Des programmes infaisables

D’un point de vue global, la première chose qui frappe à la lecture de ces programmes est leur longueur et leur ampleur qui poseront forcement des problème de mise en œuvre. Ainsi en classe de seconde il faudra traiter en 10 à 12 heures (évaluations incluses) les deux chapitres sur la Méditerranée (Méditerranée antique avec les « empreintes grecques et romaines » et Méditerranée médiévale avec l’étude d’un « espace d’échanges et de conflits à la croisée de trois civilisations »). De même que penser du thème 1 de la classe de première «L’Europe face aux révolutions » qui balaie en 11 à 13 heures, Révolution française, empire, restauration, Congrès de Vienne, essor du mouvements des nationalités, ainsi que les « poussées révolutionnaires » de 1830 et 1848 en France et en Europe.

Le Snes-FSU a présenté et soumis au vote en CSE de nombreux amendements qui visaient à alléger ces programmes. Ces amendements pourtant votés à une large majorité n’ont pas été pris en compte par le Ministère.

Les « points de passage et d’ouverture » sont en réalité des exemples obligatoires autour desquels les enseignants devront construire leur cours. Ils s’ajoutent à la partie « objectifs du chapitre ». Très nombreux, ils renforcent le caractère encyclopédique des programmes, davantage conçus comme une somme de connaissances plutôt que comme un cadre permettant la construction de méthodes et de capacités propres à l’histoire et à la géographie.

Une discipline réduite à du gavage

Ainsi le tableau des capacités et méthodes ne met pas en valeur les capacités de réflexion, celles liées à l’esprit critique et méconnaît les processus de construction d’une pensée. Les programmes préfèrent faire utiliser ou « s’approprier » des outils ou des méthodes plutôt que de les faire construire par les élèves. Il est bien illusoire de penser que ces capacités pourront être véritablement travaillées en classe à raison de 3 heures hebdomadaires, sans dédoublement, dans des classes très chargées et de surcroît en respectant une progression commune pour préparer les élèves aux épreuves de contrôle continu qui débutent en janvier de l’année de première.

Le pire est à craindre pour les séries technologiques : avec une heure trente hebdomadaire le programme garde les mêmes thématiques. Loin d’être un texte ambitieux auquel les élèves des séries technologiques « ont droit » comme les autres, on peut voir dans cette posture du Ministère un véritable mépris pour les spécificités de la voie technologique ainsi que les réalités du terrain.

Psittacisme

Les nouveaux programmes sont marqués par leur extrême redondance avec les thèmes déjà abordés aux cycle 3 et 4 et caractérisent une conception de l’enseignement de l’histoire proche du psittacisme. S’il semble utile que l’enseignement revienne sur les mêmes périodes ou les mêmes champs d’étude, afin de consolider les acquis, il devrait le faire en multipliant les approches et en tenant compte de l’âge et de la maturité des élèves.

Par exemple, en géographie, en classe de première, au thème 2 « Territoires populations et développement : quels défis ? », les études de cas suggérées sont celles qui sont traitées au collège en 5e et 4e : Le développement et les inégalités au Brésil, Les modalités du développement en Inde, Les enjeux du vieillissement au Japon…

Des contenus périmés et mal ordonnés

En ce qui concerne la géographie, les programmes posent de vrais problèmes épistémologiques. La notion de transition qui sert de fil conducteur à tout le programme de seconde ne semble pas consolidée dans la communauté scientifique. Le terme est très rarement utilisé sans épithète, tandis que l’on connaît les transitions démographique, urbaine, énergétique, mobilitaire… Le texte peine à définir cette notion centrale : « une phase de changements majeurs, plutôt que le passage d’un état stable à un autre état stable. Elle se caractérise par des gradients, des seuils, et n’a rien de linéaire (…) Elle prolonge et enrichit la notion de développement durable ». Cette définition n’est pas opérante pour donner du sens à ce programme de géographie. Le Snes-FSU avait ainsi proposé d’étudier plutôt l’anthropocène que le changement climatique.

Le concept de développement (au singulier) n’est pas interrogé alors qu’il fait l’objet de nombreux débats chez les géographes, notamment quant à l’étude des inégalités.

En histoire on assiste à un retour en arrière puisque ces programmes semblent tout droit sortis des années 1990. Faisant fi des renouvellement historiographiques et des réflexions épistémologiques récentes, ils ne reflètent aucunement la diversité des champs et des approches de la discipline. L’entrée se fait souvent par l’histoire politique, sans vraiment d’équilibre avec les entrées culturelles, économiques, sociales… Cette très forte composante d’histoire politique nationale pourrait assez vite se transformer en construction d’un véritable « roman national ».

On constate enfin des problèmes de structure très importants dans ces programmes. La chronologie des régimes politiques cadre mal avec un traitement pertinent des évolutions économiques, sociales et culturelles. Ainsi en classe de première d’évidentes redites auront lieu entre le chapitre 2 du thème 2 «  l’industrialisation et accélération es transformations économiques et sociales en France » qui traite de la période 1848-1871 et le chapitre 2 du thème 3 «  Permanence et mutation de la société française jusqu’en 1914 ». Cela revient à étudier comme points de passage et d’ouverture d’abord « les frères Pereire acteurs de la modernisation économique » puis « le Creusot et la famille Schneider ».

D’autres problèmes de structure existent : en seconde il s’agira d’étudier dans le chapitre 1 du thème 3 la révocation de l’Édit de Nantes, sans avoir abordé préalablement les conflits religieux en France au XVIe siècle. De même la révolution russe de 1917 a été oubliée par le Ministère… alors que le thème 4 de l’année de première couvre la période jusqu’au début des années 20.

Des choix idéologiques

Ces programmes reflètent une approche de l’enseignement qui ne vise pas à former une jeunesse en capacité d’agir. L’étude de la géographie ignore, dans la façon de traiter l’ensemble des thématiques, la problématique des acteurs et des actrices. Ainsi il semblerait fécond d’étudier « les mobilités généralisées », « les espaces ruraux » ou encore « l’aménagement » en prenant en compte non pas seulement les espaces concernés mais également les différents acteurs et actrices. De même aucune place n’est laissée à la géographie critique ou radicale, à l’étude prospective…

En histoire le constat est malheureusement le même : les programmes prétendent offrir une ouverture sur le monde. Mais en classe de seconde le titre « Grandes étapes de la formation du monde moderne » masque mal la réalité d’une histoire très européano-centrée pour ne pas dire franco-centrée (c’est encore bien pire en première)

Les points de passage et d’ouverture sont très révélateurs de l’esprit des programmes : ils sont centrés souvent sur des « grands hommes » ( et quelques « grandes femmes » prétextes) et des événements considérés comme « clés ». Il permettent de sentir véritablement l’idéologie sous-jacente. Ainsi le chapitre qui traite de la Méditerranée médiévale se présente comme l’étude du contact et des conflits entre trois civilisations. Pourtant au lieu d’étudier un point de contact (comme Palerme ou la Sicile par exemple) les concepteurs font le choix de mettre la focale sur Bernard de Clairvaux et donc sur une étude des croisades, en contradiction avec l’ambition d’une étude des trois grandes civilisations.
L’Histoire telle qu’elle est conçue par le Ministère n’offre de place ni aux questions de genres, ni aux minorités, ni à l’analyse des groupes sociaux.

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