Les personnels et les familles attendaient de nombreuses précisions depuis la publication au Journal Officiel le 29 novembre 2023 des textes rendant obligatoire une « séquence d’observation en milieu professionnel » en juin pour les élèves de Seconde des lycées généraux et technologiques. La mise en ligne d’une « Foire aux questions » sans valeur réglementaire a précédé la parution de la circulaire au Bulletin officiel du jeudi 28 mars . Cette dernière confirme les analyses du SNES-FSU sur les impasses du « stage de seconde ».

Un stage inutile et inégalitaire

Le recours à la plateforme « 1jeune1solution » interroge. D’abord, parce qu’elle existe depuis plusieurs années à destination des jeunes qui ne sont PLUS scolarisés, dans une perspective d’insertion professionnelle (voir ici). Beaucoup de « stages » proposés pour faire face aux besoins de plus de 550000 élèves de Seconde GT sont donc des offres qui n’ont rien à avoir avec de l’observation (Article 5 de la convention type « Durant la séquence d’observation, les élèves n’ont pas à concourir au travail dans l’entreprise ou l’organisme d’accueil »). On frôle l’illégalité avec des descriptifs qui ressemblent à s’y méprendre à des recherches de saisonniers gratuits.

Capture d’écran de la plateforme 1jeune1solution, Stages de Seconde générale et technologique

Si l’on met de côté les offres d’emploi déguisées, le nombre de propositions de « séquences d’observation » sur la plateforme est famélique. Dans de nombreux départements, il s’agit essentiellement d’offres faites par les administrations et services publics, en particulier par des établissements d’enseignement.

Le Ministère ne cesse de réaffirmer, y compris dans la circulaire, qu’il s’agit grâce à ces stages de lutter contre les stéréotypes et les assignations sociales. De fait ils ne pourront que les confirmer. Faisant la part belle aux réseaux familiaux, ils se traduiront par une inégalité d’accès forte en fonction de l’origine géographique, sociale, ethnique, et du genre. Quels lycées et quelles familles peuvent par exemple organiser un voyage scolaire de deux semaines dispensant du stage, ou des mobilités internationales individuelles ? Quels établissements peuvent compenser l’indigence de l’offre de stages sur la plateforme gouvernementale par l’appel aux réseaux professionnels des parents d’élèves ? Ce sont des questions que ne se posent probablement pas les lycées les plus privilégiés. 


La circulaire évoque la possibilité d’effectuer son stage à l’étranger, du moment qu’une convention a été établie : on suppose donc qu’elle devra être traduite, mais par qui ? D’autres problèmes juridiques se posent. Pour les étudiant·es, une fiche « droits et devoirs du stagiaire » doit être annexée à la convention en cas de stage à l’étranger. Cela ne semble pas prévu pour les Secondes. Par ailleurs, si les textes sur les accidents du travail en cas de stage s’appliquent, la circulaire aurait dû mettre en avant la nécessité de respecter les délais de prévenance, et surtout sur la nécessité d’informer les familles sur le risque de coût important en cas de soins dans un pays étranger.

Le SNES-FSU rappelle qu’il demande la suppression des séquences d’observation obligatoires en milieu professionnel, en Troisième et en Seconde parce qu’ils relèvent d’un mythe : celui de l’entreprise qui serait mieux ancrée dans la réalité pour former la jeunesse. Imposé dans la précipitation, ce stage d’observation en Seconde achève de désorganiser un lycée déjà profondément malmené par les réformes Blanquer. Avec le SNU et les séjours à l’étranger comme seules alternatives, toutes les conditions sont réunies pour creuser les inégalités sociales pourtant déjà si importantes.

Préparation et suivi du stage : missions impossibles !

La circulaire affirme : « Sous statut scolaire, les élèves restent en effet sous l’autorité de leur chef d’établissement en lien avec un personnel référent dans l’établissement ». Le terme est suffisamment vague pour englober l’ensemble de celles et ceux qui travaillent dans un lycée ! Par comparaison, le terme de « professeur référent » est utilisé pour les suivis de stages dans la voie professionnelle et dans le post-bac (BTS). Pour les PLP, l’article 31 du décret spécifique de 1992 (n°92-1189) précise les modalités d’encadrement et donc fait le lien entre la fonction de professeur référent et les obligations réglementaires de service (ORS) de nos collègues. C’est même un des rares cas où il y a dérogation au cadre commun défini par le décret de 2014 sur les ORS. Par conséquent, étendre la fonction aux certifié·es, PEPS et agrégé·es serait problématique. Les ORS des enseignant·es prévoient le conseil aux élèves dans le choix de leur projet d’orientation et non pas un rôle de « référent« . Le SNES-FSU appelle l’ensemble des personnels encadrant les classes de Seconde à refuser cette charge de travail supplémentaire.
 
La pression risque d’être forte pour faire accepter la tâche de « référent·e » à tout·e professeur·e principal·e de Seconde. Le ou la PP est chargé·e, « pour ses élèves, d’assurer la coordination et le suivi des actions en lien étroit avec l’ensemble des équipes pédagogiques ». La circulaire de 2018 sur « rôle du professeur principal dans les collèges et les lycées » mentionne le fait qu’« il participe à des actions spécifiques annuelles, notamment les Semaines de l’orientation et les périodes d’observation en milieu professionnel ou les périodes d’immersion dans l’enseignement supérieur. » Mais ces phrases, écrites avant la création des séquences d’observation obligatoires en juin, se rapportent aux voies technologiques et professionnelles, et à des stages qui s’inscrivent dans la formation des élèves tout au long de l’année, s’articulant avec les cours et les programmes. 
Le suivi des stages est par ailleurs inapplicable. La circulaire se contente d’ailleurs de préciser que « L’élève et son tuteur disposent pendant toute la période d’un contact joignable dans l’établissement scolaire. » Le mot « suivi » n’apparaît qu’une fois dans le texte : « La convention précise les objectifs pédagogiques de la séquence d’observation en milieu professionnel, les élèves concernés et les modalités d’organisation (calendrier, horaires des élèves, conditions d’encadrement, activités proposées, suivi, évaluation, le cas échéant) » Quels personnels seraient en effet disponibles pour un tel suivi sur toute la période du 17 au 28 juin, alors qu’ils doivent assurer la surveillance et la correction des épreuves écrites, puis les épreuves du Grand Oral et l’oral de français ?

Enfin, sur quels horaires réaliser le travail préparatoire puisque la circulaire affirme : « La séquence d’observation est préparée en amont de sa réalisation » ? Les professeur·es qui enseignent en seconde, toutes disciplines confondues, manquent déjà de temps pour aborder l’ensemble des programmes, et pour accompagner leurs élèves dans le choix des spécialités pour la classe de première ? Il n’appartient pas aux personnels enseignants de « donner pleinement son sens » pédagogique à une séquence d’observation obligatoire imposée en dépit de leurs objectifs d’apprentissage. Si cette dernière n’a d’intérêt ni pour l’orientation ni pour les apprentissages, elle permet surtout au gouvernement de communiquer sur la prétendue « reconquête du mois de juin ». Occuper les élèves n’est ni un projet pédagogique, ni un projet éducatif.

Pas d’évaluation ? Pas de stage ? Pas grave !

Le paragraphe de la circulaire consacré à « l’exploitation pédagogique » est extrêmement court et ne comprend rien sur une éventuelle évaluation du stage, ce dont le SNES-FSU ne peut que se féliciter. En aucun cas, il ne saurait être imposé aux élèves de rédiger des rapports, pas plus que la hiérarchie ne peut imposer aux personnels de les évaluer. Le texte reste très flou : « La séquence d’observation donne lieu à une exploitation pédagogique en classe de première. Elle permet aux élèves d’échanger en format collectif sur leur expérience, les savoirs et savoir-être développés en entreprise et d’expliquer en quoi la séquence d’observation a contribué à conforter ou à faire évoluer ses choix d’orientation, son projet de poursuite d’études ou ses aspirations professionnelles »… Ici encore, la réalité du fonctionnement des établissements scolaires, des missions des professeur·es, et des besoins des élèves au début de la classe de première doit s’imposer. Entrer dans les apprentissages des enseignements de spécialité, préparer l’épreuve anticipée de français, et pour un certain nombre d’élèves s’adapter à un nouvel établissement : toutes ces exigences doivent avoir la priorité. Les emplois du temps des élèves de première sont déjà suffisamment chargés et complexes, et les enseignant·es ne gaspilleront pas des heures de cours ni ne feront d’heures supplémentaires pour « exploiter pédagogiquement » les stages plus de deux mois après leur déroulement !


L’idée de confiner les élèves de Seconde n’ayant pas trouvé de stage dans leurs établissements jusqu’à la fin du mois de juin relève de la même préoccupation : surveiller et occuper les jeunes, jusqu’à l’absurde. « Dans l’éventualité où un élève, malgré ses démarches et l’accompagnement dont il a pu bénéficier, ne trouve pas d’organisme pouvant lui permettre d’effectuer sa séquence d’observation, il est accueilli dans son lycée, selon les modalités propres à chaque établissement, puisqu’il demeure placé sous la responsabilité du chef d’établissement. » La circulaire fait mine d’ignorer que la plupart des personnels ne sont pas en mesure d’assurer cet accueil : les équipes de direction et les personnels de vie scolaire sont mobilisés par de nombreuses tâches nécessaires au déroulé des épreuves et aux inscriptions des élèves pour la rentrée. Les personnels enseignants sont convoqués pour des surveillances et pour des jurys de baccalauréat. C’est bien pour cela que jusqu’à présent, les cours étaient suspendus dans la plupart des établissements.
Qu’à cela ne tienne, faute d’être humains, des ordinateurs feront bien l’affaire : ces élèves pourront « notamment bénéficier de solutions en ligne de découverte des environnements professionnels et y effectuer des recherches documentaires pour préciser ou parfaire son projet d’orientation. »
Depuis que les régions et l’ONISEP, mais aussi des associations se sont mis en ordre de bataille, à la demande du gouvernement, pour créer des séquences en visio – vidéo, tchat, etc, notamment lors des printemps de l’orientation 2021, 2022, 2023, de nombreuses ressources sont en effet disponibles en ligne… Pouvons-nous cependant considérer qu’il existe un projet éducatif sérieux exigeant que des élèves de passent des journées entières devant un écran ? Qui plus est alors que leur année scolaire est terminée, leur orientation décidée, les bilans des conseils de classe signés et envoyés aux familles ? Dans la deuxième quinzaine de juin dans des bâtiments inadaptés aux aléas climatiques, et pour la plupart surchauffés même avec des températures estivales « normales » ?

Le SNES-FSU appelle tous les personnels à refuser de participer à la mise en place des stages obligatoires de juin en Seconde, que ce soit pour leur préparation, leur suivi, ou leur prétendue « exploitation pédagogiques ». Nous n’avons pas à nous « mobiliser » pour un dispositif non seulement inutile mais nuisible.

CPE, professeur·es, Psy-EN, occupons de faire uniquement nos métiers, d’accomplir nos missions, qui sont suffisamment exigeantes. Et surtout, rassurons les élèves et les familles plutôt que de contribuer à la pression pour trouver à tout prix un stage : non, on ne joue pas son avenir sur les deux dernières semaines de son année de Seconde !




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