Pas un jour ne se passe sans que ne soit publiée, ici ou là, une tribune dénonçant la disparition des langues anciennes programmée par la réforme du collège ; la presse audio-visuelle fait aussi une large place aux défenseurs des humanités, aux débats sur l’utilité des langues anciennes.
Pourtant, depuis une dizaine de jours, la contre-offensive des tenants de la réforme s’organise et la Ministre de l’Éducation nationale elle-même intervient sans cesse dans les media. Elle fustige ceux qui critiquent son projet sans l’avoir consulté. Pourtant, à l’entendre, à la lire, il semblerait qu’elle-même n’ait pas clairement compris tous les ressorts du collège qu’elle propose, en particulier pour ce qui concerne les langues et cultures de l’antiquité, qu’elle dit vouloir offrir à tous les élèves alors qu’elles n’étaient jusqu’à présent « réservées » qu’à 18% des collégiens.
Faut-il encore répéter que l’enseignement du grec ou du latin n’a jamais été réservé à qui que ce soit ? Bien souvent, en classe de cinquième, les élèves sont nombreux à souhaiter s’inscrire et s’ils ne le font pas tous, c’est parce que le collège n’obtient pas les moyens horaires de l’ouverture d’un second groupe qui le permettrait à chacun. Les professeurs de Lettres Classiques ne présentent pas ces options comme des cours réservés à un happy few, ils sont au contraire nombreux à être convaincus des possibilités de remédiation offertes par l’apprentissage de ces langues à des élèves en difficulté et le proposent à tous.
Le nouveau collège améliorera-t-il la situation de l’enseignement des humanités ? Il est permis d’en douter.
Si l’on n’y regarde pas de trop près, on peut croire que rien ne change ou mieux, qu’il s’ouvre à un public plus large. Maxime Vaudano, auteur d’un article pour Les Décodeurs, du Monde.fr, « le latin et le grec vont-ils vraiment disparaître du collège ? » s’y est laissé prendre. Il « montre », infographie à l’appui, que si le nombre d’heures d’enseignement diminue, il n’y a pas péril en la demeure, grâce à des « cours de français adaptés », à l’Enseignement pratique interdisciplinaire, à l’enseignement de complément.

Les Langues et Cultures de l’Antiquité dans le nouveau collège, l’excellence offerte à tous les élèves ?

« Les éléments fondamentaux des apports du latin et du grec à la langue française feront l’objet d’un enseignement dans le cadre des cours de français » peut-on lire sur eduscol. Il ne s’agit donc pas là d’enseigner les langues anciennes mais le français, dans son rapport avec les langues mères. Nous nous réjouissons que tous les élèves découvrent les origines du français, nous pensons que c’est un apprentissage fondamental. Cependant, nous ne nous leurrons pas. Il s’agit, tout au plus d’une initiation aux langues anciennes, pas d’un réel enseignement de celles-ci.

L’Enseignement Pratique Interdisciplinaire est censé permettre aux langues anciennes de retrouver leur horaire d’avant la réforme (si on compte bêtement 1heure d’EPI plus 1h d’enseignement complémentaire égale 2h hebdomadaires en cinquième par exemple). Nous comprenons qu’il ait pu sembler une bonne piste car les Langues et cultures de l’Antiquité revendiquent fréquemment leur caractère transdisciplinaire. Sa mise en œuvre pose cependant de nombreux problèmes. D’abord, il n’a rien d’obligatoire ; chaque établissement devra valider son ouverture. Ensuite, il faut considérer que les temps d’EPI sont pris sur des horaires disciplinaires et qu’ils ont pour objectif de traiter des points du programme des matières qui y participent. Deux matières, au moins, devront s’entendre pour traiter certains points de leurs programmes respectifs à travers l’EPI. Or s’il n’est pas clairement inscrit dans l’arrêté du 31 mars qu’il possède un caractère dérogatoire et que les élèves qui le souhaitent peuvent en poursuivre l’étude pendant les trois années du cycle 4, il n’en reste pas moins que la possibilité de suivre le latin en enseignement de complément est subordonnée à l’inscription des élèves à cet EPI. En conséquence, le professeur de Lettres classiques acceptera, pendant trois années consécutives, de renoncer à une partie de son horaire de français pour dispenser l’EPI de langues et cultures de l’antiquité et devra, également durant trois ans, trouver des collègues qui voudront bien renoncer aussi à une partie de leur horaire disciplinaire pur. A ces difficultés s’ajoutera le fait que dès la Quatrième se trouveront mélangés des élèves ayant déjà suivi cet enseignement l’année précédente et d’autres qui le découvriront -à moins que l’on ne recrée très vite, à travers cet EPI, des filières dites « d’élite ». Pour finir, il reviendra à chaque établissement de déterminer la durée d’un EPI, annuelle, semestrielle, trimestrielle ; rien ne dit que cet EPI sera dispensé à raison d’une heure hebdomadaire annuelle. Ainsi, dans le meilleur des cas, les élèves se verront-ils proposé, à nouveau, un temps d’initiation aux Langues et cultures de l’Antiquité, sûrement pas un véritable enseignement de ces disciplines. D’ailleurs, comment cela pourrait-il être puisque la règle de l’EPI stipule que les matières qui y participent doivent traiter des points de leur propre programme et qu’il s’agit des disciplines qui, contrairement au latin ou au grec, ont une existence dans les grilles horaires ?

Le comble de la mauvaise foi est atteint avec l’enseignement de complément, ersatz de l’option facultative. Non seulement son horaire est amputé et nous avons vu que l’EPI ne garantissait en rien la certitude de retrouver l’horaire antérieur mais en plus son existence est soumise au bon vouloir du conseil pédagogique et du conseil d’administration. Les heures de latin sont à prendre sur la marge d’autonomie des établissements. Cette marge d’autonomie s’élèvera à 3h hebdomadaire par division. Elle est à partager entre les disciplines pour des heures de groupe, des heures de cointervention et l’enseignement de complément latin (quant au grec rien ne certifie encore son existence en troisième, il n’apparaît plus nulle part…). On voit très vite qu’en classe de 4ème ou de 3ème, les deux heures hebdomadaires de latin « mangent » dans leur quasi intégralité les possibilités de faire des heures disciplinaires en groupe, pour une division de ce niveau dans l’établissement.
Ainsi, alors qu’auparavant le latin était « réservé » à 18% d’élèves, dorénavant il sera le privilège de quelques gros établissements, ceux qui pourront, du fait de leurs nombreuses divisions, disposer d’un nombre assez conséquent d’heures à répartir pour que les heures de langues et cultures de l’antiquité ne soient pas un poids trop lourd. Encore y a-t-il fort à parier que dans ces établissements, il n’y aura plus qu’un seul groupe de latin alors qu’il en existe parfois deux aujourd’hui.
Madame la Ministre oublie toujours de présenter cet aspect des choses quand elle évoque le sort des langues anciennes. Alors qu’elle regrette l’existence, dans les collèges, de classes pour des privilégiés, nous craignons à présent un accroissement des inégalités entre les établissements.

Le CSP pour tenter de désamorcer le conflit

Pour tenter de calmer la grogne, Madame la Ministre vient d’annoncer la saisine du CSP sur la question des Langues et cultures de l’Antiquité. Le ministère s’aperçoit enfin du silence assourdissant des programmes à propos de ces disciplines. Dire que les programmes de français allaient proposer des contenus adaptés pour que tous les élèves bénéficient des richesses du latin ou du grec n’était qu’un effet d’annonce. Le CSP se voit donc chargé de reprendre les programmes de français sur ce point, mais aussi de réfléchir à l’EPI Langues et Cultures de l’Antiquité (le projet du cycle 4 à ce sujet est indigent) et à un programme pour l’enseignement de complément. Tout ceci est astucieux : on feint, aux yeux du grand public, de prendre nos disciplines en considération (mais c’est aussi reconnaître implicitement le mépris dont on a fait preuve auparavant en les ignorant totalement), on enfonce le clou de la nouvelle organisation du collège, on ne parle surtout pas du problème, majeur, de l’absence d’horaire dédié aux langues et cultures de l’antiquité dans les dotations horaires.
Nous ne serons pas dupes. Nous ne sommes pas hostiles à la présence d’éléments linguistiques latins ou grecs dans l’enseignement du français, nous avions fait des propositions au CSP en ce sens ; elles concernaient une initiation aux LCA en classe de 6ème. Nous ne sommes pas hostiles à l’interdisciplinarité mais le cadre dans lequel elle est proposée ne permettra pas de la développer dans de bonnes conditions, nous en sommes convaincus. Nous continuons à revendiquer la nécessité d’un horaire d’enseignement du latin et du grec garanti dans tous les collèges, c’est là qu’est la véritable égalité, si chère à notre Ministre.

Vos questions
Le Snes défend les droits individuels et collectifs. Vos représentants vous répondent, vous conseillent et vous accompagnent.
Accès à la FAQ

Vous ne trouvez pas votre réponse, posez-nous votre question