Peu importe quelles devaient être les orientations préconisées par la Cour des comptes, puisque le rapporteur spécial du Sénat propose largement de les dépasser dans son interprétation du rapport de la Cour. Le dernier paragraphe de son propre rapport sénatorial préconise la suppression des labels REP et REP+.

Politique ou dispositif d’éducation prioritaire ?

La Cour des comptes prétend que « la France mène sans discontinuité depuis 1981 une politique d’éducation prioritaire ». Certes, depuis 1981, des labels se sont succédé, accompagnés de garantie de bonifications diverses selon les époques pour les personnels et de moyens supplémentaires pour les élèves. Toutefois, la continuité de cette politique est discutable car elle n’est qu’une suite de « stop and go » qui l’ont réduite à sa plus simple expression selon les époques (cf « les trois âges de l’éducation prioritaire » de Jean-Yves Rocheix).

Le rapport explique que « Le périmètre, initialement défini […] a plus que doublé au gré des relances de cette politique ». En effet, c’est le cas depuis 1981, point de comparaison qui commence à dater, mais il n’est pas précisé que la dernière relance de l’Éducation prioritaire de 2015 s’est faite à nombre de réseaux constant au lieu de répondre aux besoins réels des établissements. Certains collèges délabellisés accueillent encore de forte concentration d’élèves de milieu populaires.

2017 : L’éducation prioritaire délaissée !

Dans son rapport, la Cour des comptes prétend dresser le bilan de la politique d’éducation prioritaire depuis 2017, laissant entendre que c’est celle de la refondation de 2015. Elle ne présente pas le contexte politique des décisions prises alors qu’il y a eu une rupture franche en 2017.

Dès l’arrivée de J.-M. Blanquer au ministère, le bureau de l’éducation prioritaire a disparu. Puis, en 2018, alors qu’il aurait dû s’atteler à la révision de la carte, il l’a gelée en annonçant une réforme de fond qui devait aboutir à la suppression du label REP, remplacé par une allocation progressive de moyens. Cette décision correspondait déjà à une préconisation d’un rapport précédent de la Cour des comptes. Cette volonté de réduire l’éducation prioritaire à sa plus simple expression s’est heurtée à la crise sanitaire et au confinement liée au Covid, qui a impacté plus violemment les élèves issus de familles populaires et a creusé les inégalités sociales. La réforme n’a cessé d’être repoussée et la carte est restée en l’état depuis dix ans. J.-M. Blanquer n’a jamais porté la politique d’éducation prioritaire initiée lors de la refondation. Il l’a, bien au contraire, sapée par ses mesures et ses discours présentant les collèges ruraux comme lésés de l’éducation prioritaire.

La Cour des comptes reprend aujourd’hui encore ce point de vue alors que les problématiques diffèrent fondamentalement. C’est la concentration d’élèves de familles défavorisées qui accentue les difficultés scolaires, ce qui est plus rare en zone rurale. Il reste des collèges ruraux classés REP parce qu’ils remplissent les critères sociaux idoines. Le SNES-FSU revendique une politique spécifique pour les collèges ruraux, notamment isolés. Cette mise en concurrence vise à dépouiller les publics les plus fragiles des moyens supplémentaires dont ils ont besoin.

Le Président a suivi des recommandations de 2018

En 2018, « La Cour des comptes recommandait de concentrer les moyens sur les premières années de l’enseignement primaire et sur les REP+, d’adapter la gestion des enseignants et de fortifier l’autonomie, la responsabilité et l’évaluation des réseaux ». Le président Macron a suivi au moins les deux premières préconisation de la Cour des comptes. Il a imposé ses décisions à son ministre J.-M. Blanquer.

En effet, une de ses promesses de campagne était de fortement augmenter l’indemnité REP+ des personnels concerné.es mais avec une partie modulable « au mérite de l’équipe » désormais répartie sans aucune transparence par les rectorats. « Les REP+ ont bénéficié depuis 2015 de mesures ciblées bien plus favorables qu’en REP telles que les indemnités spécifiques rehaussées en plusieurs étapes, dans le but d’attirer et de fidéliser les personnels ou les heures libérées pour favoriser la collaboration et formation des équipes ». Cette préconisation de la Cour en 2018 a rempli son objectif d’après son dernier rapport. Toutefois, la Cour regrette que ce soit au détriment des collèges REP et ruraux isolés qui ont plus de mal à attirer et à conserver leurs personnels. Le SNES-FSU demande que l’indemnité REP+ soit étendue aux REP. Aujourd’hui le hiatus indemnitaire entre REP et REP+ est devenu un gouffre qui ne se justifie pas. Les difficultés rencontrées dans leur travail par les personnels en REP justifient une augmentation de leur indemnité.

Le président E. Macron a aussi investi une grande partie de l’effort destiné à l’éducation prioritaire dans l’école primaire puis la maternelle. Il a financé un dédoublement systématique des classes de CP, de CE1 en REP+ puis en REP et par la suite aussi en grande section de maternelle. Cela a demandé de réorganiser des écoles. La Cour des comptes souligne les travaux que des collectivités territoriales ont dû entreprendre sur le bâti pour ce faire. Tout cela a été imposé sans réelle concertation avec les personnels. Un dispositif « plus de maîtres que de classe » avait pourtant été mis en place lors de la refondation de 2015 et semblait satisfaire la profession. Il a été balayé d’un revers de main sans prendre la peine d’en dresser le bilan. La Cour des comptes estime désormais qu’il n’est pas utile de dédoubler ces classes sur l’ensemble de l’horaire hebdomadaire. Alors qu’elle pointe l’amélioration du climat scolaire dans ces écoles, elle réclame aussi de relever les seuils de ces groupes de 12 à 15 ou 17 élèves. Le dispositif précédent avait l’avantage d’une plus grande souplesse puisque les maîtres surnuméraires permettait de dédoubler ou de coanimer sur des moments choisis.

Le Cour insiste sur les effets pervers de ses propres recommandations de 2018, sans pourtant sembler y voir un lien de causalité. L’effet des dédoublements sur les résultats scolaires des élèves se perdraient au collège d’après le rapport mais les classes de CM n’ont pas été dédoublées voire sont plus chargées qu’avant. Ces investissements sur le primaire et sur les REP+ semble avoir rigidifié la carte de l’éducation prioritaire. Comment délabelliser une école pour laquelle une mairie a financé de gros travaux immobilier dans le cadre des dédoublements ? De même, des équipes de REP+ résisteront davantage pour ne pas perdre leur indemnité conséquente. C’est probablement pourquoi aucun.e des ministres suivant.es n’ont révisé la carte de l’éducation prioritaire !

Aucune autocritique de la Cour n’émane du rapport.

La Cour critique la pondération REP+

La Cour des comptes critique aussi l’usage de la pondération REP+ en collège. Elle estime qu’il faudrait piloter davantage les professeur.es sur le temps de pondération, c’est-à-dire que les chef·fes d’établissement organisent des réunions ou des formations obligatoires. Ce faisant, elle nie le travail collaboratif informel des collègues, tel qu’il a été reconnu par cette pondération car les établissements de l’éducation prioritaire nécessitent plus encore que les autres un collectif de travail. Le SNES-FSU ajoute que ce temps de concertation informel manque cruellement aux équipes de collèges REP, voire aussi en REP+ quand la pondération est remplacée par des maxima de services rémunérés en heures supplémentaires annuelles.

Des personnels lassé·es par la formation continue ?

Les professeur·es des écoles interrogé·es, stabilisé·es par l’indemnité en REP+, se disent lassé·es des formations répétitives, ou bien y renoncent faute de personnel dans les brigades de remplacement. La Cour des comptes ne pointe pas l’appauvrissement des plans académiques de formation, qui explique pourtant la désaffection des professeur.es du second degré pour la formation continue. Nombre d’entre elles passent en format Magistère et depuis deux ans la tendance générale vise à placer les formations en plus du temps de travail des personnels (mercredi après-midi, soirée,…). Est-il vraiment étonnant qu’surcharge de travail rendent les formations moins attractives ?

La Cour des comptes oublie aussi de pointer la pression des formateurs et formatrices pour imposer de « bonnes pratiques » comme la méthode d’apprentissage de la lecture chère à J.-M. Blanquer.

CLA, TER et Cités éducatives

La Cour des comptes estime que la création de nouveaux dispositifs tels que les Cités éducatives, les Contrats locaux d’accompagnement (CLA) et enfin les Territoires éducatifs ruraux (TER) – dont on se demande bien pourquoi elle les associe à l’éducation prioritaire – rend illisible la politique d’éducation prioritaire.

Est-ce étonnant ? Ces dispositifs ont été créés sous le ministère de J.-M. Blanquer qui souhaitait démanteler l’éducation prioritaire en supprimant le label REP. C’est pourquoi, dans la sorte de novlangue qu’il employait, il a parlé de « nouvelle éducation prioritaire ». Le SNES-FSU considère que les CLA offrent moins de moyens que le label, de plus ils sont contractualisés. C’est une faible compensation pour des établissements hors carte mais qui en auraient les critères. C’est aussi une façon de rendre des établissements privés sous contrat éligibles à des financements publics supplémentaires.

Le modèle de la Cité éducative convient cependant à la Cour des comptes : un copilotage de l’État et des collectivités territoriales et le ou la chef·fe d’établissement. Elle souhaiterait les voir généralisées. C’est d’ailleurs le projet d’E. Borne qui avait annoncé qu’il y en aurait dans tous les quartiers « politique de la ville ». Le SNES-FSU dénonce au contraire l’entrisme des politiques locaux dans la vie pédagogique des collèges ainsi que celui d’une kyrielle d’associations opportunistes. Le TER est conçu comme une cité éducative rurale, avec un budget bien moindre.

Les orientations de la Cour des comptes

La Cour des comptes conclut sont rapport en proposant deux orientations :

– « Mettre en cohérence l’ensemble des moyens concourant à la mixité sociale et à l’égalité des chances au sein même de la politique scolaire de l’éducation nationale, tout en veillant à une bonne adéquation avec l’action des autres acteurs (politique de la ville, secteur médico-social, etc.)

– « simplifier les mécanismes d’allocation des moyens pour permettre une meilleure lisibilité et davantage de progressivité dans la mise en œuvre de cette politique tout en veillant à faire évoluer les pratiques professionnelles au bénéfice de la réussite des élèves ».

L’avis du SNES-FSU

La Cour des comptes considère désormais l’Éducation prioritaire comme un « dispositif » alors que le SNES-FSU demande une politique nationale à part entière et ambitieuse pour pouvoir fonctionner pleinement.

La politique d’éducation prioritaire a été sabotée depuis le ministère de J.-M. Blanquer. Chaque année, des collèges REP ou REP+ voient leur dotations horaire diminuer et le seuil d’élèves par classe augmenter progressivement. La Cour des comptes peut donc en effet la considérer comme « essoufflée » mais les politiques ont pourtant suivi ou tenté de suivre ses consignes délétères.

La Cour des comptes rappelle que «  seize collèges avec un IPS inférieur à 80 sont situés hors éducation prioritaire, dont le 104 ème collège qui présente un IPS le plus bas (70,5). » Pour le SNES-FSU, l’urgence est de réviser la carte alors que les inégalités sociale se sont creusées et que le taux de pauvreté est très élevé. Il faut le faire avec ambition, c’est-à-dire en fonction des besoins et non pas selon une logique de contractualisation en y intégrant des lycées qui en relèveraient. Les collèges classés doivent pouvoir retrouver des dotations horaires conséquentes pour permettre d’étayer l’apprentissage des élèves (dédoublements réguliers, …).


Vos questions
Le Snes défend les droits individuels et collectifs. Vos représentants vous répondent, vous conseillent et vous accompagnent.
Accès à la FAQ

Vous ne trouvez pas votre réponse, posez-nous votre question