Des lacunes qui interrogent

Les programmes de langues vivantes étrangères ont été publiés vendredi 30 mai sur le site du ministère de l’Éducation Nationale. Les objets d’étude sont bien mentionnés à titre indicatif et leurs descriptifs sont bien mis en annexe, comme s’y était engagé le ministère sur la demande du SNES-FSU, au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) du 27 mai.

Cependant, dans les fiches Eduscol, ces notices d’objets d’étude reprennent au mot près celles des projets de programmes initiaux, aucune des propositions de réécriture portées par le SNES-FSU n’étant intégrées. Or, lors de ce même CSE, bien que les amendements demandant l’ajout d’axes sur des « questions vives » (sociales, historiques, politiques…) n’aient pas été retenus tels quels (le SNES-FSU avait déposé des amendements dans toutes les langues), l’importance d’inclure ces points avait été entendue par le ministère. Un ajout a, certes, été effectué dans l’axe 5 “Formes de l’engagement” de 3ème, qui invite désormais à aborder les formes de résistance y compris aux totalitarismes mais cela ne peut suffire ! En espagnol, aucun objet d’étude proposé ne mentionne explicitement la guerre civile espagnole ou le franquisme ; en allemand, la période nazie n’apparait dans aucun des objets d’étude du collège, elle n’est abordée qu’à partir du lycée ; en italien, le fascisme n’est cité explicitement qu’en classe de terminale ; en anglais, les objets d’études sont un peu plus problématisés mais ne mentionnent jamais le mouvement des droits civiques… Les questions socialement vives sont pourtant constitutives de l’histoire, des cultures et des évolutions linguistiques des zones concernées ; quelle raison a poussé le ministère à ne pas les inscrire dans les nouveaux programmes ?

Mêmes réticences pour les programmes de langues régionales ?

Si les programmes de langues régionales sont toujours au stade de projet, il est aussi à prévoir que les questions historiques et politiques auront peu voix au chapitre. Le préambule commun spécifique aux langues régionales passe pour le moment sous silence l’enjeu de taille qu’est la revitalisation de nombre de langues régionales et oublie de spécifier la vitalité d’autres. Elles sont réduites à leur valeur patrimoniale. Pourtant, dans la pratique, elles ont parfois le statut de langues maternelles. Dans ce projet de préambule, elles sont systématiquement reliées à un territoire, ce qui est réducteur et montre leur déclin progressif (par exemple, l’occitan ou encore le breton ont pu être appris à Paris, le basque et le catalan sont présents sur deux pays). Lors d’une consultation au ministère sur ces projets de programmes, le SNES-FSU a donc aussi été force de proposition pour pallier ces manques. 


Un choix idéologique ?

L’absence de ces questions socialement vives forme des manques significatifs dans les programmes, d’autant qu’elles sont déjà abordées par une très large majorité de collègues. Elles sont capitales pour ancrer nos enseignements dans une perspective critique et éclairée. La question des ressources pédagogiques devient donc centrale. En effet, les maisons d’édition ont été reçues très tôt au ministère dans le processus de conception des programmes. Les manuels se contenteront donc des seuls objets d’étude proposés et détaillés par le ministère. Le SNES-FSU avait pourtant alerté ses interlocuteurs·trices et avait proposé d’ouvrir une banque d’objets d’étude qui pourrait être régulièrement alimentée. Si les documents d’accompagnement créés par les corps d’inspection ne viennent pas colmater ces brèches, impossible de ne pas y voir le souhait que l’enseignement des LVER ne soit pas celui pourtant annoncé dans le préambule, à savoir contribuant à la formation des « citoyens éclairés », ou bien le renoncement insensé à contextualiser les langues enseignées dans un espace et un temps. À l’heure où les démocraties vacillent, passer sous silence ces questions relève d’un choix idéologique irresponsable.

Ci-dessous, la liste de quelques objets d’étude proposés par le SNES-FSU, non repris par le ministère, afin d’illustrer la démarche qui consistait à rendre visible les “manques” et dénoncer la “neutralisation” des programmes :

  • allemand collège : L’Allemagne nazie
  • allemand lycée : mémoires et histoire, la démocratie : une construction fragile 
  • anglais collège : les droits civiques : luttes et avancées
  • anglais lycée : la monarchie anglaise : tradition et modernité (les critiques et les soutiens à la monarchie)
  • arabe, collège : les relations entre les pays arabes et Israël
  • arabe, lycée : les relations entre les pays arabes, la Palestine et Israël
  • espagnol, collège : guerre civile et franquisme
  • espagnol, lycée : les dictatures en Amérique Latine : Argentine et Chili
  • hébreu, collège : la Shoah : histoire, mémoire et conséquences
  • hébreu, lycée : les relations entre les pays arabes, la Palestine et Israël
  • italien, collège : Mussolini et le fascisme italien
  • italien, lycée : la démocratie : une construction fragile
  • japonais, collège : les fondements de l’identité japonaise
  • japonais, lycée : modernisation et impérialisme, guerre, paix et reconstruction
  • néerlandais, collège : la République des Provinces Unies : “l’âge d’or”
  • néerlandais, lycée : les Pays-Bas contemporains : une image progressiste ?
  • polonais, lycée : la Pologne : des frontières à géométrie variable, la Pologne au cœur des conflits du XXe siècle, Pologne contemporaine, Pologne européenne

Ci-dessous, quelques propositions d’objets d’étude défendues par le SNES-FSU pour compléter les projets de programmes de langues régionales :

  • basque, collège : les relations entre le Pays basque français et espagnol
  • basque, lycée : les luttes pour l’autonomie et l’identité basque, le Pays basque dans l’Europe contemporaine
  • breton, collège : la “redécouverte” et l’affirmation de l’identité bretonne (années 1950 à nos jours)
  • breton, lycée : mutations économiques, sociales et la place de la langue bretonne (après la Seconde Guerre mondiale), la Bretagne dans l’État français et l’Europe, héritages du passé, construction du présent et la place de la langue bretonne
  • catalan, collège : les enjeux politiques de l’identité catalane
  • catalan, lycée : la Catalogne face aux dictatures, les luttes pour l’autonomie et l’indépendance, la Catalogne dans le contexte européen
  • corse, collège : les enjeux politiques de l’identité corse
  • corse, lycée : la Corsica dans le contexte français, les luttes identitaires et les droits culturels, la Corse dans l’Europe contemporaine
  • créole guadeloupéen, collège : histoire et luttes politiques en Guadeloupe
  • créole guadeloupéen, lycée : identité politique et culturelle en Guadeloupe, histoire et enjeux contemporains, identités et politiques postcoloniales
  • créole guyanais, collège : histoire et enjeux identitaires en Guyane
  • créole martiniquais, collège : histoire et identité en Martinique
  • créole martiniquais, lycée : identités et enjeux politiques en Martinique, histoire et culture : entre héritage et modernité, identités postcoloniales et enjeux contemporains en Martinique
  • créole réunionnais, collège : histoire et identité à La Réunion
  • créole réunionnais, lycée : identités et enjeux politiques à La Réunion, histoire et culture : entre héritage et modernité, identités postcoloniales et enjeux contemporains à La Réunion
  • occitan, collège : les enjeux politiques de la culture d’oc
  • occitan, lycée : l’espace d’oc dans le contexte français, les luttes pour les droits culturels et linguistiques, l’espace d’oc dans l’Europe contemporaine
  • tahitien, collège : les enjeux politiques de l’identité tahitienne

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