Le SNES-FSU s’est adressé aujourd’hui au Ministre de l’Éducation Nationale.

Après plusieurs mois de silence, les organisations syndicales ont découvert la formalisation, le 20 novembre, du projet de réforme du gouvernement portant sur les concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré, projet qui soulève une forte opposition.

Les inquiétudes du SNESUP-FSU, le SNUIPP-FSU, le SNES-FSU, le SNUEP-FSU et le SNEP-FSU qui avaient fait part de leur opposition à la mise en œuvre de cette réforme à la rentrée 2020, dénonçant « trop d’incertitudes sur les conditions concrètes, trop de certitudes sur les mesures de dégradation déjà annoncées » ont été renforcés par les dernières informations délivrées par le MEN.

Elles provoquent un vif émoi parmi la communauté universitaire, les formateurs, les associations de spécialistes et la profession. De nombreuses motions rejetant la réforme ont été votées dans les assemblées générales de formateurs réunies dans les INSPE avant les vacances de fin d’année Concernant spécifiquement les concours d’accès à l’enseignement dans les collèges et lycées, le choix de faire l’impasse sur la nécessaire vérification de la maîtrise des dimension disciplinaire par les épreuves des concours traduit une conception du métier que nous récusons, celui d’un métier d’exécution fondé sur l’application de pratiques professionnelles normatives. Ce choix risque en outre d’avoir pour premier effet de se priver de l’important vivier de candidats des étudiants s’orientant tardivement vers nos professions.

Un projet inacceptable

Découvrant la globalité du projet, le SNES-FSU a dénoncé les « mauvaises orientations de la réforme » et la FSU a dit son opposition à « des épreuves de concours qui mettent en avant la motivation aux dépens des connaissances, des étudiants contractuels en responsabilité de classe à tiers temps, des stagiaires qui, après réussite aux concours, seront affectés à plein temps dans leur grande majorité, […] un concours censé être tellement « professionnalisant » qu’il dispenserait l’État de mettre en place une formation post-concours pour ces lauréat·es ».

On ne connaît pas encore en détail la manière dont, dans chaque section du CAPES et du CAPET (l’agrégation n’étant pas concernée par la réforme), le cadrage proposé par le Ministère sera mis en œuvre, mais ce cadrage aura des conséquences importantes. Le SNES-FSU a cependant obtenu la confirmation que les sections ne seraient pas modifiées, et que celles qui établissaient un programme de concours continueraient de le faire.

De nombreuses associations de spécialistes ont elles aussi exprimé leurs inquiétudes, pointant, comme l’APHG, l’AHCESER, l’AHMUF et la SHMESP, pour le CAPES d’Histoire-Géographie, le « recul inacceptable de la dimension disciplinaire » du concours. L’APHG craint que les épreuves tournent « à la récitation d’un catéchisme vertical ». Plus de 800 historienne-s et géographes ont également signé, au 27 décembre, une tribune publiée dans Libération le 10 décembre. Des linguistes, représentés par exemple par la Société des Hispanistes Français, alertent de leur côté contre le « danger pour la qualité de l’enseignement des langues vivantes » que représente un concours marqué par « une réduction sensible de l’évaluation – et par conséquent, de l’enseignement – des compétences culturelles et linguistiques des candidats». La Société Française de Philosophie rappelle que «  la maîtrise réelle des savoirs à enseigner est destinée à demeurer la condition première de tout enseignement efficace ».

Détournement de sens

Le Ministère a repris au SNES et à la FSU, les expressions continuum de formation et entrée progressive dans le métier. Mais dans le projet du Ministre, si l’étiquette est la même, le contenu et les modalités en sont très différents. De longue date, notre syndicat s’est prononcé pour une formation disciplinaire et scientifique de haut niveau, avec l’ acquisition d’une professionnalité construite depuis la licence jusqu’aux trois premières années d’exercice du métier après le recrutement. C’est pourtant le double choix contraire que fait le ministère : raccourcir de fait le temps de « formation », en la concentrant pour de très nombreux étudiants presque totalement en amont du concours ; réduire largement la formation à un apprentissage sur le terrain, sans prendre garde ni à l’accompagnement de ces périodes « en activité », ni à la réussite des études disciplinaires. Le SNES-FSU a au contraire développé un schéma de formation qui articule les deux, dans la durée (voir Annexe 2).

Pas d’entrée dans le métier par la précarité

Dans le projet actuel, il ne s’agit en réalité que de tremper l’étudiant-e, le plus tôt possible, dans l’eau du métier : le statut d’AED « en préprofessionnalisation » inauguré à la rentrée 2019 le permet déjà dès la L2 pour des interventions ponctuelles sur des séquences pédagogiques, sous la responsabilité du professeur, en l’élargissant à l’accompagnement personnalisé en L3 et à l’enseignement de séquences pédagogiques complètes, en responsabilité, en M1. Avec la réforme proposée, une part très importante des candidats au concours serait placée en responsabilité d’élèves pour l’équivalent d’un tiers de service (6 heures d’enseignement dans les collèges et les lycées), sous statut contractuel. Il n’est ici nullement question de contenus de formation, mais bien seulement de pratique. Ironie de l’histoire, après une formation aussi « progressive » et très largement inspirée par le seul « terrain », les lauréats du concours qui auraient suivi un Master MEEF seraient placés … à temps complet devant les élèves immédiatement après le concours, comme ce fut le cas à l’époque de Xavier Darcos, avec les effets que l’on sait.

Des projets de concours à revoir

Fonder le concours sur cette supposée formation pré-professionnelle aurait de plus des incidences graves sur le nombre de candidats ; de manière constante depuis plus d’une décennie, près de la moitié des candidat-e-s aux CAPES et au CAPET choisissent tardivement de se présenter aux concours de recrutement du second degré, et n’ont donc suivi ni Master MEEF ni enseignements spécifiques avant le concours. Le projet de réforme en prévoyant un unique concours très professionnalisé avantagerait les seuls candidats issus des Master MEEF mais pénaliserait tous les autres, parmi lesquels celles et ceux, très nombreux et indispensables au fonctionnement quotidien de l’Education Nationale, issus de Master exclusivement disciplinaires ou en ré-orientation professionnelle. Le SNES-FSU propose au contraire d’instaurer dans les concours des options correspondant aux différents cursus antérieurs, afin de préserver tant la richesse des viviers que leur volume, tout en respectant les choix de parcours des étudiants.

En outre – et tous les experts de la formation des enseignants et personnels d’éducation s’accordent sur ce point – la maîtrise professionnelle ne peut se construire que peu à peu, de la préprofessionnalisation dans le cursus de formation universitaire jusqu’après plusieurs années d’exercice révolues. Prétendre au contraire évaluer, par le biais d’un concours à nombre d’épreuves réduites et déconnectées de la vérification de la compétence disciplinaire, des compétences qui ne peuvent s’acquérir que dans un temps long, relève d’un non-sens absolu. En réalité, le Ministère fait le choix de reporter sur les étudiants préparant les concours du Second degré la charge qui lui incombe, en tant qu’employeur, de proposer une formation professionnelle jusque là proposée après le concours. Le gain financier se mesure aussi par sa volonté de mettre un maximum de stagiaires à temps plein après leur réussite au concours.

Garantir un vivier de candidats par de vrais prérecrutements ; diversifier les voies d’accès

La réforme qui se dessine de plus en plus nettement n’a donc nullement pour objectif de former plus et mieux enseignants et CPE , en confortant leur autonomie réflexive dans l’intérêt des élèves, mais vise à cadrer très tôt des pratiques professionnelles inspirées par l’employeur, à la mode du moment, et à les fonder sur des tours de main plutôt que sur des savoirs et pratiques nourris de la recherche. Elle aura aussi pour effet de saper encore plus le vivier de recrutement, dont l’extension, compte tenu des difficultés persistantes – et qui s’aggravent -, devrait au contraire être le cœur des préoccupations de la réforme. Le SNES porte, avec les autres syndicats de la FSU, le mandat du prérecrutement. Cette mesure a été mise en œuvre avec succès jusqu’à la fin des années 1970, lorsque les enfants des classes populaires jusqu’alors exclus du second degré y ont fait leur entrée ! Aujourd’hui, face à une crise de recrutement que personne ne conteste, il n’existe plus aucune aide financière spécifique pour les étudiants qui préparent les concours, ni aucun dispositif accompagnant les reconversions professionnelles vers cette branche.
Les prérecrutements ambitieux que nous proposons (voir annexe 3) sont une nécessité pour répondre à la crise d’attractivité des concours, pour démocratiser l’accès à nos professions, et pour mieux et plus former les enseignante-s et les CPE.

En conclusion :

Le SNES-FSU porte ainsi le projet d’embrasser à la fois les différentes dimensions de la formation sur la base d’une démarche de formation progressive et inscrite dans un temps long pour en garantir la qualité, et la diversification des profils des candidats pouvant réussir le concours, afin de préserver des viviers suffisants de candidat-es. Ces voies diversifiées peuvent se concrétisent par l’instauration d’un concours unique, à options, et doivent déboucher sur une même qualification et la volonté que tous aient en fin de cursus des compétences permettant d’exercer des métiers de conception au sein du Second degré.

Le projet que porte actuellement le Ministère rencontre une opposition grandissante. Il apparaît inopérant, en raison même de la nature des épreuves de concours qu’il propose, de la rigidité de ce modèle de concours, qui sous-tend une logique de recul de la construction d’une professionnalité fondée sur la maîtrise disciplinaire et des apports théorique de haut niveau. Nous estimons qu’à ce jour, ce projet serait préjudiciable s à la formation initiale des personnels du Second degré, aux flux de candidats se destinant à nos métiers, et à conception même de nos métiers. Nous vous appelons à reprendre les discussions sur d’autres bases : c’est tout le système éducatif qui en sortirait renforcé.

Annexe 1 :
Des vois d’accès diversifiées et un concours « à options » pour conforter les viviers de candidat-e-s

Le SNES-FSU propose 3 voies d’accès au concours : une voie reposant sur un cursus progressivement professionnalisant, obligatoire pour les pré-recrutés ; une voie destinée aux candidats déjà titulaires d’un Master n’ayant pas suivi de pré-professionnalisation ; une troisième voie qui s’adresse à celles et ceux qui ont déjà eu une activité professionnelle, et pourrait s’étendre au cas de disciplines qui ne disposent pas de cursus universitaire. Un concours proposant des options, par exemple sous la forme d’épreuves, pour une part communes et, d’autre part spécifiques aux parcours menant à ce concours, est un moyen de concilier les trois voies d’accès à nos métiers définies plus haut, et de préserver les viviers de candidat-e-s.

Une première voie s’adresserait aux étudiantes et étudiants qui font le choix des parcours préparant au métier d’enseignant précocement dans leur cursus universitaire et reposerait sur un cursus détaillé à l’Annexe 2.

Une seconde voie serait destinée aux candidats déjà titulaires d’un Master au moment des épreuves. Le concours doit tenir compte du fait qu’ils n’ont pas eu de pré-professionnalisation. Les lauréats de ce concours doivent ensuite pouvoir bénéficier de deux années en alternance réelle (pratique accompagnée, puis responsabilité, didactique, connaissance du milieu…). Le temps de service après la réussite au concours serait modulé : au maximum 1/3 de temps de service la première année, un mi-temps la seconde, 2/3 de service la troisième année.

Une troisième voie serait une voie de reconversion, du type des récents troisième Concours, avec un concours vérifiant les compétences disciplinaires. Après le concours il y aurait, là aussi, deux années de formation en alternant théorie et pratique. Le temps de service après la réussite au concours serait modulé : au maximum 1/3 de temps de service la première année, un mi-temps la seconde, 2/3 de service la troisième année.

Annexe 2 :la formation progressive du SNES-FSU

La première voie d’accès aux métiers du Second degré, décrite à l’Annexe 1, est basée sur un cursus progressivement professionnalisant dès la Licence, dont le déroulé est décrit ci-dessous. Elle permet une réelle formation intégrée qui articule au mieux formation scientifique et pré-professionnelle. Elle est appelée à être la voie que suivent les étudiants prérecrutés (voir Annexe 3)

La licence est le premier temps de la construction de la maîtrise des savoirs disciplinaires produits par la recherche universitaire, comme le proposent classiquement les formations en place, mais également un temps possible d’enrichissements pour l’approche et la compréhension des enjeux et débats liés à la discipline scolaire ou aux missions : des apports dans les domaines de l’épistémologie, de la didactique et de l’histoire des disciplines universitaires peuvent y contribuer utilement.

Au cours du master, doivent pouvoir progressivement s’ajouter à l’approfondissement disciplinaire des dispositifs permettant la découverte des enjeux spécifiques liés à nos métiers d’enseignement et d’éducation, à leur complexité, à leur rôle sociétal : connaissance du système éducatif, de son organisation, de son fonctionnement, de sa construction et de ses enjeux ; sociologie des apprentissages par exemple. Cette formation doit intégrer une formation à, et surtout par, la recherche et ses démarches pour permettre un premier développement de compétences ultérieures fondamentales pour nos métiers : veille documentaire, par exemple, sur les disciplines et leur didactique, mais surtout analyse et adaptation professionnelle, rendus possibles par l’interrogation féconde des savoirs et de leur construction, des spécificités disciplinaires et didactiques ou l’analyse pertinente des situations et des évolutions de l’environnement professionnel. Mais parce que les questions de transmission des savoirs, de didactique des apprentissages ou de posture professionnelle n’existent ni « en soi » ni ne conçoivent« hors-sol », ces formations ne peuvent qu’être fortement liées à la discipline scolaire ou la spécialité choisie au moment du concours, et s’ancrer dans la maîtrise de ses racines et spécificités.

Après le concours, vient le temps de la formation véritablement professionnelle, qui doit se poursuivre sur trois années au moins, et articuler les composantes quotidiennes de la vie des disciplines scolaires dans une perspective de construction d’une posture professionnelle d’expert des processus nécessairement complexes d’apprentissage : développement de l’expertise didactique disciplinaire, programmes et enjeux scolaires de la discipline – bien différents des disciplines universitaires ; utilisation consciente et pertinente des TICE ; accompagnement progressif à la prise de poste. Elle doit apporter une solide professionnalisation sur les questions de gestion du groupe-classe, des interactions à construite et réguler dans la classe ; une aide à la construction concrète de séances et de séquences pédagogiques ; des éléments sur les troubles des apprentissages et la psychologie de l’adolescent, etc. Le temps de service après la réussite au concours doit permettre à la formation professionnelle de se dérouler dans de bonnes conditions : pas plus du 1/2 de temps de service devant élèves la première année ; 2/3 la seconde ; réduction de 2h la troisième année.
Il s’agit par là de nourrir progressivement et durablement, les pratiques, fondamentales pour la réussite des élèves, de futurs professionnels des enseignements et de l’éducation, à la hauteur du rôle essentiel qui leur est assigné dans notre pays.

Annexe 3 : les prérecrutements selon le SNES-FSU

Les pré-recrutements permettraient non seulement un financement des études, mais aussi de constituer des viviers dans toutes les disciplines, générales et professionnelles, réguler et orienter celles et ceux qui souhaitent, tôt dans leur scolarité, devenir enseignant-es ou CPE. Ce qui peut être actuellement vécu comme une dépense est en réalité un investissement pour l’avenir.
Pour l’étudiant, être pré-recruté le libère non seulement de contraintes financières, mais le rend disponible pour assumer une quantité de travail spécifique et exigeante, ce qui lui permet de suivre les modules de préprofessionnalisation tout en acquérant les compétences et savoirs spécifiques au master.

Extrait des mandats du Congrès de Reims (2012), confirmés à Marseille (2014) et Grenoble (2016) :
Les étudiants se destinant précocement aux métiers de l’éducation pourront candidater au prérecrutement à toutes les étapes du cursus universitaire, mais particulièrement en fin de L2, de sorte qu’en L3, le nombre de prérecrutés devrait être au moins égal à la moitié du nombre de postes offerts aux concours de recrutement. Les concours de prérecrutement auront lieu sur la base d’épreuves disciplinaires. Devenus élèves-professeurs ou élèves-CPE, versant la retenue pour pension civile, les prérecrutés auront l’obligation de servir l’État pendant cinq ans. Ce dernier ne pourra pas les utiliser comme moyens d’enseignement, ni constituer un vivier de personnels précaires avec ceux qui auraient échoué aux concours de recrutement. Ils devront, dans le cadre du cursus qu’ils auront choisi (licence puis master), suivre des modules de préprofessionnalisation qui, par ailleurs, ne leur sont pas réservés.(voir l’Annexe 2 pour la description de ce parcours de formation).

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