La commission des finances du Sénat a saisi la Cour de comptes pour évaluer la politique d’éducation prioritaire (EP) depuis 2017. Le rapporteur spécial du Sénat, O. Paccaud (LR) a dressé un rapport d’information suite à la publication du rapport de la Cour des comptes. Ses préconisations dépassent celles de la Cour, visant la pondération REP+, demandant la hausse des seuils en CP/CE1 dédoublé, la mise en place d’une allocation progressive des moyens et même la suppression de toute labellisation !

Éducation prioritaire vs ruralité : une antienne blanquérienne

Le rapporteur spécial du Sénat a interrogé le ministère dans l’hémicycle, insistant pour réviser la carte de l’éducation prioritaire mais surtout pour « revoir concrètement les critères de classement qui exclut aujourd’hui la ruralité ».
Ces propos rappellent furieusement ceux de J.-M. Blanquer qui n’a cessé d’opposer la ruralité à la politique d’éducation prioritaire. Il use d’ailleurs du même argument éculé : « 70 % des enfants issus de milieu défavorisé sont hors de l’éducation prioritaire ». Il s’agit pourtant d’un effet rhétorique puisqu’il crée la confusion entre un problème social, celui de la concentration d’élèves issus de milieu populaire pauvres dans certains établissements et une question territoriale. C’est bien la concentration d’élèves en difficulté qui pénalisent davantage leurs apprentissages. C’est oublier que neuf collèges ruraux sont REP.

Le SNES-FSU défend une politique d’éducation prioritaire ambitieuse labellisant tous les établissements qui le nécessitent sur la base de critères sociaux. Par ailleurs il réclame une politique de financements permettant de résoudre les problèmes spécifiques des établissements ruraux (transports, sorties et voyages culturels, places en internat, ambition d’orientation limitée par l’offre accessible, etc.). Traiter des problèmes de la ruralité isolée dans la politique d’éducation prioritaire est un prétexte pour détourner des budgets consacrés aux familles les plus fragiles.

Une carte datée… de 10 ans

Quant à la carte de l’éducation prioritaire, dont il était initialement prévu qu’elle soit révisée tous les quatre ans, elle fête son dixième anniversaire ! En 2018 que le ministre J.-M. Blanquer a enterré le bilan de la refondation de l’éducation prioritaire (2015) et a annoncé le gel de sa carte. Il prévoyait alors une réforme en profondeur qui supprimerait le label REP.

Les ministères successifs ont souvent annoncé son dégel mais l’ont reporté d’année en année, se transmettant la patate chaude. Le ministère préfère un statu-quo inique plutôt que de gérer l’accompagnement de « sortant » de la carte. Cela lui permet aussi de vampiriser discrètement les dotations horaires des collèges REP et REP+ et d’augmenter les seuil de nombre d’élèves par classe pour mener sa politique d’austérité éducative.

Force est de constater qu’ une carte figée depuis 2015 occulte des évolutions sociales et économiques qui génèrent des décalages : ainsi, « cinq collèges avec un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110 sont classés en éducation prioritaire ; à l’inverse seize collèges avec un IPS inférieur à 80 sont situés hors éducation prioritaire, dont le 104 ème collège qui présente un IPS le plus bas (70,5). »

Les deux premières recommandations du rapport sont :
→ Une mise à jour de la carte de l’éducation prioritaire, ce pourquoi le milite le SNES-FSU depuis des années avec notamment un prise en compte des lycées.
→ Une intégration de critères propres à la ruralité

Un très fort taux de pauvreté

La Cour des comptes souligne que « l’Insee a signalé une forte hausse des indicateurs d’inégalités de niveau de vie, […] à partir de 2021 ». avec un « taux de pauvreté » de 14 % en 2022 très élevé. Elle relève aussi « l’accroissement des inégalités socio-économiques et territoriales et de la ségrégation spatiale », en particulier dans les métropoles. Si la mixité sociale à l’École relève désormais de la Loi, le rapport note la faiblesse des politiques publiques pour l’améliorer : peu de départements ont modifié la sectorisation pour lutter contre l’évitement des collèges de secteurs, et l’argent public continue de financer un enseignement privé sous contrat qui contribue pourtant largement à la ségrégation scolaire : « au plan national, les enfants défavorisés ne représentent que 18,3% des élèves des collèges de l’enseignement privé sous contrat contre 42,6% dans l’enseignement public, sachant que l’écart de recrutement social moyen entre public et privé s’est accentué depuis 20 ans. »
Pourtant, aucune des recommandations du rapporteur spécial ne prend en compte ces évolutions, et ne propose de lutter contre le caractère ségréguant du privé sous contrat.

Le label en danger ?

Le rapporteur recommande de « mettre en œuvre une véritable progressivité des moyens consacrés à la politique d’éducation prioritaire pilotée au niveau académique, en refondant l’ensemble des dispositifs existants (cités éducatives, contrats locaux d’accompagnement, territoires éducatifs ruraux, REP et REP +) en un seul continuum de moyens alloués aux établissements selon certains indicateurs socio-économiques (ministère de l’éducation nationale).»

Le rapport va même plus loin proposant « de supprimer la labellisation d’un établissement en REP ou en REP + » sans pour autant l’écrire comme tel dans ses recommandations.

Le SNES-FSU s’oppose à toute volonté de suppression des labels REP et REP+ qui se dissimule mal sous la proposition de mettre en place une « allocation progressive des moyens ». Le sénateur Paccaud dépasse largement les préconisations de la Cour des comptes qui ne réclame pas ouvertement la fin du label.

Une politique d’éducation prioritaire peu lisible

La troisième recommandation critique le nouveau mille-feuille de labels, inutiles, inventés sous le ministère de J.-M. Blanquer pour concurrencer le label de l’éducation prioritaire, en vue d’y mettre fin. Depuis leur création, le SNES-FSU demande l’abandon des cités éducatives, contrats locaux d’accompagnement (CLA), territoires éducatifs ruraux (TER) qui permettent l’entrisme des collectivités locales et/ou permettent de favoriser le secteur privé éligible, tandis qu’ils instaurent une logique de contractualisation néfaste dans le service public. À l’inverse, le rapporteur défend un entrisme accru des élu·e·s locaux au risque de la perte d’une ambition nationale la même sur l’ensemble du territoire.

Autre recommandation : « renforcer le pilotage concerté entre le ministère de l’éducation nationale, le ministère chargé de la politique de la ville, les préfectures, les collectivités territoriales et les acteurs locaux de l’insertion concernant la politique de l’éducation prioritaire, sur le modèle des cités éducatives (ministère de l’éducation nationale, ministère chargé de la politique de la ville, collectivités, préfecture). »
Le rapporteur sénatorial préconise de généraliser le modèle de la Cité éducative, comme l’a annoncé la ministre E. Borne pour l’ensemble des quartiers politiques de la ville (QPV). Le SNES-FSU rappelle que le projet initial de la Cité éducative se fonde sur le principe de la société apprenante qui minore le rôle de l’Ecole dans les apprentissages et tend vers une forme de primarisation du collège.

Pour le SNES-FSU revendique une politique ambitieuse de l’éducation prioritaire. Cela nécessite qu’elle soit fortement portée au niveau national donc par un label ministériel. En effet la Cour des comptes reconnaît que la politique nationale est diversement suivie au niveau académique. Elle le serait davantage encore s’il s’agissait d’une politique académique comme le demande le sénateur.

Dans plusieurs académies, il existe déjà une allocation progressive des moyens hors éducation prioritaire pour, officiellement, estomper les effets de seuil et objectiver, à partir d’une indicateur reconnu, l’IPS, la répartition des dotations horaires entre les collèges. En réalité, l’accent mis sur l’IPS, dans un contexte de réduction des moyens, permet aux académies et aux Dasen de revendiquer une gestion plus « équitable » de la pénurie, et ne profite qu’à la marge à des collèges qui sont, au final, maintenus à l’écart de la labellisation que les équipes revendiquent légitimement.

Ainsi, les suppressions d’emplois temps plein qui s’accumulent chaque année réduisent petit à petit la différence de dotation entre les collèges classés et les autres. Être un établissement labellisé ne garantir plus d’obtenir des moyens suffisants en collège.

De fait, le label éducation prioritaire permet aujourd’hui de garantir les contreparties auxquels les personnels ont droit pour affronter les difficultés supplémentaires dans l’exercice de leurs métiers.

La pondération et l’indemnité REP+ dans le collimateur

Le rapport recommande de revoir les modalités de définition de la quantité d’heures libérées pour les enseignants des REP + et renforcer la participation de ces enseignants au temps de travail collectif de l’établissement (ministère de l’éducation nationale). »

La pondération de 1,1 des heures d’enseignement en REP+ sert, via une réduction du service hebdomadaire d’enseignement, à permettre un exercice du métier dans de meilleures conditions, sans obligation supplémentaire. La circulaire 2015-057 précise l’esprit de la pondération : « Afin de reconnaître le temps consacré au travail en équipe nécessaire à l’organisation de la prise en charge des besoins particuliers des élèves qui y sont scolarisés, aux actions correspondantes ainsi qu’aux relations avec les parents d’élèves… » et ce, indique la circulaire 2014-077 du 4 juin 2014 (portant refondation de l’éducation prioritaire) en son § II-1-b : « sans avoir vocation à se traduire par une comptabilisation », explicitant les termes du décret (« afin de tenir compte du temps consacré… »).
C’est donc bien le travail « invisible », qu’effectuent déjà les collègues dans les établissements difficiles, qui entraîne la réduction du temps d’enseignement par la réduction du maximum de service.
La Cour des Comptes fait remarquer que la décharge s’est souvent transformée en heures supplémentaires annuelles dans les collèges, ce qui obère de fait son principe initial de libérer du temps pour les échanges entre personnels. Elle souhaiterait toutefois que ces heures soient dues par les personnels et comptabilisées sous forme, par exemple, de réunions à la main du chef d’établissement. Pour la Cour ou le rapporteur du Sénat, la clé réside dans un management serré.
De plus, le rapport insiste lourdement sur l’augmentation des indemnités REP+ (oubliant parfois de spécifier que celles de REP n’ont pas été revalorisées). Si la Cour des comptes reconnait qu’elles ont permis de fixer davantage les équipes en REP+, elles sont surtout également présentées comme un « coût budgétaire » sans préciser qu’elles se justifient par des conditions d’exercice plus difficiles.
Dans la lignée d’un plus grand contrôle managérial, il est recommandé d’« étendre la liste des postes « à profil » de l’éducation prioritaire pouvant faire l’objet d’une procédure d’affectation spécifique par les académies (ministère de l’éducation nationale). »

Alors que l’expérience des ECLAIR ou de l’entretien avec le chef d’établissement en REP+ a montré l’inefficacité et l’aspect contre-productif des postes à profil qui bloquent plutôt l’ensemble du mouvement de mutation des personnels, le rapporteur du Sénat en réclame la généralisation. Les personnels qui ont vécu ce dispositif se rappelle combien elle a pu conduire à un népotisme de certains personnels de direction et, à l’inverse, à l’impossibilité d’avoir des candidat·es dans certains établissements.

Et le premier degré ?

Les écoles sont concernées par deux recommandations.

« Recommandation n° 4 : en vue d’une allocation plus ciblée des moyens, passer d’une logique de réseau à une logique d’établissement pour définir les établissements du premier degré relevant de l’éducation prioritaire (ministère de l’éducation nationale). »

La quatrième recommandation est présentée comme visant à éviter les « écoles orphelines » exclues du label car le collège dont elles dépendent reçoit un public plus mixte socialement que le leur.

« Recommandation n° 8 : revoir les effectifs des classes dédoublées en grande section, CP et CE1, en vue de passer le nombre maximum d’élèves de 12 à 15 élèves par classe (ministère de l’éducation nationale). »

Le rapporteur va même jusqu’à indiquer que cette hausse «permettrait de fermer 839 classes, soit autant de postes qui se libéreraient ». Alors qu’il y a quasiment chaque mois une question au Sénat pour s’indigner (souvent à juste titre) de la fermeture d’une classe en zone rurale, le sénateur Paccaud ne semble plus y voir de problèmes quand il s’agit de l’éducation prioritaire, majoritairement en milieu urbain.

Pour la Cour des comptes, les dédoublements systématiques n’ont pas apporté la preuve de leur efficience, d’autant qu’ils concernent toutes les disciplines. La FSU rappelle régulièrement que le dispositif « Plus de maîtres que de classes » n’a jamais été évalué avant sa mise en extinction par le ministre J.-M. Blanquer.

Comme la Cour des comptes, le SNES-FSU mesure le hiatus qui sépare désormais les REP+ rendues attractives et les REP (différence indemnitaire et décharge horaire). Il s’agit désormais de les généraliser aux REP devenues moins attractives. L’éducation prioritaire ne saurait constituer une école à part : les établissements doivent pouvoir poursuivre les mêmes objectifs, dispenser les mêmes contenus, avoir pour leurs élèves les mêmes ambitions et exigences que les autres. Cela nécessite un horaire élève hebdomadaire plus important permettant notamment de diversifier les pratiques.

Le SNES-FSU revendique une politique nationale d’Éducation prioritaire dans un périmètre plus ambitieux que la carte actuelle des collèges et réintégrant des lycées, avec des critères nationaux, transparents et concertés avec les organisations syndicales.


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