Nous concentrons ici notre analyse sur le projet de programme de seconde, qui semble assez abouti (histoire et géographie y figurent), tandis que nos informations sur le tronc commun de la voie générale en première et terminale sont très parcellaires.

Le programme de seconde et le peu que nous savons de ceux de première et terminale nous posent d’emblée quatre questions :
– celle de sa faisabilité, de sa lourdeur – dans le contexte global de la mise en place d’une réforme du lycée qui va profondément modifier nos conditions de travail ;
– celle de son articulation avec ce qui a été étudié au collège ;
– celle de la prise en compte du renouvellement des disciplines universitaires, des acquis de la recherche en histoire et géographie ;
– celle de la « saveur », de l’intérêt de l’histoire-géographie pour les élèves de lycée – ainsi que pour nous enseignant.e.s, en lien avec la possibilité d’exercer notre liberté pédagogique pour les mettre en œuvre.

Des programmes lourds

En seconde actuellement les programmes d’histoire et de géographie comportent respectivement 5 et 4 thèmes d’importance inégale (avec des indications horaires de 4 à 16 heures pour les traiter). Les projets reprennent cette organisation, avec un thème en moins en histoire (la Révolution française et le premier XIXe siècle « glissent » en première), mais la quantité de notions, souvent complexes, reste très importante. A titre d’exemple, on mentionnera le projet d’étudier Méditerranée antique et Méditerranée médiévale en 10 à 12 heures, évaluations comprises, qui plus est en début d’année. Il s’agit d’un volume horaire irréaliste. En arrivant en seconde les élèves qui sortent du collège découvrent nos classes à 35 élèves (voire plus), l’organisation du lycée, de nouvelles « capacités et méthodes » qui sont attendues à cette étape de leur scolarité (telles que la prise de notes par exemple), etc. L’entrée dans les apprentissages demande donc beaucoup de temps – et des conditions telles que des heures de cours en effectifs réduits : or rien ne garantit ces demi-groupes, tout dépendra de l’utilisation locale de la « marge » horaire prévue dans la réforme du lycée, qui doit servir à beaucoup d’autres choses (Accompagnement personnalisé, enseignements optionnels…)

On nous répondra sans doute que des programmes copieux sont des programmes ambitieux, qu’il est bon d’avoir cette ambition d’apporter à tous les élèves une culture commune la plus riche possible. Le Snes-FSU a toujours défendu l’idée que la démocratisation des savoirs ne devait pas se faire au prix de leur affadissement. Il est tout aussi nécessaire de concevoir des programmes FAISABLES dans le temps imparti et les conditions matérielles réelles des classes, faute de quoi la course permanente pour finir le programme conduit au survol, et à l’incapacité de faire réellement acquérir les notions et compétences propres à nos disciplines. Rédiger, étudier de manière critique des documents, des sources authentiques, argumenter à l’oral, construire croquis et schémas, tout ceci prend beaucoup de temps en classe.

Il convient de mentionner, pour terminer ce paragraphe, l’absurdité qu’il y aurait à adopter la même structure pour les nouveaux programmes des séries technologiques (d’après nos informations et en l’absence de tout document !) : l’horaire est de 1h30 par semaine pour 3h00 pour le tronc commun de la voie générale. De plus, les programmes actuels de ces séries, qui donnent du temps et de la liberté aux collègues, avec leur structure question obligatoire / sujet d’étude au choix, sont ceux qui donnent le plus satisfaction quant à leur volume.

Refaire la même chose qu’au collège ?

Le Snes-FSU a toujours défendu l’idée que les programmes du collège et du lycée devaient être conçus en complémentarité, pour éviter ces redondances qui lassent les élèves et empêchent d’aborder de nouvelles questions en tenant compte de la maturité de ces derniers, et de leur progression dans les apprentissages.

Force est de constater, d’après les projets dont nous disposons, que cette articulation n’est pas une priorité, sinon à travers les « capacités et méthodes » à acquérir, qui prolongent les compétences du cycle 4. D’après ces projets, sont remis en circulation des thèmes qui, problématisés de façon légèrement différente parfois, sont déjà vus au collège, en histoire comme en géographie, et à tous les niveaux (par exemple : Antiquité ou question des mobilités en seconde, 1ère et 2e guerres mondiales, guerre froide, au cycle terminal).
En soi, voir les mêmes objets d’étude à des âges différents n’est pas absurde, mais il serait judicieux d’en profiter pour aborder ces chapitres de manière différente. Cela ne nous semble pas être fondamentalement le cas. On le remarque entre autres en histoire pour les « points de passage et d’ouverture » en seconde qui reprennent souvent les mêmes dates, lieux et personnages sur lesquels on a insisté au collège.

Un programme qui ne tient pas compte de la vitalité de nos disciplines

Le programme actuel de seconde date de 2010, et avait été élaboré dans la précipitation de la mise en place de la réforme Châtel. Il est intitulé « Les Européens dans l’histoire du monde ». Le nouveau projet prétend faire comprendre aux élèves les « Grandes étapes de la formation du monde moderne » alors que, par exemple, Pékin à l’époque moderne, ou l’empire ottoman, en sont évacués. C’est une histoire du monde européo-centrée, qui n’a pas choisi d’intégrer dans un programme scolaire au moins quelques unes des problématiques introduites par ces nouveaux champs de la recherche que sont l’histoire globale, l’histoire connectée… En témoigne l’emploi du terme « grandes découvertes », avec les guillemets certes, révélateur d’une conception extrêmement datée de cette période et de ces événements historiques.

Le peu d’échos que nous avons sur les programmes de première et terminale est tout aussi inquiétant quant au manque de renouvellement historiographique. Si l’histoire scolaire n’est pas l’histoire universitaire et répond à des finalités propres, elles ne peut pas se concevoir complètement détachée de cette dernière, cela n’a d’ailleurs jamais été le cas. Les aller-retour entre les deux sont féconds, et permettent de nourrir la discipline scolaire à la fois sur le plan scientifique et quant à son rôle social, voire civique (formation de citoyens et citoyennes). Nous enseignons une discipline vivante, en prise avec l’actualité scientifique et la société de son temps.

Le manque de questions relevant de l’histoire sociale, de l’histoire des femmes, l’insistance sur des grandes figures plutôt que sur des groupes sociaux (dans les « points de passage et d’ouverture » en seconde) nous semble aussi symptomatique d’une conception très datée de l’histoire. En l’état de nos informations, l’immigration, dont on sait l’importance historique qu’elle représente dans la société et l’économie françaises, semble aussi avoir disparu du programme de première, mais le CSP affirme le contraire dans son communiqué du 16 octobre. Il ne tient qu’à lui de communiquer des documents de travail plus à jour, documents qui ont dû déjà parvenir aux éditeurs scolaires, afin qu’ils puissent commencer à travailler, avec ce calendrier intenable.

« En géographie le projet de programme est marqué par plusieurs nouveautés : la mobilisation régulière de la France dans l’ensemble des thèmes, l’étude de territoires dans leur complexité, une grande liberté laissée aux enseignants. » Nous reviendrons dans le paragraphe suivant sur cette liberté. Le fait que la France soit présente à travers chaque thème et non plus comme territoire étudié particulièrement pendant une année (en 3e, en première aujourd’hui) répond à des finalités civiques évidentes. « Dans le projet de programme, la mobilisation régulière de la France tout au long de la scolarité au lycée favorise la consolidation progressive des connaissances du territoire national, métropolitain et ultramarin. L’articulation avec les questions générales souligne l’inscription de la France dans l’Union européenne et le monde, et le lien entre ce qui est étudié et ce que les lycéens vivent. » Pourtant, qu’il nous soit permis d’émettre un doute sur l’appétence pour la géographie de la France que ce retour systématique, dans chaque chapitre, durant trois ans, peut créer chez nos élèves. En outre, le temps nous étant compté, tout particulièrement en première et terminale avec l’organisation des épreuves communes de contrôle continu, l’étude d’autres territoires à des échelles variées risque de se réduire à la portion congrue puisque la France est une question « spécifique ». Et ce n’est pas en incitant les élèves à constituer un « portfolio » tout au long de leur scolarité au lycée qu’on fait d’eux des citoyens et citoyennes actives, des acteurs et actrices qui mettent en rapport les disciplines scolaires avec leur vie quotidienne.

Pour finir, le programme de géographie en seconde mobilise la notion de « transition » (sans adjectif accolé) qui semble davantage politique que scientifique, les géographes universitaires ne l’employant pas ou peu, à la différence de : transition démographique, énergétique, alimentaire, urbaine, mobilitaire, etc.

Quelle marge de manœuvre pour des personnels experts de leur discipline ?

Il n’y a plus de chapitres au choix dans les projets de programme, contrairement à ce qui existe aujourd’hui en seconde, et dans les séries technologiques en première et terminale. Le Snes-FSU a souvent défendu l’idée que permettre ce choix était à la fois un moyen de contourner la difficulté de programmes pléthoriques, et une reconnaissance de l’expertise d’enseignant.e.s concepteurs et conceptrices de leur métier. De notre point de vue, cela n’est pas contradictoire avec l’acquisition d’une culture commune, et avec notre attachement à un baccalauréat national (ainsi que le montrent les épreuves actuelles des séries technologiques).
L’accent est mis sur la liberté des professeur.e.s de construire leurs cours en ce qui concerne la géographie. C’est à dire qu’ils peuvent choisir leurs exemples (des exemples précis, permettant aux élèves d’avoir des repères spatiaux – ce qui n’est pas une nouveauté !) De même, il revient aux professeur.e.s de choisir la démarche de l’étude de cas, ou non (actuellement en seconde l’étude de cas est une obligation sauf pour le premier chapitre de l’année).

Mais ce n’est pas la même chose en histoire. Les « point de passage et d’ouverture » sont obligatoires, si nous comprenons bien, et, dans le temps imparti, il sera difficile de développer d’autres exemples que ceux imposés.
Ces nouveaux projets de programmes nous semblent plus prescriptifs, directifs, quant aux pratiques de classe (ils insistent par exemple sur le récit structurant de l’enseignant.e). Surtout, il convient d’envisager la liberté pédagogique, que le Snes-FSU défend en tant que constitutive de notre métier, en fonction non seulement des programmes, mais de toute la réforme du lycée. Quelle liberté aurons-nous, alors que nous serons pressés par le temps, dans des conditions d’enseignement dégradées par les pertes d’heures (rappelons la volonté de supprimer 2600 postes dans le second degré à la rentrée 2019) ? Quelle liberté nous restera-t-il alors que nous devrons suivre la même progression dans chaque établissement pour les épreuves communes de contrôle continu en première et en terminale ?

Conclusion : faire bouger les programmes

Les quelques éléments d’analyse exposés ici seront bien sûr affinés au moment de la publication officielle des projets du CSP (d’après nos informations le débat et le vote interne sur l’histoire-géographie aura lieu le 24 octobre). Les enseignant.e.s seront consulté.e.s du 5 au 18 novembre. Le Snes-FSU utilisera tous les moyens à sa disposition pour faire entendre la voix de la profession et obtenir des programmes tout à la fois ambitieux, réalisables, en prise avec la grande diversité de nos classes et de nos élèves, et avec les avancées de la recherche.

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