Logiciel peu compétent
Avec l’annonce de LSU et la réforme du Dnb, les enseignants se trouvent directement confrontés à la marchandisation de l’Ecole. En effet, d’après le ministère, 75% des établissements scolaires utiliseraient un logiciel offrant un vaste panel des fonctionnalités du Schéma Directeur des Environnements de Travail (SDET), mais présentant comme grave défaut de ne pas satisfaire aux critères de sécurité et de confidentialité du SDET. Du coup, ce logiciel est présent dans les ENT, mais oblige les chefs d’établissements à des manipulations de fichiers (extraction de la base des élèves, extraction des moyennes pour nourrir Affelnet, …). Son interface conviviale et l’efficacité du marketing (par ex de doubles pages ventant régulièrement ce logiciel dans la revue d’une organisation de personnels de direction) de la société qui l’a développé ont fait de lui le logiciel préféré de nombreux EPLE (alors qu’il existe aussi d’autres logiciels tout aussi efficaces et moins chers ; cependant, certains ont aussi droit, comme lui, à avoir des « personnes ressources », personnels de direction reconnus comme telles dans certaines académies) … jusqu’à la réforme du collège. Car les compétences sont venues jouer les troublions.

Compétences pour évaluer, ou pour cocher des cases?
En effet, de nombreux collègues ont découvert, lors de la prérentrée, qu’il y avait maintenant une liste de compétences à évaluer dans le bulletin trimestriel édité par ce logiciel, et qu’ils devaient choisir celles qu’ils allaient évaluer, par exemple en se les répartissant par niveau ou par discipline. Ccerise sur le gâteau, ces « compétences » étaient présentées comme celles des textes règlementaires, alors que Lsu lui même ne les contenait pas (et pour cause…) et que, lorsque le libellé ne semblait pas explicite, on pouvait même le réécrire! Dans certains établissements il a même été demandé aux collègues de rédiger les intitulés de ces « compétences ». Si certains chefs d’établissement se sont bien gardés d’exhorter les collègues à utiliser cette fonctionnalité, dans la majorité des établissements ça a été présenté comme faisant obligatoirement partie de nos missions d’évaluation. Le plus drôle (si tant est qu’il y a quelque chose de drôle dans cette situation ubuesque), c’est que l’échelle de maitrise des compétences proposée n’était même pas compatible avec celle figurant officiellement sur Lsu. Et donc, plutôt que de pouvoir se concentrer sur la réflexion et la mise en place au mieux des nouveaux programmes, nombre de collègues se sont échinés, parfois sous la contrainte, à « valider des compétences »! Avec le bienveillant engagement de certains chefs d’établissements à faire la bascule vers Lsu lorsque ce dernier sera enfin opérationnel. Mais au fait, qui a la charge de l’évaluation des élèves s’il s’agit de transformer celle-ci a posteriori?

Pas de compétences informatiques au ministère?
Au delà du gâchis que représente la mise en place précipitée de la réforme du collège et du socle contre l’avis des personnels, cette situation montre bien que la politique de l’Ecole numérique relève plus de la façade et de la « communicationite aigue » que de la volonté de vouloir améliorer en profondeur le système éducatif. Alors que la gendarmerie nationale a su se doter au milieu des années 2000 d’un système informatique basé sur le logiciel libre, l’Education nationale a préféré se tourner vers les acteurs en position de monopole dans le domaine de l’outil numérique et du logiciel, voire à laisser certains acteurs arriver à une position dominante sans établir de règles. On pourra se rappeler de l’échec du LPC, qui trouvait son origine dans la politique mise en place en 2005 par le ministre de l’époque, devenu récemment, après primaires, candidat à la présidence de la république. Ce même ministre avait d’ailleurs accompagné la généralisation des Ent, favorisant alors l’accès des éditeurs privés de logiciels au marché de l’Education Nationale (sans oublier les fabricants de Tni et autres TBI).

Tablettes et équipements mobiles
Et, avec le plan « Tablettes », on assiste à la même dérive. Après l’annonce très médiatique du président de la république, sans doute fort mal conseillé par des personnes peu compétentes en matière de droit du numérique, et à la veille d’échéances électorales nationales, les tablettes, dont l’utilité pédagogique ne semble être que ponctuelle, ont fait leur apparition dans la quasi totalité des établissements scolaires, selon des modalités de distribution, de mise en service et d’usage très variables Malheureusement, personne n’avait vraiment réfléchi aux implications : la politique commerciale des éditeurs de logiciels a changé, s’appuyant de plus en plus sur des licences d’un an ou plus pour un produit qui n’est, le plus souvent, pas enregistré sur le disque dur de l’ordinateur, mais accessible en ligne sur le « Cloud ». Et, avec les tablettes, impossible de s’en affranchir. Du coup l’utilisateur se trouve dépendant de l’éditeur du système d’exploitation, soit au choix, de Microsoft, de Google (Alphabet depuis 2015) ou d’Apple. Et, surtout, il doit passer par sa « boutique » (« store ») pour avoir accès aux applications qu’il veut utiliser (qu’elles soient gratuites ou payantes, comme sur les smartphones). Et c’est là que le bas blesse : quantités de données transitent dans la plus grande opacité, et nul ne sait ce qui en est fait !

Données sans domicile fixe
Du coup, le ministère s’est aperçu que quantité de données personnelles pouvaient vagabonder sur le Cloud en toute non conformité, que ce soit à la loi française ou aux textes européens. La DNE (direction du numérique pour l’éducation, créée en mars 2014) s’est saisie du problème en consultant les représentants des personnels il y a quelques mois (une vraie nouveauté dans la politique numérique de l’EN) pour préparer un texte sur les « équipements mobiles ». Mais le mal était fait. Il est alors devenu urgent de faire cesser cette situation en réglementant, non pas sur le fond, mais uniquement sur la forme : définition des responsabilités des chefs d’établissement (tout en créant des problèmes avec le statut de directeur d’Ecole), rédaction de contrats avec les éditeurs. En saupoudrant cela d’un appel à la confiance (rejeté par les représentants de toutes les organisation syndicales présentes) et sans que l’Etat se dote du moindre moyen de pouvoir vérifier que les contrats sont vraiment respectés. Or, entre Wikileaks, Panamapapers,  » backdoors » des routeurs Cisco (ou ceux des systèmes d’exploitation) exploités par la Nsa et autres services d’espionnage, …, on a tout lieu de penser que les données personnelles des élèves pourront facilement être détournées si l’Etat ne se donne pas les moyens de pouvoir faire pression, autrement qu’en signant un contrat, sur les multinationales de l’informatique. Et on peut encore craindre le pire : certains utilisateurs de l’application eParents, électeurs potentiels, demandent déjà que celle-ci donne accès, via leur smartphone (qui est un équipement mobile) à Lsu. Or, dans sa délibération de juillet 2016 (sur un texte qui a connu depuis des changements), la Cnil prenait acte que les données utilisées pour « mesurer l’activité ou les capacités cognitives de l’élève » seraient exclues des données transmises par les équipements mobiles. Lsu est, rappelons le, le Livret Scolaire Unique… Risquons nous de voir apparaitre de nouvelles failles « légales » dans la protection des données personnelles?

Le Snes demande depuis des années que le numérique éducatif soit traité autrement qu’à coup de textes présentés à la va-vite avant publication. Il devient maintenant urgent de le faire et de cesser cette fuite en avant nuisible au droit de chacun à pouvoir protéger ses données, même si l’OCDE considère les données comme des marchandises. Sinon l’Ecole contribuera à doter chaque « citoyen » de chaines virtuelles bien plus solides que celles de l’esclavage combattu après la déclaration des Droits de l’Homme.

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