Les projets de programme sont consultables ici

Réflexion sur le préambule

Le préambule des projets de programme (commun aux programmes de spécialité et d’option) en dit long sur le changement de conception de nos disciplines. En effet, ce qui est désormais au coeur de nos enseignements, c’est la « confrontation ». Il s’agit donc d’insister sur les résonances entre civilisations antiques et monde moderne et contemporain, littérature antique et littérature moderne et contemporaine, française et étrangère afin de développer une « conscience humaniste ».
Le préambule met également en avant une « pratique renouvelée de la traduction », entendue « au sens large », ou encore « sous toutes ses formes », sans que l’on puisse précisément comprendre ce que ces expressions recouvrent. Rien de nouveau, pour beaucoup d’entre nous, dans la pratique de la « traduction contextualisée » qui est mise en avant.
La lecture suivie, avec des textes présentés en bilingue, prend une place centrale dans le cours de LCA, pour, dit le texte, « rendre possible une réelle confrontation des œuvres antiques avec nos textes modernes et contemporains », sans doute trop laborieuse quand elle passe d’abord par l’exercice exigeant de la traduction. L’apprentissage de la langue est conçu de façon décloisonnée et prend appui sur les textes étudiés, qui sont des « supports ». L’enchaînement des idées laisse penser que l’étude de la langue pourrait porter sur des textes présentés en bilingue ou, sur quelques phrases de celui-ci, bien choisies, que l’on ferait traduire aux élèves pour leur faire découvrir tel ou tel point grammatical, au risque de tomber dans les travers des textes prétextes.

Le programme propose de revendiquer les LCA dans leur dimension interdisciplinaire. Il est écrit : « Associant les questions de langue et les enjeux de civilisation, la littérature et l’histoire, cet enseignement se place au carrefour des sciences humaines et sociales ».
Nous pouvons partager cette vision des LCA. Toutefois, elle nous semble difficile à mettre en œuvre concrètement dans un programme scolaire de lycée. Qui trop embrasse mal étreint, selon nous : questions de langue (avec linguistique comparée), enjeux de civilisation, littérature, histoire, le tout « au carrefour des sciences humaines et sociales ». Cela fait beaucoup. C’est oublier aussi que les professeurs de Lettres classiques sont ce qu’ils sont : pas formés à la littérature comparée, pas des historiens, pas des sociologues. C’est une chose de faire quelques remarques de bon sens, d’établir des liens entre antiquité et modernité lorsque le support et l’actualité s’y prêtent, c’est autre chose de vouloir nous transformer en professeurs bis d’EMC (questions religieuses, de migrations, de genres, fake news, etc. sont autant de thèmes que l’on nous demande maintenant d’aborder).

Une dimension prescriptive renforcée

Le nouveau texte nous inquiète par sa dimension prescriptive. On trouve par exemple des indications sur les pratiques évaluatives, le type de questions que devront comporter les devoirs donnés : « donner pleinement leur part à des questions portant sur la compréhension et l’interprétation des textes antiques, modernes et contemporains proposés en confrontation, et offrir la possibilité à l’élève de rédiger un texte personnel lié à la thématique étudiée. ». La généralisation du portfolio, en option et en spécialité, est très gênante sur le plan de la liberté pédagogique. Le plan attendu du diptyque est donné : quelle liberté pédagogique avons-nous ? C’est la même chose avec les critères et les situations d’évaluation. Même si ce ne sont que des préconisations, nous savons tous que, figurant dans des textes officiels, elles exercent une certaine pression sur les personnels.
Enfin, figure dans le texte l’injonction à la différenciation pédagogique pour l’étude de la langue. Bien que la casse organisée par la réforme du collège rende quasi inévitable cette différenciation puisque les élèves entrant en seconde sont loin d’avoir tous eu les mêmes horaires d’apprentissage en LCA, est-il besoin d’imposer à tous cette pratique pédagogique par le biais du programme ?

Une perspective annuelle de travail : « L’homme dans la cité »

Ce questionnement, « L’homme dans la cité », est similaire à celui de l’option facultative en première, avec des propositions d’objets d’étude différentes. La question « vivre, dire et penser l’amour » semble un peu à côté de la thématique principale à laquelle on ne pourra la rattacher qu’artificiellement, nous semble-t-il.

Des axes de travail identiques à ceux de l’option facultative

Alors qu’il s’agit de l’enseignement de spécialité, intitulé « Littérature et LCA », et que l’on aurait pu attendre une perspective un peu différente, ce programme propose la même façon d’entrer dans les apprentissages : confronter un texte antique et un texte de la littérature moderne, maîtriser des mots concepts , connaître des grands personnages et des grands moments de l’histoire antique. Ainsi, même dans le programme de spécialité perdure l’impression que les apprentissages conduiront à produire des fiches, lexicales, de personnages, de lecture comparée… Le travail conduisant progressivement à des compétences de traduction en autonomie est peu développé, alors que c’est actuellement une activité pédagogique au coeur des pratiques de nos disciplines et qui, souvent, plaît aux élèves.
Bizarrement, il est mentionné que les professeurs peuvent traiter ce programme en enseignement conjoint, latin et grec. Toutefois, il n’existe pas, à ce jour, de spécialité ECLA, seulement une spécialité latin et une spécialité grec, et il faudra bien, à un moment ou à un autre, que les élèves se déterminent. Les notions à acquérir en morpho-syntaxe sont en effet assez conséquentes et il paraît difficile de conduire des élèves à toutes les maîtriser suffisamment pour être parés indifféremment à traiter un sujet de grec ou de latin en fin de première ou de terminale. Autant la possibilité de l’ECLA en option facultative se justifie, autant, en spécialité, elle est plus discutable, dans l’intérêt des élèves et dans la perspective de l’examen.

Les objets d’étude et l’étude de la langue

L’objet d’étude « Méditerranée » est , comme pour l’option, obligatoire. Après « Voyager, explorer, découvrir » en classe de 2nde, le programme offre une réflexion sur « Conflits, influences et échanges » qui ressemble beaucoup à ce qui se fait actuellement en classe de 2nde.
Les autres objets d’étude de la spécialité sont « La cité entre réalité et utopie », « Justice des dieux, justice des hommes », rappelant la partie « interrogations politiques et juridiques » du programme de terminale en vigueur. Un dernier axe de travail, « Amour, Amours » semble, comme nous l’avons dit plus haut, moins en prise avec la perspective d’ensemble de « L’Homme dans la cité », alors que l’intitulé « Masculin, Féminin » et les interrogations de l’option facultative paraissent plus en adéquation avec l’ensemble du programme annuel.

Le programme de langue est ambitieux et, au bout du compte, cette ambition est en décalage avec le type d’épreuve envisagé dans le document dont nous avions eu connaissance. Celui-ci ne nécessite pas forcément une connaissance aussi pointue de la langue, en latin ou en grec (on pense par exemple à l’accusatif de relation ou au double datif, que l’on ne rencontre pas très fréquemment). Ainsi, cela donne l’impression d’un grand écart entre les connaissances linguistiques théoriques attendues des élèves et leur mise en pratique dans un format d’épreuve qui pourrait, somme toute, être assez peu exigeant. Actuellement, bien des élèves n’ont pas acquis, à l’entrée en première des notions plus simples et plus récurrentes. Mieux vaudrait sans doute un programme de langue plus restreint pour assurer des acquisitions solides.

Le portfolio et l’évaluation

Le portfolio -dont nous avons parlé ci-dessus- est présent en spécialité comme en option facultative, et cela interroge. N’existe-t-il pas d’autres réalisations à proposer à des élèves spécialistes ? La lecture intégrale d’une oeuvre avec des passages en langue originale à présenter par exemple ? Rien ne dit, en effet, que la traduction présentée en regard du texte latin ou grec doit être personnelle, dans la proposition qui est faite, et cela nous paraît manquer d’ambition dans le cadre d’un enseignement de spécialité.
Ce portfolio prend sens avec l’introduction : ce travail qui semble désormais au coeur de la conception des LCA repose avant tout sur la notion de confrontation, soit littéraire, soit iconographique. C’est donc à travers la capacité à confronter que l’on évalue la maîtrise des connaissances culturelles du candidat. Mais visiblement, pas de travail de langue à faire dans cet exercice, la perspective est uniquement culturelle. Par ailleurs, il soulève quelques interrogations : s’il ne doit y avoir qu’un portfolio dans l’année, pourquoi n’associe-t-il pas perspectives littéraire et iconographique pour une réflexion plus approfondie ? Les professeurs de Lettres seront peut-être plus à l’aise si la dimension iconographique ne représente qu’une partie du travail et non la totalité : nous ne sommes ni professeurs d’histoire des arts, ni professeurs de cinéma.

De façon générale le programme ne met pas en évidence une progressivité dans l’évaluation et dans les contenus de celle-ci. Le texte est une redite de celui de l’option facultative alors qu’il concerne des élèves qui sont susceptibles de poursuivre cette spécialité en terminale, à raison de 6h par semaine…

Propositions de sujets d’examen pour la fin de première

NB : la partie évoquant ces maquettes de sujets ne figure pas dans le document mis en ligne sur eduscol mais est encore disponible ici.
Les élèves qui abandonneraient la spécialité à la fin de la première pourraient choisir entre deux types de sujets.
Cette proposition est-elle vraiment pertinente ? Cela suppose en effet des acrobaties pédagogiques inutiles. Comment gérer, éventuellement dans un même groupe, des élèves d’option facultative, des élèves qui prépareront l’examen de fin de première, des élèves qui continueront en terminale ? Ils auront tous des dispositifs d’évaluation et des intérêts différents et ce sera déjà bien assez compliqué sans encore y ajouter deux types de sujet pour la fin de première !
Par ailleurs, encore une fois, les maquettes de sujets nous semblent manquer d’ambition dans leur contenu.

Pour le sujet A, à dominante « Littérature, histoire arts et anthropologie », attend-on seulement que l’élève s’appuie, pour son commentaire, sur le texte original ? Cela n’est pas précisé et la mention du fait que le texte antique sera présenté de façon bilingue n’apparaît que pour la question de langue,ce qui laisse penser que cette indication n’est pas fondamentale pour la première partie du sujet. Ensuite, le fait qu’il y ait trois ou quatre questions de commentaire et de confrontation suppose que l’on n’attend pas de travail de réflexion approfondie, pas de développement long pour des élèves de fin de première qui passeront aussi l’EAF et seront conduits à commenter longuement un texte ou à disserter.

Pour le sujet B, à dominante « Langue », on n’attend aucun travail de traduction personnelle, seulement la capacité à « retraduire par groupes de mots » un texte proposé en bilingue. N’est-ce pas une ambition limitée pour des élèves -au moins latinistes- qui, pour certains, auront derrière eux cinq années d’étude du latin ? Nous rappelons ici que le programme de collège prévoit dans les attendus de fin de cycle qu’un élève sache « traduire individuellement et de façon aboutie un texte authentique court et accessible ». Est-ce à dire que ce que l’on attend d’un collégien latiniste en fin de troisième ne saurait être demandé à un élève en fin de première ? Pour le grec, le programme de collège prévoit en fin de cycle que les élèves soient capables de « traduire des phrases simples ». Deux ans plus tard, en enseignement de spécialité,on peut légitimement espérer qu’ils soient capables de faire mieux que proposer une traduction par groupes de mots d’un texte donné en bilingue.

La baisse du niveau d’exigence, quels enjeux ?

Tout cela donne l’impression que l’enseignement des LCA au lycée procéderait désormais d’un éclaircissement progressif des élèves, comme dans une forêt où l’on ne garde que les arbres qui paraissent les plus solides. Au groupe mélangé de l’option facultative en seconde succéderait un groupe plus réduit de spécialistes en première, qui diminuerait encore un peu plus en terminale. A ceux-là, et à ceux-là seulement serait peut-être réservée l’exigence ultime, le travail de traduction et de commentaire sur un texte qui ne serait pas proposé en bilingue. Cette exigence est aujourd’hui à la portée de tous, en option facultative. Certes, mais seulement 5% des élèves étudient une LCA en terminale. Peut-être parce que cet enseignement est trop exigeant et décourage un grand nombre ? Doit-on faire le pari que la montée très progressive du niveau d’exigence conduira plus d’élèves à étudier les LCA, en option ou en spécialité ?

Ce qui est plus gênant encore à nos yeux est que les propositions de programmes actuellement connues, y compris celle de l’enseignement de spécialité à laquelle nous nous intéressons ici, semblent avoir été pensées pour pouvoir être enseignées par des professeurs seulement titulaires de la certification complémentaire. On note en effet l’orientation nouvelle des LCA vers la réflexion anthropo-philosophique dès la classe de seconde, une augmentation de la place des contenus historiques et géographiques, une augmentation de la part de la littérature comparée. Cette coloration, intéressante par certains aspects, est inquiétante dans le contexte de raréfaction des professeurs de Lettres classiques que nous connaissons. On peut légitimement se demander si, à terme, ce n’est pas une refonte complète du CAPES de Lettres Classiques qui nous attend. Ce concours, devenu inaccessible pour beaucoup d’étudiants, pourrait devenir beaucoup plus généraliste.

Le risque de la fusion de la spécialité et de l’option

Ce risque est bien réel puisque le texte le prévoit : « Ces deux enseignements ont chacun leurs spécificités et leur cohérence propre, ce qui n’interdit pas leur éventuel rapprochement selon la situation pédagogique. » Certes, la phrase qui indiquait -dans les projets que nous avions publiés que les objets d’étude de la spécialité pouvaient être piochés dans ceux de l’option a disparu. La phrase que nous venons de citer est bien notée dans les trois programmes, de même que la liberté de proposer d’autres sous-entrée que celles inscrites dans le texte. Cela permettra, si besoin, de faire glisser l’option vers le programme de la spécialité, si l’inverse est moins possible.
Bien sûr, cette perspective de fusion, anticipée par les objets d’étude, pose question. Elle offre en effet l’opportunité de tuer dans l’oeuf la spécialité en prévoyant le regroupement des élèves d’option et de ceux de spécialité. C’est comme si on retirait d’une main aux professeurs de Lettres Classiques ce qu’on leur donne de l’autre. Ce travail a déjà été amorcé avec la circulaire sur les spécialités qui classe Littérature et LCA parmi les spécialités « rares », dont l’enseignement ne sera pas proposé dans tous les lycées. Cela heurte les professeurs de Lettres Classiques que nous sommes, c’est une évidence. Pourtant, si nous regardons autour de nous aujourd’hui, que constatons-nous ? Combien d’établissements offrent les horaires légaux aux LCA, sans regroupements de niveaux ? La réforme du lycée et sa marge d’autonomie à répartir entre de nombreuses options, dédoublements et autres AP, permettra-t-elle une amélioration de la situation ? Quand les lycées actuellement ne parviennent pas à trouver neuf heures d’option facultative en latin ou en grec, comment imaginer que, demain, ils en donneront dix-neuf pour que coexistent option facultative et enseignement de spécialité ? Combien d’élèves se risqueront à prendre cette spécialité à hauteur de six heures de littérature et LCA en terminale ? Bien sûr, nous nous battrons, dans les établissements, pour que cela soit possible. Mais selon nous, le projet de programme de première tel qu’il est prévu, la conception même de cette spécialité très monovalente -alors qu’une véritable interdisciplinarité féconde avec l’Histoire-Géographie ou la Philosophie aurait pu être proposée-, signent malheureusement la chronique d’une mort annoncée.

Pour conclure

A travers cet article, dont quelques passages pourront paraître polémiques à certains, nous souhaitons d’abord soulever les questions que suscite ce projet de programme plutôt que donner un point de vue tranché ce qui, dans l’état actuel de l’enseignement du latin et du grec, serait bien malvenu. Nous savons que les collègues qui ont rédigé ces programmes les ont rédigés au service de nos disciplines et non pas contre elles. Cette rédaction procède toutefois de choix qu’il nous semble normal d’interroger pour éclairer la consultation qui va avoir lieu.

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