
Face à la pénurie d’enseignant·es : la dernière trouvaille du rectorat de Dijon
Nul doute que les équipes du rectorat de Dijon ont longuement phosphoré afin de créer leur “marque employeur” pour reprendre le vocabulaire en vogue dans l’Éducation nationale. Une académie “audacieuse et engagée” vantent les documents officiels. Effectivement, l’audace à la lecture de la solution envisagée face au manque annoncé de professeurs de lettres pour la prochaine rentrée. En effet, les premiers chiffres d’admissibilité aux concours 2025 laissent présager d’une nouvelle année avec des postes perdus : 1,05 admissible par poste au CAPES de lettres modernes… (article “concours 2025, quand la crise d’attractivité s’enkyste”)
Qu’à cela ne tienne, le rectorat de Dijon est bien décidé à anticiper.
L’idée : proposer une attestation “enseigner le français” pour les professeurs d’une autre discipline qui souhaiteraient prendre en charge cet enseignement. Une commission sélectionnera les dossiers des enseignant·es volontaires en ayant à l’esprit “que les candidats ne sont pas des spécialistes de la discipline et se trouve donc dans une démarche d’ouverture à un nouveau champ disciplinaire”.
Pour obtenir le précieux sésame : un dossier avec le CV, des expériences d’enseignement “éventuellement en lettres” (rappelons ici qu’il s’agit d’enseigner le français) et “tout autre élément tangible marquant l’intérêt du candidat pour la discipline français”, puis un oral composé d’un exposé et d’un entretien.
Ainsi, il suffirait donc de montrer un intérêt pour une discipline, sans être spécialiste mais en étant ouvert à un nouveau champ disciplinaire. Finalement, il suffirait donc d’avoir fait quelques séjours au Royaume Uni, d’avoir lu Shakespeare pour avoir une attestation “enseigner l’anglais” ? Quel mépris pour nos métiers mais aussi les élèves et leurs familles !
Lire le courrier du SNES Dijon aux IPR de l’académie “Enseigner le français est un métier. Non à l’attestation complémentaire”
L’Education nationale, plus grande enseigne de bricolage du pays
Force est de constater que depuis 2017, les ministres qui se succèdent (et ils ont été nombreux) ont rivalisé d’imagination pour trouver la solution (en dehors de la revalorisation de tous les personnels et d’une amélioration de nos conditions de travail) pour faire face à la crise d’attractivité.
Pour avoir un “professeur devant chaque classe à la rentrée”, mantra de tout ministre qui prépare la rentrée, c’est le rectorat de Versailles qui avait dégainé le premier inaugurant les pratiques du job dating. Un entretien de 30 mn, quelques jours de formation avant la rentrée, et voilà collègues lancés dans le grand bain…mais sans bouée. Nombreux sont celles et ceux qui abandonneront quelques jours, semaines ou mois plus tard, faute de formation et d’accompagnement par l’institution.
Depuis, les mauvaises idées s’enchainent : remplacement en visio dans les académies de Nancy, Marseille et Lyon, petites annonces sur Facebook, appels aux bonnes volontés (“si vous connaissez quelqu’un qui a une licence de maths et un peu de temps libre”…), parents qui s’improvisent professeurs, une députée se propose pour faire un remplacement et appel à des retraité·es parce que comme le dit si bien Nicole Belloubet “qui ne tente rien n’a rien”.
La 7eme puissance mondiale bricole, participant ainsi à la dévalorisation de nos métiers, et sans jamais résoudre véritablement la situation puisque tous les ans, et encore en 2025, des élèves auront passé des semaines, voire des mois, sans professeurs dans certaines disciplines.
Les fausses solutions du ministère
Pas de mesure de revalorisation des rémunérations de toutes et tous, blocage des carrières, gel du point d’indice, dégradation des conditions de travail en raison des suppressions d’emplois alors même que les effectifs augmentaient…les gouvernements successifs ont tout fait pour miner l’attractivité du métier enseignant.
Se gardant bien d’admettre que la faiblesse des salaires et la dégradation des conditions de travail, surtout à l’entrée dans le métier, expliquent la crise de recrutement, Elisabeth Borne fait le choix de placer le concours en milieu de licence 3, soit 2,5 ans après l’obtention du bac Blanquer ! Cette réforme abaisse les exigences disciplinaires du métier de professeur·e dans le second degré et réduit l’enseignant·e à un rôle d’exécutant·e lui niant, d’une certaine manière, le droit et la capacité à penser son métier, à réfléchir, à construire sa pratique au quotidien, à la fois par une base solide disciplinaire et didactique. Alors même que les défis auxquels nous sommes confrontés au quotidien, dans nos pratiques pédagogiques et dans nos classes, sont multiples. Qui peut croire que c’est ainsi que nos métiers redeviendront attractifs ? Le SNES-FSU s’oppose à cette réforme qui remet en cause l’identité professionnelle des CPE et professeur·es du second degré.
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Mais toutes ces mesures ont un point commun : elles laissent croire qu’enseigner est un métier qui peut s’improviser, sans formation de qualité.
Par ailleurs, en mettant bout à bout l’ensemble des réformes et mesures qui se mettent en place (réforme de la formation initiale qui affaiblit l’assise disciplinaire du métier, recrutement en mode job dating sans formation, recours à l’IA, promotion de prétendues bonnes pratiques à travers des outils standardisés), la logique d’ensemble est claire. Pour faire face à la pénurie d’enseignants, il s’agit de créer des viviers de personnels peu qualifiés, mais interchangeables, pouvant prendre en charge divers enseignements, avec des outils prédéfinis. Une attaque en règle contre notre professionnalité, mais aussi l’assise disciplinaire du métier d’enseignant du 2d degré.
Urgence pour le 2d degré !
Plus largement, tout montre que le second degré est à un point de bascule : ses métiers, ses ambitions, son organisation sont menacés par des changements structurels qui pourraient en redessiner complètement les contours, ce qui ne serait pas sans conséquence pour notre société et la démocratie. Peut-on se satisfaire d’un second degré où les personnels sont réduits à un rôle social d’exécutant ? Peut-on se satisfaire d’un second degré qui trierait les élèves, les assignerait à leurs positions, minant toujours plus notre modèle social ? Nous ne nous y résignons pas car le SNES-FSU porte un projet ambitieux pour le second degré, ses personnels et ses élèves.
Le SNES-FSU lance ainsi une grande campagne « Urgence pour le second degré ». Après les mobilisations du début du mois de mai, le travail de décryptage et d’information se poursuit (stages, heures d’informations syndicales, etc.) avant de nouvelles initiatives d’ici la fin de l’année scolaire !