Choc des savoirs

Est-il si difficile de reconnaître l’échec d’une réforme ? Vaut-il mieux sacrifier une cohorte supplémentaire d’élèves pour ne pas revenir sur sa parole ? C’est ce que le ministère demande aux recteurs et rectrices dans une lettre de recommandations.

Le ministère s’appuie sur le rapport de l’inspection générale pour prétendre que l’échec de la réforme réside dans la mauvaise interprétation de l’expression « groupes de besoins » par les équipes pédagogiques.

Faire preuve de pédagogie

Le ministère commence par prescrire des pratiques pédagogiques : « il est recommandé de mettre l’accent sur l’acquisition de compétences précises, plutôt que sur le niveau général des élèves dans les deux disciplines. Ainsi la capacité de lire de manière fluide, la maîtrise du lexique, les stratégies élémentaires de compréhension, la connaissances des nombres, les automatismes des faits et des procédures mathématiques ainsi que les bases de la résolution de problèmes […] seront privilégiés pour la constitution des groupes ».

Il faut entendre ici et dans le rapport que les équipes pédagogiques dans les collèges n’ont pas compris la différence entre « groupes de niveau » et « groupes de besoins ». Le ministère démembre ainsi les disciplines pour les tayloriser en sous-taches qui ne font pas sens. Le regroupement de besoins serait donc le lieu d’une sorte de travail à la chaîne dont l’« élève à besoins » (nouveau concept utilisé par l’IG) sortirait réparé·e.

D’après le ministère, « les « tests spécifiques » des évaluations nationales constituent un levier essentiel pour mener ce travail de personnalisation et de différenciation des enseignements. » Ces mêmes tests que le SNES-FSU dénoncent régulièrement car ils ne mesurent que ce qui peut être facilement mesurable et ne couvrent pas toute la complexité d’une discipline.

Au SNES-FSU, on se demande en revanche ce qui n’est pas clair dans la préconisation de l’inspection générale qui écrit en conclusion : « la mission recommande une évolution de la démarche et en premier lieu un abandon du modèle actuel consistant à proposer une mise en œuvre uniforme des enseignements en groupes pour tous les élèves de 6e et 5e sur l’ensemble des horaires disciplinaires de français et de mathématiques. »

Le SNES-FSU demande l’abandon immédiat de l’organisation de regroupements de besoins en Sixième et Cinquième !

Un tour par la petite histoire

Plutôt qu’afficher un mépris certains quant à la capacité de compréhension des personnels, peut-être faut-il se rappeler les propos du ministre de l’Éducation nationale G. Attal dans les médias au lendemain des annonces du 5 décembre 2023. C’est sans vergogne, qu’il utilisait le vocabulaire « groupes de niveau ».

Peut-être faut-il rappeler aussi que ce sont les organisations syndicales qui ont proposé l’expression « groupes de besoins » dans les instances ministérielles pour assouplir les textes réglementaires, ce qui correspondait mieux au souhait de la ministre N. Belloubet avant que le premier ministre G. Attal ne reprenne la main sur l’Éducation nationale. L’expression « groupe de besoins » a permis au SNES-FSU de conseiller aux professeur·es d’arguer que le besoin des élèves était d’étudier dans des classes/groupes hétérogènes lors des conseils d’administration.

C’est bien une École du tri scolaire, et donc social, que devait mettre en œuvre le « Choc des savoirs ». Il n’y a pas de doute sur l’idéologie portée par la présidence et le gouvernement de l’époque. L’Inspection générale constate d’ailleurs en conclusion : « un très probable accroissement des écarts de réussite entre les différents groupes d’élèves d’un même établissement » évoquantmême une « dérive des continents ». Le véritable objectif de la réforme est en voie de réalisation et c’est donc pourquoi le ministère souhaite le prolonger.

L’École inclusive : comme un gravier dans l’engrenage

L’École inclusive, c’est un bel affichage mais quand il s’agit de la doter de moyens ou de la prendre en compte dans une réforme plus générale, ça patine.

L’arrêté « Choc des savoirs » ne mentionne pas les élèves de l’École inclusive. Mieux encore, les élèves de SEGPA n’étaient initialement pas concerné·es par les groupes de niveau puisque l’arrêté concernant la SEGPA ne les mentionnait pas.

C’est dans la note de service, actuellement annulée par le Conseil d’État avec le premier arrêté -15 mars 2024-, que deux phrases ont tenté de résoudre l’équation. L’une affirmait que des élèves de SEGPA pouvaient être inclu·es dans des groupes de besoins au lieu de bénéficier de l’enseignement de leur professeur·e des écoles spécialisé·e dans la grande difficulté scolaire. L’autre précisait : « Il ne s’agit pas d’affecter un élève dans un groupe fixe toute l’année, mais de constituer des groupes évolutifs en fonction des besoins et compétences des élèves, sans que d’autres critères, tels que la situation de handicap, n’entrent en ligne de compte. » Soit on prenait en compte les besoins des élèves de l’École inclusive et ils et elles risquaient de remplir le groupe de plus faible niveau, soit on ne tenait pas compte de leurs besoins pour maintenir une École inclusive qui ne les ségrègue pas. Une vraie quadrature du cercle qui fait que l’Inspection générale a bien trouvé des collèges regroupant ensemble les élèves en situation de handicap et les allophones avec quelques élèves en très grande difficulté scolaire ! La ministre a évoqué cette situation devant le Sénat car cette situation n’est en effet pas acceptable mais elle résulte de cette réforme imposée contre la profession et les organisations syndicales de terrain.

La lettre du ministère aux recteurs et rectrices indique donc qu’« il est demandé de veiller à ne pas constituer des groupes d’élèves dont la nature des besoins est différentes : élèves de SEGPA, élèves d’ULIS, élèves allophones ou ex-allophones, élèves en situation de pré-décrochage, élèves au comportement perturbateur. » Le rapport de l’IG mentionne en effet les difficultés annoncées par le SNES-FSU de rassembler des élèves en grande difficulté car cela correspond dans une proportion non négligeable aux élèves qui perturbent les cours. Il précise que les équipes pédagogiques passent beaucoup de temps à constituer les classes, justement pour éviter la concentration de ces élèves dans une classe et que l’organisation en regroupements d’élèves vient percuter leur travail.

Éviter de mêler les élèves de SEGPA à cette réforme délétère est probablement la meilleure chose à faire. Logiquement, il devrait en aller de même pour les élèves d’UPE2A durant leur unique année dans ce dispositif. Mais cette rédaction montre qu’à force de classer les élèves par leur type de besoins, on finit par essentialiser leur handicap ou leurs lacunes où ils et elles se retrouvent enfermé·es ; ce qui éloigne fort de l’idée d’éducabilité de tous et toutes les élèves et de la valorisation de ce qu’ils et elles savent faire.

La pérennité des regroupements montrée du doigt

En 2024, après la médiatisation des résultats unanimes de la recherche montrant que les classes de niveau ne bénéficient à personne, le ministère avait ajouté une possibilité d’organisation sous forme de dérogation : « Par dérogation à cette organisation générale, les élèves peuvent être regroupés conformément à leur classe de référence, pour une ou plusieurs périodes, sur une à dix semaines dans l’année, la plus large majorité du temps d’apprentissage annuel ayant vocation à être suivie dans le cadre des groupes qui constituent le principe d’organisation. »

Ainsi le ministère se fondait-il désormais sur la méta analyse de Dupriez qui montrait quelques effets bénéfiques de groupes de niveau sur de très brèves périodes… mais sous forme d’ateliers intraclasses avec le ou la professeur·e de la classe !

Le rapport de l’inspection générale montre que dans la plupart des collèges visités, les regroupements de niveau ou de besoins sont restés pérennes au cours de l’année ou bien que des élèves ont pu changer de regroupements à la marge en début d’année. Dans les autres collèges, les élèves savent parfaitement témoigner dans le même rapport de leur attachement à garder un·e seul·e professeur·e et les mêmes camarades à l’année et des moments chaotiques qu’ils ont pu traverser à l’occasion d’un changement de groupes (erreur de salle, etc.). Les vies scolaires et les professeur·es concerné·es aussi ont pris conscience de la difficulté de passer d’un fonctionnement en classe de référence à celui en regroupements et vice-versa.

Les élèves ne sont pas qu’un paquet de connaissances et/ou de compétences mais des citoyen·nes en devenir et l’École doit rester un lieu de socialisation et non pas un simple parcours d’obstacles individualisé.

Dans sa lettre aux recteurs et rectrices, le ministère tend à généraliser le retour en classe de référence dix semaines par an alors qu’il était dérogatoire ! Et cela sans prendre en compte ces témoignages. « Il vous est demandé de veiller à bien mettre à profit la possibilité de regrouper les élèves dans leur classe de référence, afin de ne pas perdre de vue les finalités d’apprentissage en commun une fois les compétences mieux maîtrisées par tous à l’issue de travail en groupe ».

L’avis du SNES-FSU

Le SNES-FSU ne peut pas admettre ces récentes décisions ministérielles, à contre-courant du bilan de l’IG. Prolonger d’une année les regroupements de niveau pour vérifier que cela ne bénéficie pas aux élèves est un pari inutile et néfaste. Cela rappelle la trop longue mise en extinction sur une année des prépa-Seconde, dans lesquelles il ne faut pas orienter les élèves de Troisième. Le SNES-FSU demande encore et toujours l’abandon des groupes de la réforme du « Choc des savoirs » à la rentrée 2025.

Il appelle à utiliser le bilan de l’IG pour asseoir vos arguments en conseil pédagogique et surtout en conseil d’administration quand il sera possible de voter une délibération sur l’hétérogénéité et la pérennité des regroupements (dernier CA de l’année scolaire). Le SNES-FSU utilisera ce rapport comme pièce de dossier dans son recours au Conseil d’État pour faire annuler le décret et l’arrêté de 2025.


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