Pour faire bonne mesure, le ministre avance au passage quelques éléments sur le lycée, essentiellement de communication, et sur l’école primaire, que nous ne commenterons pas ici.

Avant d’analyser ces multiples annonces, il est nécessaire de préciser en préalable quelques éléments de contexte sur les résultats des diverses évaluations qui servent à G. Attal pour déployer sa politique.

Covid et PISA, éléments de contexte

Les biais bien connus des évaluations PISA et les tendances de fond sont bien entendus totalement occultés par G. Attal, qui évite de rappeler que les items PISA sont relativement en décalage avec les attendus des programmes français, car tournés vers l’automatisation de techniques standard, la reconnaissance de situations-type, sans mesure de la capacité à argumenter), et destinés à mesurer des connaissances et des aptitudes « utiles » que les individus auraient avantage à posséder pour leur vie future, et non pas la maîtrise par les élèves de leur programme scolaire. Il passe surtout sous silence et surtout que l’ensemble des pays de l’OCDE connaît une baisse tendancielle de fond des résultats en mathématiques, accélérée cette année (graphique ci-dessous) : ce n’est pas qu’un problème franco-français, loin de là, et par exemple l’Allemagne – qui a entrepris une rénovation profondes de ses programmes et méthodes d’enseignement selon les normes PISA – décroche encore bien davantage.


Pour autant, l’enquête PISA confirme la polarisation des résultats (des bons élèves toujours meilleurs, des élèves en difficulté toujours plus à la peine) et l’accroissement des inégalités, toujours très corrélées au milieu social des élèves, ce que montraient les évaluations de rentrée du MEN depuis plusieurs années, celle de cette année ne faisant pas exception : les choix de politiques scolaires à l’oeuvre depuis 6 ans produisent donc des effets concrets, que PISA vient confirmer.
Rappelons enfin pour finir que les pays qui réussissent le mieux aux évaluations PISA (Singapour, Corée, Japon) sont ceux où la pression sociale à la réussite des élèves en mathématiques est la plus forte, une sélection intense dès les premières années de la scolarité, et le développement de cours complémentaires (payants, et donc très inégalitaires en fonction des revenus des parents), qui entraînent aussi des pathologies liées au stress en fort développement, et ce, dès le plus jeune âge : est-ce vraiment le modèle d’école à laquelle aspire notre pays ?

L’effet Covid, d’abord, est encore présent dans les apprentissages des savoirs, en raison de la nature cumulative des apprentissages. G. Attal semble avoir oublié que rien n’a jamais été fait en termes d’investissement comme de mesures d’urgence pour réparer les dégâts d’une période particulièrement difficile. La remise en cause dans pratiquement tous les collèges des possibilités de dédoublements depuis des années n’a pas favorisé non plus les apprentissages en mathématiques qui a provoqué une baisse des résultats aux évaluations conduites par le MEN. La dernière livraison de la DEPP sur les évaluation d’entrée en Seconde montre d’ailleurs (graphique ci-dessous) une progression des performances des élèves en trompe-l’œil, puisqu’elle ne font que retrouver le niveau d’avant Covid.

Mais G. Attal ne se soucie guère du contexte d’enseignement des mathématiques ou des mesures des résultats des élèves. Ou plutôt, il prend opportunément prétexte de certains éléments soigneusement choisis et répétés depuis plusieurs semaines (des évaluations de 4ième ne permettant aucune comparaison puisque réalisées pour la première fois ; des extrapolations sur des mesures opérées sur une ou deux questions, etc.), pour dérouler, sans analyse de la situation réelle et de ses causes, notamment depuis 6 ans, un programme de vielles recettes éculées et réactionnaires, qui renvoient à un modèle d’école qui organisait essentiellement le tri social le plus brutal au cours du XX-ième siècle et auquel le pays a renoncé il y a 50 ans. En matière de projection vers l’avenir, on a vu mieux !

Collège : le grand bond en arrière

La principale mesure concernant les mathématiques est la mise en place de groupes de niveaux de niveau sur la totalité du collège, en étendant ce qui a commencé à se mettre en place à la rentrée en Sixième. En conférence de presse, le ministre a reconnu s’ « appuyer sur la science et le bon sens ». Manifestement, il n’a pas lu les travaux des chercheurs qui dressent de manière unanime l’échec de cette pratique à faire réussir tous les élèves. Bien au contraire, faire des groupes de niveau, c’est entériner les inégalités existantes, les amplifier, et stigmatiser définitivement les plus faibles pour finir de les enfermer dans une voie toute tracée, qui ne leur laissera aucune échappatoire. Au passage, le ministre assume de retirer des enseignements autres que le français et le mathématiques aux élèves les plus faibles dans ces deux disciplines, les privant au passage de ce qui sont parfois les seuls moments où ils peuvent parfois se sentir moins en échec, ou découvrir d’autres univers que celui de leur difficulté. Il assume surtout que ces élèves soient placés durablement sous régime d’exception, les privant d’une possible dynamique de classe, et matérialisant clairement leur relégation. Notons pour terminer que ces dispositions « flexibles » sont prévues pour être bornées dans le temps, ce qui va poser la question de la multiplication des temps consacrés à l’organisation de ces groupes.

Ces groupes de niveau seraient constitués sur la base d’évaluations nationales de début d’année et de tests de positionnement fournis par le ministère. Dans un tel cadre, il est illusoire de penser que les professeurs pourraient dévier d’un pouce de la réponse permanente à l’injonction qui leur sera faite de valider les items des tests, quelles que soient par ailleurs les rédactions des programmes… La volonté affichée – mais c’est un pur affichage, car le ministre cherchait surtout un prétexte – de répondre aux résultats PISA ou des évaluations de la DEPP, peut ainsi rapidement conduire à un appauvrissement des pratiques de classe, en les cantonnant à un enseignement plus tourné vers l’automatisation de techniques standard, à la reconnaissance de situations-type, au détriment du sens, de la capacité à argumenter, bref à une ambition assumée d’autonomisation et d’émancipation des élèves.
Pire, le ministre assume totalement dans son courriel à la profession d’accroître les inégalités de résultats des élèves en évoquant « nos élèves ayant le meilleur niveau et la plus grande appétence, [qui] y verront l’opportunité de s’envoler, en allant plus loin encore que le programme »1 . Preuve, s’il en fallait une, que la réussite de tous les élèves est bien le cadet de ses soucis. Pourtant, de telles dispositions ne peuvent qu’empirer les résultats révélés par PISA et le creusement des inégalités scolaires, de manière encore plus rapide.

Il est en outre impossible de ne pas prévoir la suite, et notamment les désorganisations qui ne pourront que se produire : mises en barrettes ; explosion du groupe-classe ; compositions et recompositions des groupes à plusieurs reprises dans l’année scolaire, etc. Sur ce point, les constats largement dressés sur le terrain dans les cadre de la mise en place du soutien-approfondissement mis en place en Sixième sur seulement 2 heures à cette rentrée, ne peuvent manquer ressurgir, , et seront forcément amplifiés par les volumes horaires concernés : rigidité et contraintes sur les emplois du temps ; charge de travail induite pour l’organisation des groupes ; etc. La question du financement des groupes réduits à 15 élèves pour les plus faibles va également se poser, dans un contexte de perte de l’ordre de 500 postes au niveau national à la rentrée 2024.

Nouveaux programmes, manuels estampillés EN

Confirmant indirectement qu’il met en oeuvre une véritable réforme du Collège, le ministre annonce la mise en place de nouveaux programmes de mathématiques (à la rentrée 2025 en Sixième, à la rentrée 206 pour les autres classes du collège). Aucune indication à ce stage, mais on peut sans doute avancer – et craindre pour les concepteurs de contenus pédagogiques que nous sommes au plan statutaire – qu’ils introduiront une pédagogie officielle, très probablement basée sur la « méthode de Singapour ».

Nouveauté affichée (mais cette mesure figurait en fait déjà dans les préconisations du plan Villani-Torrossian), avec une entrée en vigueur pour la rentrée 2026 (2025 pour la Sixième) : la labellisation des manuels de mathématique (au collège comme au lycée), pour décerner les bons et les mauvais points aux éditeurs. La mise au pas pédagogique passe donc aussi par des méthodes qui n’ont rien à envier à des régimes autoritaires …

Vous reprendrez bien un petit coup de Labo …

Pour faire bonne mesure, G. Attal y ajoute d’une part une incitation au développement des Labos de Mathématiques, reprenant de manière opportuniste une mesure mise en avant par le rapport Villani-Torrossian. En précisant qu’il veut les déployer dans le cadre des fonds du Conseil National de la Refondation, le ministre acte qu’ils constitueront d’abord une charge de travail supplémentaire… La mesure, ancienne, qui pourrait représenter un intérêt s’il s’agissait d’en faire des espaces d’échanges de pratiques libres sur des problématiques de métiers définies par les collègues, pourrait bien s’avérer un redoutable espace pour finir de contraindre les pratiques pédagogiques. Cela est cohérent avec sa volonté d’imposer la « méthode de Singapour » d’enseignement des mathématiques, qui devient la nouvelle norme pédagogique qui va tendre à s’imposer à toutes et tous, tout le temps.

Au lycée, Singapour, toujours …

Au lycée, même si cela ne transparaît pas fortement dans les annonces du ministre, la volonté est également celle d’une transformation des pratiques enseignantes, notamment en y promouvant aussi la « méthode de Singapour », au détour de quelques phrases relatives à une nouvelle épreuve de mathématiques.

Une mesure totalement artificielle en Seconde

Au lycée, la première innovation est l’introduction d’un logiciel, gonflé à l’Intelligence Artificielle, pour l’accompagnement individuel des élèves (soutien ou approfondissement des élèves. Déjà dans les cartons de C. Villani, qui pilotait en 2018 une commission sur le sujet, cette mesure tourne le dos à l’accompagnement humain des élèves au profit de la machine. Annoncée deux jours après que le ministre se soit plaint à grand renfort de campagne médiatique de la « catastrophe sanitaire » induite par la trop grande fréquentation des écrans, la mesure ne manque pas d’ironie … Elle vise aussi à développer un filon que des éditeurs ne manqueront pas de chercher à monétiser, dans une démarche mondiale de marchandisation de l’Ecole : ce sont nos élèves qui seront les cobayes des start-up françaises tentant de s’imposer sur ce marché mondial, et annoncé colossal en termes de profits attendus…

Surprise et improvisation en Première

Enfin, l’annonce surprise d’une épreuve en fin de Première générale et technologique (sous la forme d’une épreuve anticipée du baccalauréat, dont la première session serait en 2026) se distingue par son imprécision : annoncée comme épreuve portant sur l’enseignement scientifique, elle a été présentée à la presse comme épreuve de mathématiques, adaptée aux divers parcours des élèves en mathématiques (selon qu’ils ont suivi la Spécialité ou pas, et selon la place occupée par les mathématiques dans les filières de la voie technologique ?). On en saurait mieux décrire le brouillard qui l’entoure pour le moment, même si le dossier de presse annonce une épreuve « permettant de teste la capacité des élèves à comprendre les principaux objets mathématiques indispensables à tous, à résoudre des problèmes fondés sur des données et à construire un raisonnement logique [ … et … ] nécessitera de revoir la pédagogie des mathématiques au collège et au lycée » : tout un programme !

Cette mesure signe, en tout cas dans la voie générale, la volonté ministérielle de ne pas proposer de mathématiques à tous les élèves, excluant par là même pour le moment la possibilité du retour des mathématiques dans le tronc commun de Terminale. Quand à la voie technologique, quels sera l’investissement en Terminale des élèves qui n’y auront plus que les mathématiques du Tronc commun, et, pour les autres, et quelle en sera l’articulation avec l’épreuve de Spécialité Sciences-Physique – Mathématiques ? Mystère, à ce stade, épais, vu le cafouillage dans l’annonce de cette mesure manifestement pas totalement anticipée : décidément, il semble être dans l’ADN du lycée depuis J.M. Blanquer ne se construire que dans l’improvisation…

  1. Extrait du courriel à la profession, 05/12/23 ↩︎
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