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Une enquête « anonyme » et « confidentielle » dans laquelle « tous les professeurs pourront dire ce qu’ils attendent » assurait le Ministre de l’Éducation Nationale le 26 février sur France Inter. Mieux, « on va faire quelque chose de totalement inédit au mois de mars, une grande enquête par Internet, qui va nous permettre, auprès des 850 000 professeurs, de connaître à la fois, leur ressenti, leurs préconisations, leurs idées, leur volonté  », avant d’ajouter « tous les professeurs pourront dire ce qu’ils attendent ».

Consulter les profs, mais aussi leurs voisins ?

Tous les professeurs, vraiment ? Visiblement oui, et même bien plus. En effet, si le lien a bien été envoyé sur la boite mail académique de chaque enseignant, aucune identification n’est demandée en début ou fin de questionnaire, si bien que des personnes non enseignantes ont pu répondre à l’enquête sans aucun problème. Le Ministère assure que « des procédures de contrôle standardisées et de nettoyage des données sont systématiquement appliquées par le prestataire du traitement des données ». Au-delà du caractère peu clair d’une telle réponse, reste une question : que deviendront les réponses cohérentes faites par des personnes qui ne relèvent pas du champ de l’Education Nationale ? De plus, dans le mail envoyé à chaque professeur sur sa boite mail académique, il est bien précisé que le « questionnaire est individuel, anonyme et confidentiel ». Pourtant, plusieurs collègues ont pu répondre plusieurs fois au questionnaire. Si une sécurisation de la procédure n’est pas rapidement assurée, quelle sera la validité scientifique de cette enquête ? Le Ministère doit rapidement apporter des réponses sur ces points de méthode, sauf à assumer ouvertement une consultation biaisée dès le départ, alibi médiatique d’une opération politique

Il n’y a pas que les profs dans un collège, un lycée ou un CIO !

Une enquête sur le métier d’enseignant certes, mais en oubliant tous les autres personnels qui font vivre l’Éducation Nationale au quotidien, comme, dans le second degré, les CPE, les PsyEN, les AED, les AESH qui ne font pas partie des personnels appelés à répondre. Pourquoi cet oubli ?

Et vous, votre proche, vous le qualifiez comment ?

Si certaines questions ont évolué suite aux remarques faites par les organisations syndicales, on lit quand même entre les lignes une forme de précipitation pour coller au calendrier politique du Ministre (vite faire une consultation, pour pouvoir la dépouiller avant la grande conférence internationale sur le métier d’enseignant au 21eme siècle prévue à la fin du mois de mars)  : ainsi, certains libellés de réponse sont pour le moins surprenants, car ils ressemblent fort à un copier-coller des réponses précédentes : à la question « comment qualifierez-vous vos relations avec les acteurs suivants ? », une réponse propose de qualifier nos relations avec « le directeur d’école », le chef d’établissement », « des collègues autres qu’enseignant  » et…« un proche  » ! Soit exactement la liste des réponses de la question précédente. Mais pourquoi le Ministre voudrait donc savoir comment chacun qualifie ses relations avec « un proche » ?!

Consultation en ligne au 21eme siècle….dans l’Education Nationale

A peine la consultation ouverte, les premiers bugs sont apparus : temps de validation particulièrement long et parfois une mauvaise surprise pour celles et ceux arrivés au bout des 43 questions qui se voient refuser la validation pour cause de problèmes de connexion. Une preuve de plus que l’école du 21eme siècle est loin d’être entrée dans l’ère du numérique. De là à penser que, dans un autre domaine, la promesse de pouvoir assurer la connexion de 6 à 7 millions d’élèves à une plateforme de cours en ligne en simultanées se fera sans problème…

Pourquoi cette consultation ?

Mais au-delà des questions de forme, une question de fond, centrale, se pose. Pourquoi cette grande consultation ? Pour ouvrir un vrai débat, honnête et plus que nécessaire, sur les conditions de travail ? Ou bien pour légitimer le projet politique de Jean-Michel Blanquer et sa vision du professeur du 21eme siècle ? Le Ministre ne fait pas mystère de son projet pour l’école, déjà largement exposé dans son livre (l’école de demain), paru en 2016. Et un certain nombre de déclarations et même de décisions de ces derniers mois ne laissent pas de place au doute. Si le Ministre emploie moins le mot de contreparties, c’est bien le modèle qu’il a en tête : tenter un marchandage (pseudo) revalorisation contre de nouvelles missions synonymes d’alourdissement des tâches. La preuve en acte, avec le décret formation pendant les vacances, passé l’an dernier en dépit de l’opposition des organisations syndicales. Cette question a été largement évoquée dans les discussions entre les organisations syndicales et le Ministère et…surprise, elle figure dans le questionnaire, à la question n°31, certainement non dénuée d’arrières pensées.

Les nombreuses déclarations ces dernières semaines sur la rémunération au mérite laissent à penser que certaines réponses (les questions sur la rémunération, mais aussi sur la reconnaissance du métier) pourraient être instrumentalisées pour mettre en place cette politique dont de nombreuses études ont pourtant montré les effets délétères sur la cohésion des équipes.

Alors, au final que faire de cette consultation ?

Depuis des mois, le Ministre minimise l’ampleur de la colère dans l’Education Nationale, bien souvent ramenée à l’action d’une minorité vocale ou radicalisée. Si on peut avoir bien peu d’illusion sur l’objectif politique d’une telle initiative, à l’heure où la profession fait entendre sa voix de multiples manières, notamment dans des grèves et dans la rue, à l’heure où les réformes du Ministre sont rejetées par une majorité des personnels, saisissons cet outil pour s’exprimer, notamment dans les questions ouvertes « quelles sont vos principales sources de déception », « y a-t-il une question qui n’a pas été posée précédemment et aurait mérité de l’être ?  », « quels sont les mots qui qualifient le mieux votre métier  ».

Salaires, réformes, retraites, exprimez-vous, gardez une trace de vos réponses, faites-les connaître dès maintenant, en publiant des captures d’écran sur les réseaux sociaux avec le #ConsultationBlanquer, nous les relaierons très largement, et gardez-les pour les confronter aux résultats lorsqu’ils seront publiés.