Le CSE est un organe consultatif de 98 membres composé de représentant.es des personnels (enseignants,  enseignants-chercheurs, personnels d’orientation, d’éducation, de  direction et d’inspection, personnels administratifs, techniques,  ouvriers et de service), des usagers (parents d’élèves, étudiants, lycéens) et de « partenaires de l’État dans l’action éducatrice » (collectivités territoriales, associations périscolaires et familiales,  grands intérêts éducatifs, économiques, sociaux et culturels.)

« Le ministère a souhaité élaborer une Stratégie du numérique pour l’éducation qui s’adresse à toute la communauté éducative », peut-on lire en guise d’introduction. Il s’agit en fait de la réactualisation d’un document que le SNES-FSU avait analysé et critiqué dès 2023.

Le texte de la DNE, d’une bonne quarantaine de pages, prétend proposer quatre axes stratégiques pour le déploiement et l’extension du numérique dans l’Éducation : « (1) Un écosystème engagé au service d’une politique publique partagée 2) Un enseignement du numérique qui développe la citoyenneté et les compétences numériques 3) Une communauté éducative soutenue par une offre numérique raisonnée, pérenne et inclusive 4) De nouvelles règles du jeu pour un système d’information ministériel au service de ses utilisateurs). »

Le choix des mots, le choc des évidences… 

Sur la forme, le SNES-FSU a relevé en CSE le style redondant pour ne pas dire rebutant du document. On est particulièrement frappé par tout le lexique rassurant déployé : « raisonnable », « raisonné », « éthique », « responsable », « esprit critique »… Jamais ces termes ne sont explicités concrètement. Relevant de la pensée magique qui consiste à énoncer ce que l’on souhaiterait voir advenir, ce vocabulaire dissimule mal un accélérationnisme brutal et encadrant très peu l’usage du numérique et des IAg.

Mais le fond du problème est ailleurs. Le SNES-FSU et d’autres organisations syndicales ont fustigé le fait que les membres du CSE n’aient pas été associés dès la conception à l’élaboration du document. Cela avait déjà été le cas pour la première version de la stratégie et la DNE avait promis de changer de méthode… Bis repetita placent ? Le SNES-FSU a donc refusé d’entrer dans une logique d’amendements d’un texte entièrement imprégné d’un paradigme inacceptable. Pour la DNE, il s’agit de déployer les outils et les problèmes se résoudront au fil de l’eau. Pour le SNES-FSU, c’est l’inverse. Il faut d’abord traiter des questions essentielles – droits d’auteur, impact environnemental, santé physique et mentale, transformation sociale, effets sur la cognition, neutralité du Service Public, besoins réels des personnels… – avant d’envisager une stratégie d’expansion du numérique dans l’éducation.

Si l’on analyse le document en détail, de multiples questions et problèmes émergent.

L’entreprise comme horizon, l’égalité comme prétexte

La Stratégie du numérique pour l’Éducation se caractérise par l’absence de données sourcées concernant de nombreuses affirmations qui sont exprimées comme allant de soi. Une des évidences est que les entreprises de l’Edtech devraient par principe être intégrées à l’école. L’entreprenariat privé devient un « partenaire naturel » auquel on ouvre le marché scolaire, source de revenus importants pour ce secteur notamment par la captation de l’argent public. Ce régime d’évidence se réalise sous la forme d’une « acculturation » pleinement assumée en formation initiale et continue. L’idée est prégnante dans le document qu’il faut vaincre les inerties et les résistances par la diffusion active d’éléments de langage pour faire accepter le tout-numérique et les IAg sans plus de réflexion. Toute la partie du document intitulée « Mieux former les équipes éducatives à la pédagogie avec le numérique » constitue une exhortation à l’usage du numérique pour le numérique, avec en prime le projet d’un PIX+ EDU à destination des enseignant.es. Il va falloir se former et s’auto-évaluer !

Sous le régime des évidences qui n’ont besoin d’être étayées par aucune référence, il y a la nécessité affichée de former 80 000 professionnels du numérique supplémentaires par an jusqu’en 2027 avec parité fille/garçon. La Stratégie du numérique lâche ces chiffres sans expliciter d’où viendrait ce besoin en emplois. Surtout, jamais la notion de « professionnels du numérique » n’est définie. Quand on connait l’étendue de ce que peut recouvrir : 1) les métiers du numériques, 2) les secteurs d’emplois y ayant recours, 3) les offres de formations nombreuses et variées qui mènent à ces métiers, on est en droit de se poser la question : de quoi parle-t-on ? Des chiffres arbitraires posés comme des objectifs font argument d’autorité.

D’autant qu’à l’heure de l’EVARS, la mention de la parité filles/garçons ne peut qu’interroger. On lit par exemple :

« En voie générale, l’objectif est d’atteindre d’ici à 2027 la parité filles-garçons dans les spécialités mathématiques ainsi que physique-chimie et de tendre vers la parité pour les autres enseignements comme SI (sciences de l’ingénieur) et NSI. […] En voie technologique, l’objectif est de tendre vers la parité en STI2D et de renforcer le choix de l’enseignement spécifique de SIG au sein de la spécialité Management, sciences de gestion et numérique. »

Le document sous-entend que, par autocensure ou déterminisme, les filles sont peu enclines aux STIAM (Sciences, Technologies, Ingénierie, Arts et Mathématiques), et que par conséquent elles doivent être stimulées. Il s’agit toujours implicitement d’orienter le choix des filles, elle continue à être la cible d’objectifs à atteindre et on ne questionne pas les causes de ce désamour. Or, le problème n’est pas que les filles désertent les STIAM, c’est que les enseignements dans leur ensemble sont déterminés par le genre. A quand une politique volontariste pour que les les garçons s’orientent vers la spécialité HLP ou le bac ST2S ?

Ne parlons pas des questions qui fâchent

Par ailleurs, alors que le document affiche une forte volonté d’investissements, il est important de rappeler que les collectivités territoriales, après s’être servies du numérique comme outil de promotion politique, en viennent désormais à réduire la voilure budgétaire. Les choix opérés par les collectivités se sont bien souvent effectués sans prise en compte des besoins réels du terrain. Désormais, se manifestent au plein jour, comme dans les Hauts-de-France, les difficultés de la Région à instaurer et à assurer la maintenance d’un réseau sécure et efficace, le tout sous la tutelle de sociétés de la Tech.

Enfin les enjeux les plus brûlants du numérique et des IAg sont à peine, voire pas du tout évoqués. Rien n’est dit sur les impacts cognitifs si ce n’est quelques timides renvois au rapport « Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu » d’avril 2024. Le double discours est à l’œuvre : les écrans sont nocifs mais on va les utiliser quand même partout et tout le temps. Dans le même ordre d’idée, on remarque l’absence de réflexion sur le travail gratuit des personnels et des élèves qui alimente les LLM et enrichit de ce fait des acteurs privés souvent douteux. Encore moins sur l’exploitation des travailleurs et travailleuses du clic.

C’est en fin de document qu’il est question de « Développer l’écoresponsabilité ». Alors que ce point devrait figurer en tête du document avec les enjeux sociaux et cognitifs, il apparait au bout du compte comme la mauvaise conscience de la Stratégie avec des intentions lénifiantes et impossibles à tenir (« usages raisonnés », « sobriété », « frugalité »…)  et une sérieuse dose de technosolutionnisme :

« Si le principal impact pour la planète est majoritairement lié à la fabrication des équipements, le stockage des données dans les centres d’hébergement représente une part croissante de l’impact du numérique. À l’inverse, le numérique permet de réduire certaines émissions de carbone lorsqu’il est utilisé pour remplacer des déplacements superflus, et peut permettre d’optimiser la consommation d’énergie lorsqu’il est utilisé pour analyser et prédire des situations. »

On promet d’être sobre, mais combien va couter ce déploiement en eau, en électricité, en matières premières ?

Le SNES-FSU poursuit sa démarche critique vis-à-vis du numérique et du déploiement de l’IAg avec la volonté de faire vivre nos mandats et d’obtenir la participation démocratique la plus large possible sur ce sujet au sein du Service public d’éducation.


Vos questions
Le Snes défend les droits individuels et collectifs. Vos représentants vous répondent, vous conseillent et vous accompagnent.
Accès à la FAQ

Vous ne trouvez pas votre réponse, posez-nous votre question