Monsieur le Ministre,

Le 29 août 2017, vous disiez lors de votre conférence de presse : « Tous les professeurs de France et tous les personnels de l’Éducation nationale peuvent compter sur moi et sur l’institution pour leur manifester ces signes de confiance qui se traduisent, dès cette rentrée, par une plus grande liberté d’action accompagnée d’une responsabilisation plus importante. Cette confiance envers les professeurs et les personnels se traduira également par un soutien constant de l’institution dans l’exercice de leurs missions et dans leurs initiatives. Je suis persuadé que les réponses d’avenir naîtront du terrain, inspirées par ceux qui cherchent quotidiennement des solutions pour faire progresser les élèves, notamment les plus fragiles. »
Comment interpréter alors les nombreuses situations d’intimidation actuellement vécues sur le terrain par les personnels alors qu’ils expriment leurs difficultés face à une série de réformes imposées des hautes sphères, mises en œuvre dans la précipitation, dans un contexte qui plus est de suppressions de moyens ?
La menace de sanctions ne peut être la réponse aux questions posées légitimement sur des réformes qui déstabilisent le métier, induisent une perte de sens, fragilisent la qualité du service public d’éducation pour tous les élèves.
Le 13 novembre 2018, vous déclariez à l’assemblée nationale :« je sais écouter ces 90 % [de non grévistes], je les vois tous les jours sur le terrain et ils me disent qu’ils comprennent cette politique et qu’ils la soutiennent ».
Si vos réformes étaient si unanimement partagées, vous ne seriez pas confronté à l’amplification des actions des personnels, actions qui touchent désormais nombreux établissements et Académies (démission du rôle de professeur principal, référendums organisés dans les établissements…). C’est parce qu’ils sont attachés à leurs métiers et leurs élèves que les personnels engagent aujourd’hui ces actions destinées à pointer les problèmes posés par les réformes du lycée et du baccalauréat. C’est ce que signifie ce mouvement large de contestation et il serait vain de chercher à l’entraver par des tentatives d’intimidation répétées comme en témoignent les écrits ou actes des hiérarchies du Ministère. Vous n’êtes pas sans savoir qu’une des principales fédérations de parents d’élèves demande un moratoire sur la réforme du lycée, que les inquiétudes des enseignants sont amplement relayées.
Dans le document qui figure en annexe de ce courrier, nous avons relevé un certain nombre de ces intimidations. Elles ne sont pas dignes d’un ministre qui se dit ouvert au dialogue. Nous vous demandons que les préconisations données aux différents échelons hiérarchiques soient celles du dialogue et non de la menace. Par ailleurs, nous avons relevé certaines des affirmations qui figurent dans les brochures de promotion de la réforme du lycée distribuées aux parents d’élèves. Celles-ci sont en contradiction avec la réalité de ce qui se met en place sur le terrain. Nous souhaiterions en avoir l’explication.
Enfin, de nombreuses zones d’ombre perdurent dans l’application de votre réforme, malgré nos incessantes demandes. Nous vous demandons que soient apportées des réponses.

Ces derniers mois, nous ne recevons plus guère de réponses aux courriers que nous vous adressons. L’absence de communication, hormis par voie médiatique, est regrettable. L’absence de dialogue et de souplesse l’est encore davantage. Les personnels que nous représentons espèrent que ce courrier recevra de votre part un autre type de réponse que les précédents.

Veuillez croire, Monsieur le ministre, en notre profond attachement au service public d’éducation.

Paris, le 15 mars 2019

Annexe

Concernant les tentatives d’intimidations répétées
– une note de service du 8 mars « refus de faire passer les évaluations de CP, de CE1 ou de 6e, ou d’en transmettre les résultats » rappelle que « le manquement à ces obligations caractérise la faute professionnelle » et invite à l’usage du « décret 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l’Etat »  ;
– un chef d’établissement confronté à une décision collective d’enseignant concernant la remontée des notes dans les bulletins scolaires leur rappelle sèchement que le fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique »,
Venue d’inspecteurs généraux dans un lycée de Nimes où les équipes ont décidé collectivement de ne pas faire passer les bacs blancs.
– Venue d’inspecteurs pédagogique régionaux dans un lycée de Saint-Maixent où les professeurs principaux ont majoritairement décidé de démissionner.

Contradictions entre les annonces et la réalité
Dans le dossier de présentation de la réforme du lycée sur le site ministériel figure :
– l’affirmation : « Il n’y aura plus de série en voie générale mais des parcours choisis par chaque lycéen en fonction de ses goûts et de ses ambitions. ». Or, la note de service du 6 mars « traitement des choix des enseignements de spécialité de première générale et affectation des élèves à la fin de la seconde professionnelle organisée par familles de métiers » qui donne les procédures d’affectation des élèves dans les spécialités prévoit que les élèves sont prioritaires pour choisir les spécialités qui sont ouvertes dans leur établissement d’affectation mais ne peuvent accéder à une spécialité dans un autre établissement que s’il reste des places ;
– la mention « avec le contrôle continu, pas de surchauffe » et « Pour simplifier une organisation trop complexe ». Avec un baccalauréat organisé en 4 sessions dont 3 seront purement locales, c’est une pression permanente qui est mise sur les élèves avec plus d’épreuves écrites que dans la précédente organisation ce qui pénalisera inévitablement les élèves les moins à-même de construire leur pensée par écrit.

– « Les maths ne disparaissent pas totalement du tronc commun, fait valoir le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer. Un « enseignement scientifique » sera dispensé, à raison de deux heures par semaine, à tous les élèves de la voie générale. » (in Marianne). La publication du programme d’enseignement scientifique montre qu’il ne s’agit aucunement d’enseignement des mathématiques mais uniquement une vulgarisation de thème scientifiques.

Aucune réponse sur des sujets fondamentaux
– Les élèves peuvent-ils prendre n’importe quelle matière en spécialité ? Par exemple, pédagogiquement parlant, un élève peut-il prendre la spécialité SI sans prendre l’une des spécialité maths ou sciences physiques ? Peut-il prendre l’une ou l’autre des spécialités Physique et SVT sans prendre la spécialité mathématique ?
– Un élève peut-il prendre mathématique complémentaire en Terminale sans avoir pris la spécialité mathématique en classe de première ?
– Les épreuves communes en cours de formation sont des épreuves certificatives. Il est dit qu’elles seront formatives. Comment le retour de ces évaluations se déroulera-t-il ? Quelles notes seront communiquées aux élèves : les notes originelles ou les notes harmonisées ?
– Le grand oral : quand sera-t-il préparé par les élèves ? Comment sera-t-il organisé ? Comment les sujets seront-ils choisis ?