Igor GARNCARZYK est secrétaire général du Snupden-FSU, syndicat des chefs d’établissement de la FSU

L’US : Comment avez-vous géré la mise en place de la continuité pédagogique ?
Igor Garncarzyk : Les mesures de confinement ont placé les établissements, les élèves, les familles et les enseignants devant une situation totalement inédite. Nous avons dû gérer une situation mal préparée, des décisions prises sans grande cohérence. La « continuité pédagogique » rêvée par le ministre, sans prise en compte des réalités de terrain, s’est heurtée à de nombreuses difficultés, a creusé les inégalités sociales et scolaires, quand elle ne tenait pas de l’impossible. Cette continuité pédagogique avec un télétravail de masse a demandé un investissement colossal pour les équipes.

Nous avons dû revoir les organigrammes de travail et la répartition des tâches, gérer une nouvelle communication avec les familles. Les premiers jours, les espaces numériques de travail, quand ils existent, ont été mis à rude épreuve, tout comme les nerfs des différents utilisateurs : difficulté voire impossibilité de se connecter, absence de réseau du fait d’une zone blanche, difficultés à déposer ou télécharger des documents (fichiers pdf, on ne parle même pas des vidéos ou contenus audio), déconnexions régulières des box, saturation du réseau, difficulté pour certains élèves à s’approprier seuls l’outil informatique, matériel personnel obsolète ou totalement absent dans certaines familles. Autant de failles qu’il a fallu gérer.
A la hâte, les collègues chefs d’établissement et leurs équipes ont aussi repéré les familles en difficulté, proposé des liasses de photocopies aux élèves qui n’avaient pas de moyens d’accéder aux contenus.
Cet effort commun pour maintenir une continuité pédagogique a reposé sur un équilibre très fragile qui visait l’objectif de ne pas creuser davantage les inégalités scolaires. C’est ce que nous avons répété aux équipes pédagogiques. Elles ont dans cette période plus un rôle « social » que « pédagogique » : garder un lien avec les élèves et les accompagner à garder « un cadre » proche du « cadre scolaire ». Pour autant, à l’impossible, nul n’est tenu. Comment faire en sorte que des élèves déjà en décrochage scolaire ne le soient pas davantage ? Comment réussir à les intéresser quand les familles elles-mêmes sont en difficulté pour gérer les temps d’occupation devant les écrans, les impressions, et leurs propres moments de télétravail ?

L’US : Quel jugement portez-vous sur la suppression des examens et comment organiser les procédures d’orientation notamment Parcoursup ?
I.G. : La période que nous vivons a bien évidemment nécessité un réaménagement exceptionnel des épreuves d’examen. Le ministre de l’Éducation nationale a annoncé, une fois de plus sans concertation, des décisions avec la suppression du baccalauréat et du DNB, alors qu’il maintient les oraux de français. Dans le même temps, il a supprimé les oraux du DNB qui sont bien moins lourds en termes d’organisation que ceux de Français en 1ère. L’égalité de traitement des candidats, l’égalité républicaine est un principe intangible, base de notre système certificatif national. L’ensemble des adaptations nécessaires doit être bâti autour de ce pivot.
Une attention toute particulière doit être portée aux modalités d’affectation dans l’enseignement supérieur dans le cadre de Parcoursup. Alors que les premiers bilans des nouvelles modalités d’affectation à la rentrée 2019 indiquent une plus grande discrimination sociale, une augmentation de 7% étant généralement avancée, alors que chacun s’accorde à reconnaître que la situation actuelle renforce les inégalités sociales, tant pour l’enseignement, que pour les procédures d’orientation, trois mesures nous semblent immédiatement indispensables : le report de la procédure d’affectation Parcours Sup, que les modalités de classement soit corrigées pour minorer les facteurs corrélés à l’origine sociale, que des places supplémentaires soient ouvertes dans de nombreuses filières afin de permettre une moindre sélection.

L’US : Quelle est votre première analyse des mesures décidées par J.-M. Blanquer pour le 11 mai ?
I.G. : Là aussi cette décision a surpris tout le monde. Le déconfinement doit être impérativement pensé, faire l’objet de protocoles, or ce qu’on nous propose manque singulièrement de cohérence et est bien souvent en complet décalage avec la réalité du terrain.
Nous percevons clairement les intentions gouvernementales liées à la volonté de redémarrage de l’économie. Pour le Snupden-FSU, cette volonté ne doit aucunement prédominer sur le principal objectif qui est et doit demeurer la préservation de la santé de tous les Français.

Nous exprimons clairement nos doutes quant à la crédibilité de ce calendrier et la faisabilité des mesures sanitaires. Nous attendons encore que le ministère définisse précisément les principes devant guider toute action, les conditions sanitaires à appliquer aux personnels et aux élèves, les règles de gestion des ressources humaines à appliquer, ainsi que les objectifs pédagogiques à viser lors de cette rentrée post-confinement.
Cela nécessitera que, lorsque localement les conditions optimales pour permettre la réouverture et/ou l’accueil des élèves ne seront pas réunies, les décisions des conseils d’administration et des chefs d’établissement, dans le respect des normes et règlements en vigueur, soient acceptées par les autorités, sans pression, dans une relation de confiance, de bienveillance et de responsabilité.

Parmi les principes que le Snupden-FSU exige, il faut que les mesures de sécurité sanitaires prévalent sur toute autre considération ; que tous les élèves d’un même EPLE, relevant d’un même statut, hors mesure sanitaire, soient concernés par les mesures de reprises progressives (pas de mesures discriminatoires, notamment sociales ou scolaires). Nous voulons qu’une consultation des organismes représentatifs des EPLE soit réalisée préalablement à l’accueil des élèves, notamment le comité hygiène et sécurité et/ou le CA. Par ailleurs, une pré-rentrée avec les personnels, préalable à l’accueil des élèves, doit être d’une durée suffisante pour que toutes les organisations matérielles, humaines et pédagogiques soient discutées et acceptées par les personnels.

Enfin, sur le plan pédagogique, la reprise doit être essentiellement consacrée à la reconstruction du lien, à la stabilisation des apprentissages réalisés, à l’aide aux élèves en situation de décrochage, à l’accompagnement à l’orientation. Nous ne pouvons pas prendre en compte le temps d’enseignement à distance comme ayant rempli l’ensemble des fonctions d’un enseignement en salle de classe.
Tirons aussi les leçons de la crise et pallions ces dysfonctionnements générés par les politiques menées depuis des années. La protection et la promotion des services publics doit être une priorité, dès aujourd’hui et pour demain. Ils sont les garants de notre santé, de notre éducation, de notre avenir. Ils sont les meilleures armes face à des inégalités croissantes et les garants du respect des droits fondamentaux. Les protéger, c’est investir dedans. C’est aussi revaloriser les personnes qui y travaillent et leur donner les moyens d’agir.
La crise sanitaire actuelle est une loupe grossissante d’inégalités criantes. Les choix politiques qui seront faits devront les réduire et non pas les accentuer comme ce qui a été fait depuis de nombreuses années.

Propos recueillis par Thierry Pétrault

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