altérité à travers les différentes humanités. En géographie les espaces agricoles, les acteurs et actrices, ou encore les départements et régions d’outre-mer sont absents, ou réduits à la portion congrue.
Le réchauffement climatique n’est quasiment jamais nommé (deux occurrences dans l’intégralité du programme de géographie, cycles 3 et 4 compris, trois si on prend en compte le terme « changement climatique »). En revanche, un autre terme est martelé, notamment dans tous les chapitres du programme de géographie de 5e : le développement durable, et avec lui les indéboulonnables « Objectifs de Développement Durable (ODD) » de l’ONU. Le « développement durable » est pourtant largement critiqué, scientifiquement comme politiquement, notamment parce qu’il vise à faire croire qu’il est possible de poursuivre un objectif de croissance économique tout en prenant en compte la préservation des ressources et les principales limites planétaires. Le GIEC a réaffirmé dans son dernier rapport que les activités humaines, et notamment celles ayant trait à la sphère productive, sont directement responsables de la crise climatique actuelle. En réalité, cette approche du réchauffement climatique par le biais des ODD vise à ne surtout pas remettre en cause des modes de vie et de production, et parfois même à les promouvoir. Le thème 5 du programme de 5e demande, par exemple : « Comment concilier exploitations terrestres et préservations des écosystèmes en Amérique du Sud ? », alors que les premières sont directement responsables de la disparition des deuxièmes. Si les enseignant·es se démarquent de cette approche malhonnête pour revenir à un peu de rigueur intellectuelle, les accusera-t-on de sortir de sortir de leur neutralité ?…
Une déconnexion des acquis de la recherche
Outre leurs biais et lacunes, les projets de programme semblent aussi datés, dépassés aussi bien scientifiquement que didactiquement en histoire comme en géographie. Le programme de 3e, par exemple, conserve la sempiternelle notion de « régimes totalitaires » depuis longtemps abandonnée par les historien·nes spécialistes des dits régimes (fasciste, nazi, et soviétique). Les acquis de la recherche en matière d’histoire des femmes et du genre sont dramatiquement absents, alors même qu’ils sont d’un grand intérêt quand on considère la dimension civique de l’histoire scolaire. En géographie, le thème 1 du programme de 4e propose une approche des inégalités spatiales par le « développement ». Or, la représentation et le découpage du monde en fonction des inégalités de richesse et de développement s’appuient sur une terminologie historiquement située. Cette dernière fait l’objet d’une réflexion scientifique (par exemple ici) qui doit irriguer la géographie scolaire. Au prétexte de rendre accessibles des savoirs à de jeunes élèves, la géographie à l’école ne doit pas tomber dans des excès de simplification qui aboutissent à une vision caricaturale du monde comme de la discipline géographique (réduite par exemple à l’acquisition de repères spatiaux). Les projets de programmes ont d’ores et déjà suscité une tribune critique de la part d’universitaires qui leur reprochent une “vision binaire et hiérarchisée du monde”.
Pour toutes ces raisons, le SNES-FSU compte bien faire évoluer l’écriture des futurs programmes d’histoire-géographie au collège dans l’intérêt des élèves et des collègues. Il pressera aussi le Ministère pour qu’aucun projet ne soit présenté aux éditeurs de manuels avant la fin de la discussion avec les organisations syndicales.