Le nouveau lycée peut sembler à première vue rassurant pour notre discipline (du moins en termes d’horaires). Mais comme toujours, le diable se trouve dans les détails, et surtout les fameux aspects « techniques » censés être discutés plus tard – c’est à dire maintenant, avec une part importante de décisions renvoyées aux niveaux académique voire local

 

Une perte horaire difficile à chiffrer

 

En considérant uniquement le « socle de culture commune » en première et terminale générale, sans les enseignements de spécialité (voire plus loin), à une diminution des horaires disciplinaires de 2 heures pour les séries ES et L, et à une augmentation 1,5 heure pour les séries S. Les STMG perdent une heure pour l’ensemble du cycle terminal, mais les séries technologiques qui passaient le baccalauréat à l’oral en épreuve anticipée « gagnent » une année puisque cette épreuve disparaît. Les conséquences en termes de postes seront donc très différentes en fonction du profil des établissements.

Et ce calcul n’intègre pas :
– la disparition des TPE, remplacés par une épreuve orale terminale qui n’a pas d’horaire spécifique de préparation
– la disparition de l’AP, souvent disciplinaire dans le cycle terminal (il est prévu 1h30 hebdomadaire par élève uniquement consacrée à l’orientation) ;
– les heures à effectifs réduits : une enveloppe horaire de 12 heures hebdomadaires par division en seconde (8 heures en première et en terminale, le calcul est plus complexe pour les séries technologiques) mais elle devra servir aussi pour les enseignements optionnels et pour l’AP.
La « facture » pourrait donc être encore plus lourde.

 

Une nouvelle spécialité

 

« Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », dotée de 4 heures en première et 6 heures en terminale est créée.
Comme d’autres « nouveautés » (« Langues, littératures cultures étrangères » ; « humanités, littérature et philosophie »), elle consiste à globaliser des enseignements différents dans un « paquet » aux contours plus ou moins flous. Un des enjeux est clairement de remettre en cause les disciplines scolaires, et la qualification disciplinaire des professeur-e-s qui les enseignent, notamment parce que cela permet une « gestion des ressources humaines » plus « flexible ».

Dans ce cas précis, on associe dans un même « enseignement » les professeur-e-s d’histoire-géographie et de sciences économiques et sociales. Ils et elles ont des formations universitaires initiales très diverses, qui se recoupent parfois, mais la science politique est une des disciplines de référence des SES, présente dans ses programmes, et surtout évaluée dans ses concours de recrutement. Or ce sont les concours qui fondent la qualification disciplinaire des enseignants. Que cherche-t-on à faire en créant de cette façon des enseignements nouveaux ? Mettre en concurrence des collègues, pour donner du « grain à moudre » au Conseil pédagogique ? Contraindre au travail en équipe interdisciplinaire au lieu d’en créer l’envie et les conditions (temps de concertation, programmes adéquats…) ? Effacer les spécialisations des enseignant-e-s, pour favoriser une polyvalence qui pourra ensuite s’étendre ?

Il est impossible de se rendre compte, avant d’en avoir étudié le programme (projet sur lequel le Conseil supérieur des programmes travaille à l’heure actuelle car il devrait être rendu public en novembre 2018), qui aura vocation à prendre en charge les heures dévolues à cette spécialité. La présence même de la spécialité dans tous les lycées n’est pas assurée. Une note de service de la DGESCO publiée au BO le 6 septembre précise que seules 7 spécialités sur les 12 existant en théorie devront être accessibles aux élèves dans un périmètre géographique « raisonnable » (incluant les établissements privés.)

 

La question de l’évaluation et du baccalauréat

 

Le bac Blanquer signe la disparition de l’épreuve écrite terminale d’histoire-géographie pour la quasi totalité des élèves des séries générales et technologiques (et la disparition de l’oral dans certaines séries technologiques également). Les élèves des séries générales ayant choisi la spécialité passeront une épreuve écrite de 4 heures dont on ne sait pas encore à quel moment de l’année scolaire elle aura lieu (pas en juin en tout cas) ni quelle en sera la forme. En effet les épreuves écrites correspondant à des enseignements de spécialité sont censées servir à l’orientation dans le supérieur en lien avec Parcoursup

Quoi qu’on pense de l’état actuel des épreuves terminales d’histoire-géographie – elles posent des problèmes que nous réclamons de mettre sur la table depuis la précédente réforme au moins, c’est une rupture majeure que la disparition de cet horizon d’attente commun. A la place, le contrôle continu reposera d’une part sur des épreuves communes organisées au cours des années de première (deux) et terminale (une), d’autre part sur la prise en compte de l’évaluation chiffrée annuelle (bulletins).

« L’organisation des épreuves communes relève de chaque établissement scolaire, qui en détermine les modalités d’organisation » Concernant l’organisation d’épreuves locales, l’exemple des ECA en langues vivantes doit nous inquiéter, car dans bon nombre d’établissements, pour ne pas dire l’immense majorité, elles représentent un surcroît de travail important qui retombe davantage sur les enseignants que sur l’administration.
Dans sa communication Jean-Michel Blanquer a minimisé le risque de désorganisation du temps d’enseignement lié à l’organisation des épreuves communes, en expliquant que cela ne serait pas plus contraignant que les « bacs blancs ». D’une part, ces derniers n’ont aucun caractère obligatoire, et la plupart des lycées choisissent de n’en faire qu’un en terminale en raison des contraintes que cela suppose (travail supplémentaire important pour les équipes, cours des autres classes annulés, temps consacré aux corrections). D’autre part, ce que propose le Ministère revient à démultiplier le baccalauréat au lieu de le simplifier – trois épreuves au lieu d’une seule !

Le bac Blanquer fait mine d’avoir pris en compte les critiques sur le contrôle continu et les épreuves locales et propose « pour garantir l’égalité entre les candidats et les établissements scolaires » une banque nationale numérique de sujets, l’anonymat et l’échange des copies entre collègues, et enfin une « commission d’harmonisation des notes » dans chaque académie (ce qui existe à l’heure actuelle pour les TPE). Cette « solution » ne peut faire illusion. Tous les élèves ne travailleront plus sur les mêmes sujets – le principe d’une « banque » étant de permettre aux équipes de chaque lycée de « piocher » dedans pour organiser localement leur évaluation. Les candidat.e.s seront peut-être – sans doute – évalués équitablement, mais au sein de leur propre lycée. L’anonymat des copies semble une garantie assez mince en particulier dans les petits établissements.

Surtout, cette organisation suppose pour les professeur-e-s d’histoire-géographie un alourdissement considérable des tâches liées à l’évaluation, au détriment du temps consacré à la préparation et à la mise en œuvre des activités pédagogiques (cours mais aussi diversité de projets, sorties, etc). Qui osera « perdre du temps » au risque de mettre en difficulté ses élèves par rapport à la progression commune décidée en équipe ? On retrouvera en première comme en terminale un stress et une pression permanents liés à ces « épreuves communes », avec le risque supplémentaire de dégrader la relation avec les élèves et les familles du fait de l’importance du contrôle continu dans la note finale du baccalauréat (40%).

 

Et les programmes dans tout cela ?

 

Le Conseil supérieur des programmes, saisi d’une commande pour mettre en œuvre toutes les nouveautés du lycée Blanquer à la rentrée 2019 en première et en seconde, a commencé à travailler en juin 2018… et les programmes devront être soumis au vote du Conseil supérieur de l’éducation en décembre 2018 ou janvier 2019.
Compte-tenu de ce délai très court, mais aussi de la conception idéologique qu’a le ministre Blanquer de l’enseignement de l’histoire-géographie, conception partagée par la présidente du CSP Souâd Ayada, le risque est grand que l’on passe à côté de l’occasion de sortir des impasses des programmes des trois séries générales actuelles.
Le groupe histoire-géographie du Snes-FSU a fait bien sûr valoir sa conception de l’enseignement de nos disciplines, mûrie de longue date grâce à la réflexion collective menée dans les stages nationaux et académiques, les journées de réflexion disciplinaire, et les échanges sur notre liste de diffusion.

Ces programmes devront aussi tenir compte du rythme des épreuves communes. Il est à craindre qu’il ne reste plus grand chose de notre liberté pédagogique dans un cadre aussi contraint (comment imaginer par exemple des questions au choix, telles qu’elles existent aujourd’hui dans les séries technologiques ?).
Enfin, quelle forme précise sera définie pour élaborer les sujets des épreuves communes de la fameuse banque numérique ? Dans quelle mesure reprendra-t-elle les différents types d’exercices caractéristiques de nos disciplines (analyse critique de document, réflexion organisée et argumentée sur un sujet, travail cartographique…) ? On peut supposer par exemple que la durée des épreuves communes ne pourra pas correspondre à celle des épreuves terminales actuelles des séries générales – voire technologiques. En multipliant par trois le nombre d’épreuves, cela serait très chronophage ! Le rapport Mathiot suggérait déjà de recourir à une plus grande diversité de modalités d’évaluation dans le secondaire, incluant par exemple les QCM (qui existent déjà dans certaines disciplines). Le fait est que pour l’heure, alors que les professeur.e.s d’histoire-géographie avaient pris l’habitude de commencer à travailler les méthodes utiles pour le baccalauréat dès la seconde, il est impossible d’expliquer aux élèves concerné.e.s à quoi ils et elles doivent se préparer.

Sur l’ensemble de ces sujets, horaires, conditions d’enseignements, contenus, pratiques de classe, le Snes-FSU sera vigilant et défendra un enseignement riche et ouvert de nos disciplines, permettant l’accès de tous les élèves à une culture commune ambitieuse.

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