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Florilège de témoignages
Témoignage n°1 : Comment survivre à une réunion de formation sur le collège – Blog de Monsieur Samovar
Témoignage n°2 : Formation #college2016, Journées « Université d’Automne » des 19 et 20 octobre / académie de Paris
Témoignage n°3 : Collège Jas-de-Bouffan – Aix-en-Pce – 9 décembre 2015
Témoignage n°4 : Collège de Corsac, Brives Charensac – 4 novembre 2015
Témoignage n°5 : Formation de bassin Nancy – Mercredi 2 décembre
Témoignage n°6: Charente-Maritime : “Un samedi matin au collège : EPI sait tout ? EPI c’est tout !”
Témoignage n°7: Collège Bugatti à Molsheim 67 – 4 décembre
Témoignage n° 8 : Le SNES-FSU Marseille le 21 janvier 2016

Témoignage n°1 – Blog de Monsieur Samovar : Comment survivre à une réunion de formation sur la réforme du Collège

Le 20 octobre 2015

6h20 : La sonnerie de mon réveil m’arrache à un rêve mettant en scène Sigourney Weaver et une douzaine de pancakes. Alors que je me maudis d’avoir oublié de déprogrammer la diabolique machine durant les vacances de la Toussaint, je me rappelle que ma conscience professionnelle et mon masochisme m’ont poussés à accepter la réunion dont j’ai parlé en termes éloquents ci-dessous. C’est marrant comme le lyrisme s’évanouit quand on ne sait pas vraiment où se trouve son visage au petit matin.

7h45 : Je prends le métro en essayant d’ignorer le vol de corbeaux qui ricane autour de moi.

8h45 : Arrivée sur les lieux de la formation avec un collègue que j’ai réussi à convaincre de m’accompagner et que, pour garantir son anonymat, nous appellerons Nightwing, qui est quand même le sidekick le plus classe de Batman. (non, ça ne fait pas de moi Batman. Ou alors celui joué par Adam West.)

Nous sommes dans un grand lycée propre des environs de la capitale, à côté duquel notre collège fait figure de cabane à jardins. Nous émargeons, afin de toucher les délirantes indemnités auxquelles cette formation nous donne droit et nous installons dans l’amphithéâtre qui pourrait assez facilement accueillir une version live de Starmania, avec danseurs et effets pyrotechniques.

9h00 : Début du séminaire, avec tout un tas d’Inspecteurs d’Académie de différentes matières. On commence par nous rassurer pendant un bon quart d’heure : non, nous ne devrons pas prêter allégeance à la réforme du collège, non, on ne nous ne lavera pas le cerveau. Promis juré craché. Croix de bois croix de fer. Alors que je m’inquiète de l’insistance un peu dérangeante avec laquelle cette promesse est réitérée, la présentation commence.

9h30 : Beaucoup de temps passé sur ce que la réforme n’est pas : elle n’est pas un outil de flicage des enseignants, elle n’est pas faite pour établir une compétition entre les établissements, elle n’est pas un chamallow rose. Par contre, oui, tente de glisser l’intervenant en espérant que ça passe, elle est le fruit d’une réforme économique, il faut que 60% des élèves sortent du système scolaire avec un diplôme « du supérieur » qui servira « dans la vraie vie ». Je sens mes crocs pousser à l’évocation de cette « vraie vie » en me demandant ce qu’on va bien pouvoir leur apprendre au-delà des trois B dont parle David Lodge dans ses romans (Bouffer, se Battre et Baiser). Erreur de débutant, on choisit ce moment pour laisser le micro au public lors d’une séance de questions.

10h10 : Évidemment, ça ne se passe pas dans l’apaisement le plus total, et Nightwing décrète qu’on a bien fait de venir quand un collègue se lance dans un vibrant plaidoyer anti-réforme, devant le téléphone portable de son pote. Arguments justes, mais l’un des inspecteurs lui rappelle en se drapant dans la toge de la dignité républicaine que nous sommes des fonctionnaires, chargés de faire appliquer une loi parue au BO. Déloyal mais imparable. Et du coup , coupant l’herbe sous le pied de pas mal d’intervenants du public .

11h00 : On nous déroule les nouvelles grilles horaires du collège : les 6èmes auront 6 heures de cours maximum par jour, les 5èmes, 4èmes et 3èmes 7 heures. Révolution totale.
Devant le peu de réactivité de l’auditoire, l’oratrice en profite pour « apaiser » les inquiétudes sur le latin : il existera FORCÉMENT dès la 5ème sous forme d’EPI (donc en collaboration avec une autre matière obligatoirement) et on pourra négocier un volant d’heures avec le chef d’établissement, si suffisamment d’élèves sont intéressés. Les ricanements dans l’audience sont perceptibles. Je me déhanche tel Donna Summers afin de demander la parole et de poser cette simple question : comment, par Jupiter, négocier lesdites heures avec le chef d’établissement si ON NE SAIT PAS en début d’année combien d’élèves se déclareront intéressés, forcément UNE FOIS que l’année aura commencé. Parce que bon, il me semble que la répartition horaire a lieu quelques mois avant le début des cours. En général.
Au sujet des EPI, une prof-documentaliste demande comment elle peut rejoindre ces projets, étant donné qu’elle ne dispose pas d’heures de cours. Échange de regards gênés : « Ben faudra voir avec des collègues qui voudront bien donner un peu de leurs heures. » Portant ainsi un splendide coup fatal au discours précédent qui assurait que les EPI ne « prenaient » d’heures à personne.
Je me dis que les EPI seraient nettement mieux acceptées si on arrêtait de nous prendre pour des débiles et qu’on reconnaissait que OUI, ça va nous compliquer la tâche d’un point de vue disciplinaire et que OUI il va falloir que nous nous réorganisions autrement dans nos façons d’enseigner mais que c’est possible, exemples concrets à l’appui si possible. Là, on a le droit à un flot de dénégations surréalistes du type « Mais vous ferez le programme EXACTEMENT comme avant. »
Moi qui espérait que cette réforme nous lâcherait au moins un peu la grappe avec les programmes…

11h45 : Ça transpire face à nous. Sous le feu des questions – qui coordonnera les EPI, comment se réunir entre enseignants du primaire et du secondaire, les compétences sont-elles encore d’actualité – les intervenants font défiler le Power Point à toute vitesse, dans un sens, dans l’autre, à la recherche de réponses. Et marmonnent l’antienne « On y reviendra. » quand les renseignements manquent, ou même « C’est encore à l’étude, mais ne vous en faites pas on a laaaargement le temps, on n’est qu’en octobre. »
Certes.
Mais ne pas être sûr des modalités d’une réforme qui va changer en profondeur le fonctionnement du collège, ça ne me semble pas être laaaaaaarge au niveau du temps, même si nous sommes en octobre.

Histoire de finir la matinée en beauté, une collègue TZR (ce sont les remplaçants, pour ceux qui ne parlent pas prof couramment), demande comment faire pour s’intégrer dans des projets interdisciplinaire quand on change de bahut tous les six mois et qu’on se cogne trois heures de transport par jour. La réponse selon laquelle ce genre de projet permettra au contraire une meilleure intégration dans les équipes pédagogiques ne semble pas vraiment convaincre. Ce que je comprends aisément. Je me vois assez mal me lancer dans un projet « La cuisine andalouse à travers les âges » (j’exagère à peine), alors que je ne connais pas le nom de mes élèves, les habitudes de travail du bahut et qu’on m’a appris à deux jours de la rentrée que j’allais bosser avec des Sixièmes, niveau que je n’ai pas pratiqué depuis sept ans.

Cerise sur le gateau, l’un des intervenants explique que cet argument n’est pas vraiment valable parce que « il y a quand même des TZR qui font le choix de la mobilité entre plusieurs établissements. » On siffle la pause déjeuner avant que nous ayions le temps d’entamer un atelier fourches et torches.

12h00 : Le buffet du restaurant chinois de Levallois-Perret n’est pas mauvais du tout.

13h05 : Je profite de la reprise de la séance pour tenter ma seconde question « Concernant la mise en place des projets, EPI, travail en coanimation et autres, on aura le droit à un peu de temps, pour se concerter ou on fait ça au-dessus de notre céleri-rémoulade à la cantine et après les heures de cours, en attendant le RER ? »
Je vous casse le suspens, c’est la réponse 2, hein. La mise en place du pédagogique, on se débrouille comme on peut. « Mais vous avez Google docs, maintenant, c’est super pratique ! » nous lance une adepte de la technologie.

13h30 : Attachez vos ceintures, nous entrons dans le domaine du délire total : « Je sais que, pour beaucoup d’entre vous, ça peut sembler difficile de travailler par projet. Seulement, c’est un impératif de la réforme. Du coup, on va vous expliquer comment ça marche.

La pédagogie du projet.

Comment. Ça. Fuckin’. Marche.

Je me frotte les yeux et cherche frénétiquement dans la salle une cabine téléphonique bleue ou une DeLorean. Devant l’absence de ces deux éléments (à mon grand désespoir), j’en déduis que ce n’est pas une blague, que nous ne sommes pas subrepticement passés dans les années 80 et que nous allons donc nous cogner trois heures autour de la pédagogie du projet. Le truc que tu pratiques sur une base quasi quotidienne si tu es à plus de trois mois de la retraite.

Ni l’un, ni l’autre…

14h00 : Ok, j’ai été mauvaise langue. L’intervenante était passionnante, surtout dans sa façon de dédramatiser l’implication de nombreuses matières dans un boulot de groupe. Son exemple est impressionnant d’exigence. Prof d’Histoire-Géo, elle nous explique qu’en effet, il faut commencer par voir petit et réalisable au niveau de ce que l’on souhaite faire. Le thème que son équipe a choisi avec l’une des classes est l’esclavage, aisément abordable non seulement dans le programme d’Histoire, mais également en Lettres, à travers le texte argumentatif, en Arts Plastiques (la collègue a rédigé un mémoire sur la représentation de l’esclave à Venise) et en Maths, à travers la transposition des chiffres de la traite négrière en graphiques. Les travaux présentés ne ressemblent pas à des oeuvres d’école maternelle, il y a vraiment eu du taf, tant du côté des profs que des élèves et ce sur le long terme. La salle éclate en applaudissements.

Je regrette uniquement l’absence d’indicateurs précis pour montrer à quel point les mômes s’épanouissent davantage dans cette pédagogie que dans une autre. Qui plus est, il est évident que ce projet est né d’une équipe soudée, qui a pu travailler sérieusement, et sans être contrainte par des considérations du genre « Oh mon dieu nous n’avons pas encore mis en place l’EPI Santé et Citoyenneté, vite vite vite, pondons un truc sur un coin de table ! » Mais au moins, j’ai repris confiance en la journée, qui va très certainement bien se conclure.

15h00 : Enfer et Damnation. On est en train de nous expliquer que réaliser un potager ou organiser une collecte de sang, c’est grave de l’interdisciplinarité et que ça ne peut qu’être bénéfique aux élèves. « Pas besoin d’un but précis, ça peut partir d’une envie des enseignants ! Du moment que vous travaillez ensemble ! »
Je suggère à Nightwing l’organisation d’un festival de musique Grunge ou un tournoi géant d’Hearthstone. Après tout j’en ai vachement envie. Je m’aperçois que mon valeureux collègue est en état de mort cérébrale imminente et lui propose, pour préserver nos quelques neurones restant, la rédaction d’une histoire commune, mettant en scène Nadine Morano, un tigre du bengale, Jacques Séguéla et Cthulhu.

16h00 :Oui, l’écriture qui vous donne envie de vous arracher les globes oculaires est la mienne.

Pour conclure : D’accord j’ai la dent dure. D’accord cette réforme ne me convainc que très moyennement. J’espérais cependant qu’une réunion rémunérée et organisée sur un temps de vacances scolaire arriverait avec des arguments canons et précis. Que je reviendrai sur certaines de mes craintes les plus caricaturales. C’est exactement l’inverse qui s’est passé.

Je le répète donc : oui, la pédagogie de projet peut déboîter, elle est un outil fantastique, pour peu qu’elle ne soit pas appliquée systématiquement et bêtement. Non, cette réforme ne fonctionnera pas en l’état parce qu’elle n’est tout simplement pas prête. Se rabattre sur les clichés éculés du « savoir qui doit être utile » montre à quel point les arguments avancés sont faibles.

Mais malgré tout j’espère. Que les applaudissements lors des interventions les plus réussies amèneront aussi les organisateurs de ces interventions à réfléchir. Que les moments de prêche si mal accueillis mèneront à une réflexion. La seule chose que les enseignants puissent faire durant ces quelques mois où « on est laaaarge » est d’impressionner nos supérieurs hiérarchiques. Par ce qu’on met en place, par ce qu’on propose. En espérant que, d’une façon ou d’une autre, nos méthodes de travail remonteront à leurs oreilles, et feront partie des ajustements qui doivent encore être faits dans cette foutue réforme. Pari risqué, ridicule.

Mais bon, on est profs. C’est pas comme si on avait peur de l’impossible.


Témoignage N°2 : Formation #college2016, Journées « Université d’Automne » des 19 et 20 octobre / académie de Paris

Lundi 19 octobre / matinée
Réunion plénière du lundi matin avec le directeur de l’académie :
On est là pour construire une base commune de réflexion. Bla-bla psycho-historique (Harry Seldon ?) sur ce qu’est le collège depuis 1975 et ce qu’est un adolescent. La salle est endormie et disciplinée, ou l’inverse. Va savoir. En gros la réforme se justifierait par le nombre croissant d’élèves décrocheurs. Il faut faire quelque chose.
Sur la réforme elle-même :
– La mise en place doit être globale (programmes, rythmes, évaluation).
– La différentiation c’est bien.
– Ne pas saisir cette opportunité de réfléchir à nos pratiques c’est pas bien.
La salle se met en position foetale et culpabilise dans un long râle.

Puis Mme B., DASEN du second degré :
Le directeur est formidable autant que brillant, avant de clarifier avec un powerpoint parce que, quand même, on est en 2015.
– 26 h par semaine pour les élèves (23 h de cours et 3 h d’ AP en 6e / 22 h de cours et 4 h d’EPI et AP en cycle 4).
– Dotation horaire supplémentaire de 3 h par semaine et par division en 2017 (2 h 45 en 2016 pour cause de loi de finance).
Cette dotation servirait à des petits groupes pour les langues anciennes et régionales. C’est présenté comme une entorse à la réforme mais il fallait calmer les latins, les bretons et autres populations interlopes.
– Rôle central du conseil pédagogique. Youpi.
– L’établissement peut moduler la répartition du volume horaire hebdomadaire par discipline en restant dans le cadre des 26 heures. La salle se réveille un peu mais ça reste mou
– Classes euro et bilangues disparaissent (sauf bilangues de continuité)
– Sont maintenues 3e prépa-pro, sections musique, sport, les SEGPA.
– Les EPI, 8 thématiques (pas le temps de noter, le powerpoint s’emballe) 6 à faire sur le collège. Les EPI rentrent dans une démarche de projets, doivent donner lieu à des productions et doivent être évalués.

Enfin Y. P., IGEN histoire géo, prend la parole.
Tente une blague. Fait un bide. En tente une autre. Rebide. Moment de flottement gênant. Puis devient creux et rasoir.
– Il faut établir de manière structurelle le conseil pédagogique. Re-youpi.
– Il faut que les disciplines donnent plus aux élèves. Donne ton slip la discipline !
– La mise en place de cette réforme va entraîner beaucoup de travail pour tout le monde. Merci captain obvious.

On se traîne en ateliers. Pour faire court on discute puis centralisation des questions par un inspecteur de lettres modernes pour transmission et possible réponse demain . On verra. Beaucoup de collègues inquiets. Les questions tournent autour de la formation, du temps de concertation, de la place des disciplines…

Déjeuner dans le quartier chinois. Trop de mei kwei lu. Je vais devenir illisible.

Lundi 19 octobre / après-midi
Re plénière avec IGEN de maths et d’histoire. On répète les inepties du matin avec un angle plus disciplinaire :
– interdisciplinarité à tous les étages.
– EPI intégrés aux horaires des disciplines. Un prof doit faire avancer son programme au travers des EPI.
La salle est apathique. Je suis arrivé en retard, notre IPR est plus en retard que moi et me demande de lui résumer le début. Je résume. Il dit merci et consulte sa messagerie. Ça crée des liens.

Retour en ateliers avec 5 groupes de 30 personnes ensemble dans une grande salle. On n’entend rien. C’est le bazar. Les gens se réveillent un peu et les nerfs de certains commencent à lâcher.

Trois IPR (histoire, physique et maths) animent mon groupe et nous donnent une consigne de réflexion sur les programmes qu’on n’entend pas. Du coup on discute à 5-6 et on s’accorde pour dire que tout cela va être un beau bazar dans un élan de finesse d’analyse inespéré à une heure si tardive.

Globalement, des collègues pas très convaincus et inquiets même si une part non négligeable défend la réforme. Les huiles sont dans des considérations générales et repoussent les questions précises à demain car, comme souvent, c’est un autre jour.

Mardi 20 octobre / matinée
Accueil café croissants (très secs, sans doute les restes d’hier).

On embraye avec une réunion plénière sur le cycle 3, présenté comme une chance à saisir par Mme M. (IGEN) :
– Nouveaux programmes de cycle.
– Nouvelles instances de concertation dont le conseil de cycle composé d’instits et de profs de 6e se réunissant régulièrement. Si j’ai bien suivi, on va se concerter 7 ou 8 heures par jour. Passons.
– Plus de repères annuels mais des repères de progressivité pour dispenser un enseignement plus attentif à ce qui est acquis qu’à ce qui a été théoriquement dispensé.
– Il faut que les instits (pas invités) ne laissent plus entrer au collège des élèves en situation d’échec. Il faut les étayer. Et les RASED ? Pardon. Il est à peine 9h et je m’emporte déjà.
– Il faut inscrire le cycle 3 entre le cycle 2 et le cycle 4. Je suis troublé d’être irradié par une pensée si lumineuse.
– Il faudra que les enseignants de primaire et de secondaire s’entraident pour construire des outils. Il faudra donc partir en vacances avec des instits pour bosser cet été mais, vu les salaires dans le primaire, ce sera en banlieue de Metz.
– Le conseil pédagogique, dans son omniscience, fera des suggestions au principal pour désigner les membres des conseils de cycle (1 par école primaire !!!!) et du conseil école collège. L’usine sent le gaz…
– Il faudra dégager du temps pour organiser le temps de concertation. C’est incontestable.

La salle est plus animée qu’hier. Rires sardoniques, commentaires sarcastiques et soupirs résignés font un bruit de fond constant.

L’intervention se conclut par un tsunami de guimauve : « Travaillez ensemble ! Vous n’y trouverez que du bonheur ! Que du plaisir ! »

Devant tant de bons sentiments, l’envie me prend d’étrangler une licorne. Il n’est que 10h30.

Une responsable DGESCO présente l’accompagnement personnalisé. Commence une anecdote. Change de sujet pour lire le BO. L’anecdote ne sera jamais terminée. La salle se rendort, frustrée.
– L’AP représente 3h par semaine en 6e et 1 ou 2h pour les autres niveaux. Ce n’est pas de l’aide aux devoirs mais un temps d’enseignement pour tous les élèves (méthodologie, tutorat, révisions, préparation au brevet…).
– Le conseil pédagogique, qui est décidément partout, identifie les besoins et décide avec le principal des contenus de l’AP et le la répartition par discipline. Battez vous.

Cela posé, on s’emmerde quand même beaucoup et ça commence à bavarder dans les travées. L’intervenante le sent. Elle tente une seconde anecdote qui ne va nulle part, s’embrouille dans les dotations horaires de l’AP et compare le renforcement des compétences dans ce cadre à un « coup de pied au derrière ». Cette familiarité à l’égard du dispositif ne remobilise pas l’assistance. L’intervenante est seule et cherche la lumière dans ses fiches. Sentiment gênant de voir une asthmatique jouer du trombone dans une tempête de sable.

Fin de matinée, les équipes de direction partent en atelier emploi du temps et organisation pratique. J’essaie de m’incruster mais, ne portant pas de cravate, je suis rapidement repéré et renvoyé vers mon atelier accompagnement personnalisé que je ne décris pas faute de mots appropriés pour définir le sentiment de vieillesse qui m’a traversé.

Déjeuner avec les collègues d’un passé glorieux. Tartare de bœuf et vins de Loire.

Mardi 20 octobre / après-midi
Brèves de couloir des toilettes (lieu stratégique) avant la reprise.
– Un inspecteur me demande comment je sens les choses dans mon collège par rapport à la réforme. Je lui répond que si il me le demande c’est qu’il a lui même des inquiétudes. Il l’admet volontiers.
Les hommes sont plus francs quand leur vessie est pleine.
– Un principal résume l’atelier emploi du temps des équipes de direction d’un lapidaire : « Je vais me tirer une balle ». Par pitié, pas dans les toilettes. Je fais la queue depuis 10 minutes.

Plenière de l’après-midi.

Le directeur d’académie, des IA IPR, DASEN 1er et 2nd degré tentent de répondre aux questions diverses posées la veille. Nous sommes prévenus que les questions trop complexes seront l’objet de réponses ultérieures. Ça commence bien.

– Comment gérer le turnover des équipes avec ces nouvelles structures ? On peut envisager une rémunération sous forme d’IMP pour des collègues qui géreraient la transition avec les nouveaux arrivants. Mon tartare s’agite dans mon estomac.
– Le remplacement des manuels aura lieu en 2 ans. Français, maths, histoire 6e et 5e en 2016, le reste en 2017.
– L’évaluation notes ou compétences reste à la carte selon les bahuts. Le DNB utilisera sans doute les deux.
– Ma voisine me propose un chewing-gum. Trop de vin de Loire.
– Sur les dotations horaires, le directeur d’académie nous gratifie d’un beau lapsus. « À effectif constant, les établissements retrouveront la même baisse que l’année dernière ». Trop de vin de Loire.
– Exit l’épreuve d’histoire des arts au brevet. Doute sur ce qui la remplacera (présentation d’un projet fait en EPI ?).
– Gros flou sur la formation. Perlée ? Disciplinaire sur deux jours puis générale sur trois jours mais par encore de calendrier. Gros bazar en perspective. Un collègue dit que l’on prêche ici à des convertis mais s’interroge sur les moyens de transmettre la bonne parole dans les établissements. J’apprends que je suis converti. Je médite sur ce nouvel état.
– La liaison école collège avec le cycle 3 ? 10 minutes de réponse pour confirmer que ça va être compliqué.
– Un collègue pose la question des temps de concertations divers et variés ainsi que de leur rémunération. Applaudissements. Il se fait tard.
Le directeur répond et j’espère ne pas trahir son propos : « beuhaaahhhheinbwopf ! Il faudra juste bien investir les instances prévues pour ne pas perdre de temps inutilement ».
À méditer.
– Sur la physique, SVT, technologie qui prennent cher.
4h en 6e pour l’ensemble des trois matières. Le chef d’établissement pourrait répartir ces heures entre les trois. On nous annonce qu’un prof de techno motivé pourrait enseigner la physique et inversement.
Je vais rendre mon tartare.

Conclusion du directeur : Le collège doit évoluer. La réforme est une chance à saisir.
C’est donc la même chose que son introduction.

Je dois à l’honnêteté intellectuelle de dire qu’il y a des idées non dénuées d’intérêt dans tout ça (l’accompagnement personnalisé pour tous les élèves et pas juste ceux qui ont des lacunes peut donner des choses intéressantes et tout n’est pas à jeter dans les programmes). Cela dit tout le cadre concret (formation, instances de concertation et de décision, questions de DHG et d’emploi du temps, pouvoirs du principal et du conseil pédagogique, liaison école collège, statut des disciplines…) pue l’impréparation, le déni de réalité ou le piège. C’est selon.

Conclusion name dropping
On peut penser avec Spinoza que nous sommes déterminés par les structures et ainsi condamnés à une servitude universelle.
On peut aussi décider comme Desproges de rire un peu en attendant la mort.
Dans tous les cas il faut garder en mémoire les mots d’un grand penseur du 20e siècle, le chef Brody dans les Dents de la mer : « C’est la merde ! Il va nous falloir un plus gros bateau. »

Bonnes vacances.

Témoignage 3 : Collège Jas-de-Bouffan – Aix-en-Pce – 9 décembre 2015

Mme M, IG de l’Education nationale, est venue ce matin au collège du jas de Bouffan, pour « prendre la température, évaluer notre besoin de formation à propos de la réforme du collège et répondre à nos questions ou inquiétudes ».

D’emblée nous avons donné le courrier légèrement modifié et déjà adressé au recteur, à l’attention de Mme Robine (en pj). Nous avons également remis le différentiel entre les horaires élèves cette année et l’année prochaine avec la réforme du collège, qui fait état d’un volume considérable d’heures perdues, notamment en français et en mathématiques (mais pas seulement bien sûr).

Une discussion s’en est suivie (qui ne devait durer que 10 minutes et qui a pris 1 heure), où nous avons eu droit à toute sorte de formules langagières pour nous expliquer :

– Que la réforme du collège ce n’était pas plus d’école (il faut arrêter avec le quantitatif : après le « faites comme moi, arrêtez de lire » de Mme Robine, nous avons eu droit au « arrêtez de compter ») mais mieux d’école.
– Que la question des effectifs n’est pas vraiment importante et qu’il faut apprendre à faire fonctionner le groupe classe à 30, c’est l’objectif de l’AP (nous sommes REP et donc nos classes sont plafonnées à 25/26 mais elle semblait l’ignorer). Le demi-groupe est semble-t-il inutile !
– Que pour ne pas perdre le peu d’hétérogénéité que nous avions grâce aux sections européenne et latine, il fallait « faire de la publicité sur tous nos projets » : tous les parents auraient envie de mettre leurs élèves au Jas de Bouffan (seul collège REP d’Aix en Provence) s’ils savaient tous les projets menés dans l’établissement ! Oui, oui et il n’y a absolument pas de concurrence déloyale vis-à-vis des établissements privés qui tous maintiennent leurs sections bi langues et européennes : si on fait de la pub, on sera concurrentiels (« comme en Corée » dixit Mme l’IG)
– Que c’est une réforme pédagogique : que les nouveaux programmes, en cohérence avec le socle, font qu’il n’y a plus besoin que de 26 heures semaines pour tous les élèves, point trop d’école !! D’ailleurs, en termes de mise en œuvre pédagogique, nous avons eu droit à plusieurs citations d’exemples réalisés en…. classes préparatoires !!!
Bref, cette dame n’a manifestement jamais enseigné de sa vie en collège et encore moins face à un public REP : nous avons tous été ébahis par son manque de connaissance absolu des difficultés scolaires de nos élèves et de leurs besoins réels pour la maîtrise des fondamentaux.

Nous avons eu droit à un discours d’une hypocrisie hallucinante sur la concurrence entre établissements publics et avec les établissements privés, sur le contexte politique et électoral mais aussi en matière éducative. La réussite des élèves et la réduction de la reproduction des inégalités sociales via le système éducatif français semblent être la dernière de ses préoccupations. Que les élèves de notre collège soient moins présents à l’école et davantage livrés à eux-mêmes à l’extérieur ne lui pose aucun problème : le contexte actuel ? Rien à en dire

Interpellée sur bien des points, de façon précise et exemples à l’appui par les collègues présents, Mme l’IG n’a pas su nous répondre. Tout au moins a-t-elle pris note de nos remarques, assuré qu’elle transmettrait et de conclure : « on ne peut pas dire que vous n’avez pas compris la réforme, vous avez bien lu les textes ». Merci Mme l’IG de nous dire que nous ne sommes pas les imbéciles que vous croyiez ! J’ai rarement vu autant de mépris pour notre professionnalisme et de déni face à l’écueil éducatif que va constituer cette réforme.


Témoignage n°4: Collège de Corsac, Brives Charensac – 4 novembre 2015

Certains collègues étaient absents de la formation le matin, et a priori tout le monde n’y sera pas retourné l’après-midi…

Un moment de présentation générale de la réforme a eu lieu d’abord.

Les deux IPR présents (dont un de lettres) ont assuré cette présentation générale, qui a donné lieu à des échanges avec les professeurs. Le principal du collège de Corsac a aussi longuement pris la parole.

Chez les collègues, on sentait majoritairement une grande difficulté à comprendre l’organisation du collège que devrait entraîner cette réforme.

Deux ateliers ont commencé à 10 h environs, l’un sur les EPI, l’autre sur l’AP. Deux groupes avaient été préparés.

Les deux enseignants animateurs de l’atelier EPI ont eu du mal à répondre à toutes les questions, ils ont été interrompus à de nombreuses reprises par les questions des collègues, et par les réponses de l’IPR qui était présent, ou du principal du collège.

Il était prévu de mettre en place des propositions d’EPI en vue d’un compte-rendu en fin de journée, cela n’a pas été possible.

Les collègues sont repartis avec plus de questions que de réponses.

Une autre journée de formation a été annoncée, dans les établissements, le 16/12.

Témoignage n°5: Formation de bassin Nancy – Mercredi 2 décembre


Cinq collèges doivent être réunis dans une cité scolaire de l’agglomération nancéienne. La formation commence à 13h30.
A l’entrée du lycée, je distribue des autocollants « contre la réforme ». De nombreux collègues abordés sont réceptifs, quelques-uns sont dubitatifs, très peu refusent de manière catégorique.
Découverte de la salle de formation : apparemment, c’est un ancien réfectoire dans lequel des chaises ont été installées (mais pas assez pour tous les collègues présents) ; tout devant, un écran doit servir à projeter un diaporama, les formateurs utiliseront un micro mal réglé pour s’adresser à nous. Hyper convivial !
La formation commence : accueil bref du chef d’établissement qui reçoit, il nous remercie d’avoir répondu à l’invitation, je lui crie du fond qu’il s’agissait d’une convocation et non d’une invitation. Une collègue d’un des collèges présents se lève pour lire une motion signée par 14 enseignants sur 24 : ils y affirment s’opposer à la réforme et refuser de participer à l’anticipation de sa mise en œuvre. Le fond de la salle applaudit.
L’unique IA-IPR présent fait l’intro de la formation en nous diffusant un diaporama qu’on ne voit pas du fond. Lorsque je me lève pour lui poser une question sur les enseignements complémentaires, il rétorque qu’il faut écrire les questions sur les post-it fournis comme il l’a déjà indiqué en début de séance. En gros, tais-toi et écoute la bonne parole…
Je retiens surtout deux remarques notables de cet IPR :
– les 6 thèmes à traiter obligatoirement dans les EPI du cycle 4 sont pour lui un « SMIC culturel » ;
– les EPI « ne sont pas complètement des IDD »… Un collègue souligne à côté de moi : « oui c’est sûr, y a des lettres qui changent ! »
Deux enseignantes présentent ensuite des EPI exposés à X reprises dans les formations-formatages précédentes. La salle est peu réceptive, le brouhaha s’amplifie, au point que, l’IPR, agacé par les plaisanteries qui fusent dans le fond, vient invectiver une collègue en l’invitant à partir si cela ne lui plait pas (le même IPR que celui qui en Moelle avait demandé à certains collègues trop virulents de partir). La
collègue se défend : elle a été convoquée, elle est là ! L’IPR l’accuse de manquer de respect pour les formatrices, une autre collègue rétorque que le manque de respect, c’est de convoquer des enseignants dans une salle qui n’est même pas assez grande pour offrir une place assise à chacun. L’IPR répond qu’on peut bien rester debout une heure. La grande classe. On apprendra plus tard de la part de collègues installés devant qu’on n’y voyait pas beaucoup plus le diaporama et que l’attention n’était pas très soutenue.
Après une présentation des désormais célèbres exemples d’EPI sur la « passerelle » du collège d’Ars/Moselle et le projet 2ème guerre mondiale/arts/cirque (???) qui ont été présentés à nombre de collègues lors de précédentes formations, on se sépare pour aller travailler en groupes de 20 environ. On nous distribue des documents à compléter :
imaginer un EPI, ses objectifs, le nombre d’heures nécessaires. Chaque groupe est dirigé par un chef d’établissement, un adjoint… D’après les retours (ou plutôt l’absence de retour puisqu’il n’y aura finalement pas de mise en commun) dans l’ensemble, les groupes n’ont rien produit de concret et ont plutôt passé l’heure de travail à discuter des modalités générales de mise en œuvre des EPI. Dans notre groupe, la principale nous affirme qu’il faut travailler maintenant, car sinon nous aurons à travailler plus tard. Comment résister à cette implacable logique ? On voudrait bien travailler pour ne pas perdre notre temps, mais comment ? Quelles sont les modalités de ce travail ? Comment travailler sans connaître les moyens alloués à l’établissement ? Sans avoir eu vraiment le temps d’étudier des programmes sortis moins d’une semaine avant ? Sans en avoir discuté dans nos équipes disciplinaires ? Et les IPR, quand est-ce qu’ils nous épauleront et nous donneront des pistes de travail pour ne pas faire du grand n’importe quoi ? Eux aussi bien sûr ils sont en train de se former. Ah, mais alors attendons qu’ils aient fini de se former pour bénéficier de leur formation ! Bref, dans l’organisation de cette formation-formatage, le planning ne convient pas, le timing est mauvais (nous sommes tous sur les rotules en cette période de réunions parents-profs et conseils de classe)…
On retourne finalement dans la grande salle hyper conviviale vers 16h.
De nombreux collègues sont déjà partis : les listes d’émargement ont tourné pendant les travaux en groupes. L’IPR annonce qu’il a trié les questions et les a réparties en 3 groupes. Il « répond » donc :
– sur les moyens (bon, ok, 2h45 par division ça a beau être une super marge de folie, ça ne financera pas des dédoublements ou de la coanimation pour tous les EPI et l’AP, surtout si on veut garder du latin et des groupes en LV et/ou en sciences. Ah oui, et aussi il nous rappelle qu’il n’y aura pas d’heures données pour la concertation parce que ça c’est dans nos missions, vu ?)
– le latin (c’est super grâce aux EPI tout le monde pourra faire du latin !)
– et sur ???… je ne sais pas : il est 16h30 et de nombreux collègues se lèvent car la formation est finie (c’est ce qui était écrit sur la convocation, on suit les consignes donc). Le maître de cérémonie abrège se rendant compte qu’il ne pourra pas tenir le reste de l’assistance très longtemps. Dommage, il n’a pas répondu à de nombreuses questions qu’il avait savamment ignorées alors que pourtant, on avait fait l’effort de les écrire sur les fameux post-it !

Témoignage n°6 Charente-Maritime : “Un samedi matin au collège : EPI sait tout ? EPI c’est tout !”

Les enseignants de SVT, Physique et technologie disent non à la formation EPI :

Aujourd’hui, samedi 10 octobre 2015, tous les enseignants se réunissent pour effectuer leur deuxième demi-journée de pré-rentrée.

A l’ordre du jour, nous devons définir les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires pour l’année scolaire 2016-2017.

Avant de définir un EPI sur un niveau, il est nécessaire d’avoir les formations disciplinaires qui répartiront les thèmes abordés dans le programme en 5°, en 4° et en 3°. Ces programmes nous semblent trop flous à l’heure actuelle.
Nous ne pourrons répondre à la demande d’aujourd’hui qu’après ces journées de formation.

D’autre part, qu’est-ce qui nous affirme qu’un professeur s’engageant aujourd’hui dans un EPI sur un niveau, aura le niveau concerné dans son emploi du temps à la rentrée ?

Qu’est-ce qui nous assure d’avoir les moyens financiers nécessaires aux transports qui pourront être demandés pour d’éventuelles sorties illustrant les EPI ?

Enfin, le projet de mise en place à la rentrée 2016 des quatre niveaux simultanément n’est pas judicieux et semble extrêment difficile à mettre en place.

Nous craignons que les horaires en sus des 26 heures attribuées aux élèves soient utilisées en totalité pour les EPI, au détriment de l’horaire préconisés pour le travail en groupe à effectifs réduits, tout particulièrement en sciences expérimentales, technologie… comme cité dans la lettre du 17 avril 2015 que vous nous avez fait parvenir.

Les moyens financiers ne permettent pas non plus de renouveler les manuels scolaires à tous les niveaux.

En conclusion, nous ne sommes pas contre la mise en place des EPI ou d’une nouvelle réforme, néanmoins, en l’état, celle-ci ne nous semble pas réalisable.

Les professeurs de Sciences Physiques, SVT et Technologie.

Témoignage n°7: Collège Bugatti à Molsheim 67 – 4 décembre

Journée 1:
Difficulté (question posée 3 fois) à ce que les 2 dames se présentent clairement en disant qu’elles s’étaient portées volontaires pour le formatage au formatage.

Exposé infographique sur les inégalités dans l’éducation (quelle découverte !). L’implicite : donc il faut faire cette réforme-ci, qui est bonne. J’ai relevé le sophisme: constater qu’on a la migraine ne signifie pas qu’il est bon de se tirer une balle dans le pied. Pour l’anecdote, dans l’exposé des inégalités, elles signalent la réussite supérieure des enfants d’enseignants. Je demande si c’est dû au fait qu’ils appliquent la réforme depuis des lustres à la maison… (Quand on ne maîtrise pas la rhétorique, il ne faut pas s’en mêler, ça se retourne contre soi !)

Infographies sur la réforme. À chaque incohérence, je pose une question « naïve ». Et à chaque fois, une réponse sur un ton assuré. Mais une réponse fausse. C’est par exemple moi qui les détrompe et leur explique que l’AP n’est pas pris sur la dotation supplémentaire, que l’AP n’aura donc plus rien de personnalisé.

Elles ne maîtrisent absolument rien des détails de la réforme. Vraie colère de ma part quand l’une d’elle me dit: « Mais c’est normal d’avoir peur du changement dans ses habitudes ». Je reconnais immédiatement les mots et les « éléments de langage » de la plaquette donnée aux formateurs pour canaliser les récalcitrants. Je dis qu’avoir l’esprit critique sur une réforme dont je connais – moi – les détails, ce n’est pas de la peur. Elle m’a bien chauffé, là. (Je ne sais pas me dominer quand on me prend pour un con).

Moment essentiel : la fameuse addition 22h + 4h (EPI+AP). Je souligne que l’addition est trompeuse, que c’est fait pour ça, et qu’il s’agit en fait d’une soustraction: les heures API+AP sont retranchées des heures disciplinaires. Etonnement de beaucoup de collègues, et ça devient houleux (mais ça l’était depuis le début, je n’étais pas le seul à intervenir et à interrompre à chaque mensonge). C’est donc un point important : chez les attentistes, il y a le souvenir des IDD, et ils ne savent pas tous à quel point les EPI sont différents. Dès qu’ils le comprennent, ils sont beaucoup moins attentistes.

Présentation de ce que peut être un EPI, des diverses modalités qu’il peut prendre. Vives réactions dans la salle par rapport aux heures de concertation qui s’annoncent. Et puis, moment HALLUCINANT: des collègues, à juste titre, demandent aux formateuses si elles auraient un exemple d’emploi du temps élève et d’emploi du temps prof. Elles répondent : « Oui, mais on nous a interdit de vous les montrer. » L’infantilisation rend tout le monde furax. Je signale à tous que ces emplois du temps ont fuité depuis longtemps, qu’ils pourront les trouver facilement avec une recherche Google, et qu’ils comprendront pourquoi on interdit de les montrer…

Puis du pédagogisme, les compétences, tout ça. Elles embrayent sur leurs pratiques avec des « tâches complexes ». Je demande en quoi ce qu’elles font dans leurs classes nous concerne et concerne le décret. Réponse : « Le travail avec les tâches complexes, c’est dans le BO ». Je n’insiste pas, je n’ai pas lu tous les BO après tout. Ce qui est sûr c’est que ça n’a rien à voir avec le décret lui-même.

Liée aux compétences, l’usine à gaz dans l’usine à gaz que représentent les évaluations. Je vois quelque chose dans le genre (je cite de mémoire) « connaître le monde habité et façonné par l’homme ». Je demande une traduction. Elle me demande « Une traduction en quoi ? » Je réponds : « Une traduction en français ». (Je n’ai pas obtenu de traduction).

Annonce des réjouissances pour la prochaine journée, et annonce d’ateliers d’EPI. Nouvelle colère (je ne sais pas me dominer quand on me prend pour un con – bis) : « il est hors de question que je réfléchisse à des EPI virtuels menés avec des collègues virtuels à l’intention d’élèves virtuels dans une organisation virtuelle au sein du collège. » Je pense que je ne serai pas le seul à refuser le n’importe-quoi.

Pause. Ai séché la 3e partie, comme beaucoup.

Donc bilan positif : c’est très houleux. Collègues favorables très minoritaires. Et puis en textos on reçoit en direct ce qui se passe dans un autre centre de formation du coin : apparemment, encore plus houleux, et deux inspecteurs ont été appelés en renfort !
Quand on sait ce qu’ils pensent vraiment, on les plaindrait (presque).

Journée 2:

Salle beaucoup plus clairsemée que la dernière fois. Et pourtant, encore bien plus chahuteuse. Exaspération générale (sauf un gars – dont on me dit qu’il est à l’UNSA, mais je n’en sais rien et peu m’importe. Il était au 4e rang la première journée, aujourd’hui il s’est avancé au premier rang, histoire probablement de marquer aux deux dames son soutien inconditionnel).

Thème : les EPI. Interminables exposés des powerpoints officiels, avec lecture et paraphrase. Je remarque une meilleure maîtrise de la souris pour faire glisser les diapos. Ça me déçoit un peu, parce que j’avais bien aimé, à la séance précédente, cette façon attendrissante qu’avait la dame de gauche, quand ça ne marchait pas comme elle voulait, de se retourner vers le tableau pour vérifier que sur l’image projetée c’était le même bordel que sur l’écran de son ordinateur.

En résumé : les EPI c’est bien, les EPI c’est super, les EPI c’est innovant, les EPI c’est l’avenir. Il y a des choses à bien distinguer, hein : l’enseignement interdisciplinaire, pluridisciplinaire, transdisciplinaire (je crois qu’il y en avait un quatrième comme ça, avec un autre préfixe, mais je ne suis pas sûr, j’ai oublié).
En tout cas, c’est bien différent du bêtement disciplinaire. Pour dire à quel point c’est bête, le disciplinaire, projection d’un petit dessin avec des profs à la plage. Révolte dans la salle.
– Vous êtes vraiment des collègues ? Vous n’avez pas honte de nous transmettre ce genre de documents ? De répercuter ces insultes ?
– Ben… non… moi je trouve ça drôle… parce que c’est drôle, non ?
À en croire l’avis général : non.
Quant à la phrase répétée en boucle « Donner du sens aux enseignements », elle provoque une indignation semblable, mais une réponse plus concise :
– Donc actuellement notre enseignement n’a pas de sens ? Vous n’avez pas honte de mener cette formation ?
– …
(Ça, c’était la réponse plus concise).

Les dames expliquent pourquoi on est réticents (on est toujours dans la paraphrase du powerpoint : même pour notre « inquiétude » il y a une diapo toute prête). C’est nouveau, on doit adopter « une autre posture », on n’a pas l’habitude, on a peur, parce qu’il faut s’écarter de notre formation disciplinaire. Je fais remarquer que je n’ai pas été « formé » à ma discipline, mais que je l’ai étudiée, dans une université.

Diapos. Paraphrase. Diapo. Paraphrase. Diapo. Paraphrase.
Chahut. Chahut. Chahut. Crescendo.
Je leur signale que la diapo qu’elles présentent sur le brevet est déjà obsolète : ça a changé.
J’entends cette phrase chez une des dames : « Mais si ! Allez, les EPI, faut y croire ! »
J’interviens pour tenter de lui expliquer la différence entre une religion et des faits. Au lieu de « croire », elle pourrait prendre la peine de lire l’évaluation faite au Québec après dix ans d’une réforme jumelle. Le rapport – je le lui avais déjà signalé – constate le désastre et se termine en recommandant un retour aux enseignements disciplinaires et à une élévation du niveau culturel.
Un peu naïf de ma part. La foi et la raison sont deux ordres de pensée différents.

Des questions précises sont posées sur toutes les aberrations et les impossibilités pratiques. En renfort, deux nouveaux venus par rapport à la première journée : Yzipens et Saitavoire.
Les temps de concertation que tout cela supposerait ? – C’est à voir.
La place des mini-entreprises dans tout ça ? – Ils y pensent.
La constitution des emplois du temps ? – C’est à voir.
etc.
Yzipens et Saitavoire interviendront beaucoup dans le dialogue.

Sur cette question des emplois du temps, toujours une rétention d’information : elles ont des exemples mais n’ont pas le droit de les montrer.
Ras-le-bol. Je sors photocopier ces emplois du temps, qui ont fuité depuis longtemps. Je reviens dans la salle et commence à les distribuer.
– Ah non, ne faites pas ça ici.
– Si. Ici. La question vient d’être posée, et c’est directement en lien avec le thème du jour.
– Ah non, ne faites pas ça maintenant.
– Si. Maintenant.
Ici et maintenant, donc. Enfin : là-bas et tout à l’heure.

Le chahut continue et ne s’arrêtera pas, malgré une collègue qui dit avoir la migraine et qui tente d’intervenir :
– On n’est pas gentils, si c’est ça il ne fallait pas venir.
On lui fait remarquer qu’on n’a pas été invités, mais convoqués.
– Oui mais nos deux collègues, là, elles n’ont pas demandé à…
On lui rappelle que si, elles ont « demandé à ». Et qu’elles pourraient faire comme d’autres formateurs qui ailleurs ont démissionné de leur honorable fonction.
– Oui mais alors on perd notre temps…
On confirme.

Les dames concluent la matinée :
L’après-midi sera consacrée à des ateliers d’EPI.
C’est hors de question. Avez-vous prévu un plan B ?
Non.
On se prend donc une petite heure pour rédiger et signer une motion. Deux axes simples : le caractère aberrant et incohérent de cette réforme, d’une part, l’inanité du formatage, d’autre part.

Témoignage n°8: SNES-FSU Aix-Marseille, le jeudi 21 janvier 2016

Jusqu’au mardi 26 janvier 2016, nous devons multiplier les contacts avec la presse (correspondants locaux, et autres…) pour préparer une bonne visibilité de la mobilisation Collège2016. Les questions que les rédactions nationales vont demander à leurs journalistes de nous poser sont cousues de fil blanc.
Nous devons contrer quelques idées et en promouvoir d’autres :

« La mobilisation serait plus forte à Marseille qu’ailleurs » : non, la mobilisation est générale, mais plus visible à Marseille car la journée du mardi 25 novembre a servi de caisse de résonance et car la situation marseillaise est un révélateur de l’écart entre le marketing politique (l’égalité, la justice, l’approche pédagogique…) et la réalité des politiques suivies (fermeture de CIO dans les quartiers défavorisés, réduction du périmètre de l’éducation prioritaire, abandon des zones rurales, hausse des effectifs par classe…)

« Les collègues font la grève pour les salaires, pas contre la réforme du collège » : la grève en collège est d’une ampleur exceptionnelle, bien plus forte que dans n’importe quel autre secteur parce que la profession rejette la réforme. Mais les professeurs sont mal payés et c’est un problème aussi : on veut du blé pas des EPI

« Le maintien des sections bilangues est une mesure élitiste » : non, car elles permettent de lutter contre la ghettoïsation et de maintenir la diversité de recrutement dans les collèges publics. Fermer ces sections, cela aurait été un cadeau aux établissements privés. A Marseille, dans l’académie, rien n’est fait pour renforcer la carte scolaire et lutter contre la ségrégation.

« Les syndicats enseignants sont corporatistes » : La ministre n’a pas voulu écouter les organisations syndicales. Elle a maintenant un problème avec toute la profession qui rejette sa réforme. Mais nous qui faisons le travail sur le terrain, nous avons des propositions, nous connaissons les besoins. On veut une autre réforme du collège. C’est en fait toujours la même réforme que nous vendent les gouvernements successifs. Par exemple, Collège2016 est la reprise des axes de la réforme Chatel du lycée, dont tout le monde connaît l’échec. Nous défendons l’intérêt de nos élèves.

« Les fonctionnaires doivent appliquer la loi votée démocratiquement par le Parlement » : la réforme du Collège n’est pas une loi, mais c’est un décret rédigé par les technocrates du ministère. Dans le cadre de la loi, le gouvernement peut écrire d’autres décrets plus conformes à ce dont on a besoin. On en a assez des ministres et des technocrates qui gouvernent sans écouter la société civile, les professionnels.
Les fonctionnaires ne sont pas des petits soldats, ce sont d’abord les premiers défenseurs du service public, de l’intérêt général et leur déontologie leur interdit de faire des choses dont ils savent pertinemment qu’ils ne résoudront pas les problèmes que nous rencontrons.

« Le collège est le maillon faible, il faut apprendre à travailler comme au primaire » : qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Mais comment se fait-il que Najat Vallaud-Belkacem ait abandonnée la « priorité au premier degré » qui était l’axe fort de la loi d’orientation (cf le rapport du comité parlementaire de suivi de la loi) et qui découlait du constat que le noyau dur de l’échec scolaire se constitue dès les premières années de la scolarité et que trop d’élèves arrivent au collège sans savoir lire, compter, sans connaître les fondamentaux ? Najat Vallaud-Belkacem veut faire du Collège un prolongement de l’école primaire, qu’elle mythifie, alors que nous avons besoin d’un collège qui soit adapté aux problèmes spécifiques de nos jeunes adolescents dans une société moderne (entrée dans la culture, découverte des enjeux de la société des adultes, culture commune et acceptation des différences …)

« Et après le 26 janvier? » Nous demandons que la ministre accepte enfin de recevoir l’intersyndicale, qu’elle abroge les textes du 19 mai 2015 et rouvre des négociations pour une autre réforme du collège, dont nous avons besoin. Sans cela, nous continuerons à enliser cette réforme qui est au mieux une occasion manquée au pire une détérioration de la situation, par l’action de résistance passive « GrainS de sable » et par d’autres actions.

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