Une méthodologie approximative.

D’abord, ce qui est gênant tout au long du rapport, c’est la confusion permanente. Dans de courts développements simplistes, on trouve des constats de changements plus ou moins récents dans des domaines variés : sociaux, sociétaux, travail, organisation et gestion des systèmes éducatifs comme de leurs personnels, dispositifs pédagogiques ou éducatifs (accompagnés d’évaluations superficielles de leur efficacité).

D’ailleurs, l’École est le plus souvent présentée dans son ensemble, peu de distinctions école, collège lycée, et une expression qui revient fréquemment dans les constats est « pour le primaire comme pour le secondaire ».

Des liens de causalité sont suggérés par l’apposition de faits présentés de manière sommaire ou affirmés quelquefois sans explication ni preuve. A partir d’une apparente corrélation entre deux phénomènes, des explications monocausales et hors de tout contexte sont avancées.

Ainsi, parmi d’autres, cette affirmation non sourcée :

Les résultats de l’enquête PISA montrent d’ailleurs une corrélation entre l’accroissement des responsabilités des chefs d’établissements du secondaire dans la sélection des enseignants, entre 2006 et 2015, et l’amélioration des résultats des élèves en sciences, en lecture et en mathématiques.

Dans la première sous-partie du chapitre 5, les constats suivants sont présentés : croissance de la part des tests standardisés dans le pilotage national de plusieurs pays ; développement de l’autonomie des établissements ; rôle pédagogique accru des chefs d’établissement. Leur simple juxtaposition vaut preuve que ce sont des nécessités induites par des évolutions sociales et qu’elles sont efficaces puisqu’en adéquation avec ces dernières.

Aucun recul, aucune réserve. Le changement est lui-même la preuve de sa nécessité, et il est toujours une adaptation réussie.

Ailleurs, une politique de développement des compétences socio-comportementales, très vaguement décrite, adoptée aux Etats-Unis peut être avancée comme preuve d’un changement sociétal qui rend inéluctable la diffusion de la dite politique au niveau mondial. Le résultat d’une enquête de satisfaction est ensuite donné comme argument ou preuve. Dans un autre chapitre, un changement social, qui tient du lieu commun et dont l’existence est étayée dans le rapport par la référence à un obscur article, suffit à justifier de changer la gouvernance des établissements scolaires.

Dans ce rapport, des passages indiquent aussi clairement que les auteurs ne maîtrisent pas tous les sujets dont ils parlent, y compris ceux présentés comme importants. Ainsi, ce passage où les auteurs entendent présenter LES quatre pratiques « associées à un meilleur apprentissage des élèves ». Pour l’une d’elles, »la gestion de classe » (N.B. : les enseignants parleraient plutôt de pratiques de gestion de classe) voilà l’ensemble des informations qu’ils apportent :

La gestion de la classe comprend l’ensemble des mesures prises par les enseignants pour assurer un environnement ordonné.

La gestion de la salle de classe est un facteur avéré d’apprentissage des élèves. Conscients de cela, un nombre croissant d’enseignants la mettent en pratique dans leurs salles de classe. En 2018, dans les pays de l’OCDE, plus de 60 % des professeurs du secondaire déclarent qu’ils se livrent fréquemment ou systématiquement à des pratiques visant à maintenir une classe ordonnée, comme par exemple : rappeler aux élèves les règles à suivre en classe (71 %) et exiger l’attention des élèves lorsque l’enseignant parle (70 %).

Tous les enseignants de terrain qui ont lu ce chapitre n’en voient ni le sens, ni l’intérêt de ce qui est écrit, destiné au ministère français de l’éducation nationale. Et tous ceux qui ont été élèves par le passé doivent être surpris d’apprendre qu’on a enfin découvert, mais récemment, l’intérêt d’une classe avec des règles pour les apprentissages.

Sur différents aspects du numérique,tant comme objet d’enseignement qu’ outil d’apprentissage, les poncifs simplistes et les mythes s’enchaînent à rebours de ce qui est constaté dans les classes ou par des chercheurs qui suivent ces questions depuis longtemps (A. Tricot, F. Amadieu, enseigner avec le numérique, mythes et réalités, Retz Eds, 2020)

Le réel vous gêne ? Ignorez le !

En revanche, la réalité et le quotidien des enseignants du XXIème siècle sont absents. Ne sont que très peu ou pas du tout traités : l’impact des effectifs d’élèves sur l’efficacité de l’enseignement ; l’évaluation de la charge de travail et du temps de travail et leurs effets sur la santé (moins de 50 mots) ; l’(in)adéquation des moyens matériels et leur fiabilité ; les effets des carences de l’organisation du travail comme l’instabilité, les changements permanents, la succession de réformes sans concertation ni évaluation ; etc.

Comme si travailler n’était qu’appliquer des injonctions dans un monde lisse, une vision que nous connaissons et combattons depuis longtemps (voir Travailler ce n’est pas seulement exécuter ou appliquer)

La crise de recrutement (« rétention des talents » dans le texte) et la dégradation du bien-être enseignant, tout de même évoquée, se voient attribuer comme cause unique l’érosion de reconnaissance sociale de la profession. Et pour expliquer cette dernière un seul facteur est cité : les nouvelles formes d’accès au savoir.

L’impression qui se dégage de tout cela est celle d’acteurs qui jouent mal aux experts dans un décor de carton pâte. Ou de gens pressés peu soucieux de vérifier ce qu’ils écrivent qui produisent un rapport pour d’autres gens pressés peu soucieux de vérifier ce qu’ils lisent, sans doute parce qu’il savent être déjà d’accord sur des lieux communs et des croyances partagés.

Pourquoi faire un constat sérieux quand on a déjà un projet ?

Pourtant, de ce rapport se dégage une vision de l’École, au sens du système éducatif, à venir

Une École où les savoirs fondamentaux, réduits à lire, écrire, compter, restent le coeur et où des connaissances dites « académiques » seraient encore tolérées. Ces dernières devraient, toutefois, laisser une place grandissante, et servir de support, à des compétences cognitives avancées, numériques et socio-comportementales (persévérance, autonomie, autodiscipline, estime de soi, confiance, coopération, respect, tolérance) très liées avec l’insertion professionnelle et même définies en partenariat avec des acteurs économiques. Par exemple, l’esprit critique est cité uniquement comme une compétence nécessaire à l’insertion professionnelle. La citoyenneté est réduite à des sensibilisations sur l’esprit d’entreprise, l’interculturalité, le développement durable et l’inclusivité. L’enseignement doit être personnalisé, « innovant » et inclure une grande part de numérique sous des formes variées (autant comme finalité que comme outils). Des partenaires extérieurs, y compris des entreprises privées, devraient participer de plus en plus à cette école, dès l’école élémentaire.

Ensuite, l’enseignant du XXIème siècle, n’est qu’un enseignant qui travaille dans cet environnement. Sa formation doit l’y préparer. Son bien-être est assuré par : des débuts de carrière revalorisés et davantage accompagnés professionnellement ; le travail collectif et le tutorat si besoin ; des dispositifs annexes (yoga, méditation, moments conviviaux…) ; son encadrement vers l’acquisition des méthodes d’enseignement prescrites ; une réflexion sur le bâti scolaire… Sa rémunération comprend des primes au mérite, individuelles et collectives, attribuées selon des critères transparent à la définition desquelles il a pu participer avec ses collègues. Son administration veille à lui offrir un parcours de carrière adapté et personnalisé, avec des opportunités de mobilité « horizontale » ou « verticale », voire vers le privé.

Enfin, cette école ne peut fonctionner dans le monde du XXIème siècle qu’avec des établissements plus autonomes, qui s’autoévaluent régulièrement, mais sont aussi évalués de manière externe et dont les élèves sont soumis à des tests standardisés destinés au pilotage local et national. Les chefs d’établissement doivent choisir au moins une partie de leurs enseignants et disposer de coordonnateurs pédagogiques.

L’intérêt de la lecture de ce rapport est d’y trouver réunies et, faisant système, l’ensemble de ces mesures et dispositifs. Il est rare que leurs promoteurs les lient ainsi. D’habitude, ce sont les défenseurs d’une école émancipatrice et formatrice de citoyen éclairé et indépendant qui font ces liens et qui dénoncent le projet d’une école néolibérale de l’obéissance et de l’adaptabilité au marché du travail. Le plus souvent, les décideurs avancent ou mettent en place séparément ces éléments, chacun présenté comme soit une nécessité, soit une expérimentation, soit un progrès ou une réponse à un problème précis. Ils peuvent même nier les liens entre les différents éléments qu’ils instaurent au fil du temps.

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