Pas de justice, pas de paix !

Une résonance inattendue d’un sujet de bac ?

Les sujets de la voie générale :

Le premier sujet de dissertation (« Le bonheur est-il affaire de raison ? ») était relativement classique et a été majoritairement choisi. Il permettait aux élèves ayant travaillé de mobiliser assez facilement leur cours. Pour autant, on ne pouvait répondre correctement à la question en récitant simplement un cours ou une vidéo trouvée sur les réseaux sociaux, puisque les élèves devaient croiser leurs connaissances sur le bonheur avec la question de la raison (être raisonnable et être rationnel), ce qui supposait une ré-élaboration personnelle de leurs connaissances. Le second sujet de dissertation (« Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ? ») était quant à lui plus original et demandait une plus grande part de réflexion personnelle, puisque « la paix » n’est pas une notion du programme de philosophie. Pour autant, il n’était pas totalement hors de portée des élèves, qui pouvaient utiliser leur cours sur la justice et s’appuyer sur leurs connaissances pour réfléchir à des événements d’actualité (la guerre en Ukraine en particulier, mais aussi la question de la « paix sociale ») ou nourrir leur réflexion par des croisements interdisciplinaires, en réinvestissant des choses vues en HLP, dans un cours sur « histoire et violence », ou en HGGSP, dans un cours sur « faire la guerre, faire la paix », ou tout simplement des choses vues en tronc commun en histoire. En somme on avait deux sujets de dissertation faisant appel à des qualités différentes : un sujet pour élèves scolaires et un sujet pour élèves rusés ; ce qui est plutôt une bonne chose.

En revanche le texte de Levi-Strauss opposant l’ingénieur et le bricoleur était moins satisfaisant. Non parce que le texte était difficile (c’est plutôt une bonne chose que le texte soit difficile à comprendre pour éviter que les élèves les moins travailleurs puissent réussir à l’examen sans avoir travaillé durant l’année), mais parce qu’il était d’une difficulté trop homogène, si bien que presque tous les élèves comprenaient certains passages et que presque tous échouaient sur d’autres passages. Au contraire, un texte est bien choisi lorsqu’il offre une gradation de difficultés, permettant aisément aux correcteurs de hiérarchiser les copies entre 7 et 14. De plus, le texte était très difficile à problématiser et les élèves pouvaient très difficilement trouver dans leurs cours des éléments permettant de le commenter.

Les sujets de la voie technologique :

Le premier sujet (« L’art nous apprend-il quelque chose ? »), bien que peu choisi eu égard à sa difficulté, a donné lieu à quelques bonnes copies (parmi notamment la série STD2A) s’interrogeant sur la relation entre « l’art » et « la vérité » (deux notions du programme, bien que la seconde soit implicite dans la formulation du sujet). Le deuxième sujet (« Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ? ») a souvent été l’occasion de copies un peu superficielles, énumérant des exemples plus ou moins « écolos ». Ce sujet permettait pourtant de mobiliser des connaissances précises en mettant en relation trois notions du programme : « la nature » qui oppose à « la liberté » de multiples contraintes, mais aussi plus subtilement « la technique », par laquelle l’homme transforme la nature, au risque d’ajouter – mais là était le débat – de nouvelles contraintes. La correction permettait ainsi de discriminer les copies, selon que le problème de la technique – terme également absent du sujet – était aperçu ou non.

Le texte d’Adam Smith avait l’apparence trompeuse de la facilité, suggérée par un exemple simple à appréhender. L’option n°2 a été peu choisie (explication de texte affranchie du questionnaire), donnant lieu à des copies souvent condamnées à la paraphrase. Les correcteurs ont à nouveau eu du mal à discriminer les copies, pour autant que la relation avec « la justice » (au programme) et la question de la légitimité et de la progressivité de la peine, était difficile à appréhender, le droit (et a fortiori le droit pénal) n’étant pas au programme. On retrouve à nouveau une ambiguïté dans les copies sur la question C qui annonce un « commentaire », le plus souvent indifférent au texte sur lequel il est censé s’appuyer. Gageons que la culture du commentaire finira par entrer dans les esprits, au prix probablement de nouveaux ajustements dans la formulation du sujet 2024.

Le niveau des copies :

Quant au niveau des copies, il semble qu’il ait légèrement baissé par rapport aux années précédentes, sans s’être effondré comme on avait pu le craindre. Toutefois, cette baisse est difficile à mesurer objectivement (il faudrait pour cela pouvoir comparer les copies de nos élèves avec d’autres élèves traitant les mêmes sujets sans avoir passé les épreuves de spécialité en mars et servant d’échantillon témoin). Il est certain que les élèves de 2023 ont globalement nettement moins travaillé entre avril et mi-juin qu’avant le bac Blanquer ; pour autant dans l’ancien bac ils devaient réviser toutes les matières et pour une majorité d’entre eux, réviser la philosophie n’était pas la priorité. Par conséquent, bien que le niveau des copies de l’épreuve de philosophie semble avoir assez peu baissé, cela n’enlève rien au fait que le calendrier aberrant du baccalauréat actuel et la démobilisation générale qu’il entraîne enverront dans l’enseignement supérieur des élèves moins bien formés qu’avant.

Par ailleurs nous saluons l’utilisation de copies test nationales que les collègues peuvent lire avant les réunion d’entente (ce qui toutefois n’a pas toujours été le cas) et consulter durant tout le temps de la correction. Cela nous aide à harmoniser la notation. En revanche nous continuons à déplorer la numérisation des copies qui nous contraint à travailler sur des écrans durant de longues heures, ce qui fatigue la vue et ralentit la correction (car on annote plus vite une copie à la main). De plus, d’un point de vue écologique, nous nous demandons si la numérisation des copies n’entraîne pas une dépense d’énergie supérieure à l’ancien transport des copies papier. La correction en ligne semble donc offrir bien peu d’avantages, sauf à n’en retenir que l’intérêt administratif de gestion des copies et de … mise au pas des correcteurs. Enfin nous continuons à réclamer un temps de correction permettant de ne pas aller au-delà de 12 copies par jour ouvré. D’où la nécessité d’avancer l’écrit de philosophie, comme le signale, entre autres, cette motion rédigée par les professeurs de l’académie de Lille.

https://lille.snes.edu/Revendications-des-professeurs-de-philosophie-de-l-academie-de-Lille.html )

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