L’opposition résolue du SNES-FSU

Annoncée à l’été 2018, la réforme de la formation des enseignants est maintenant en place : les arrêtés modifiant les épreuves du CAPES, du CAPET et du concours CPE ont été publiés vendredi 29 janvier au Journal Officiel. Il reste bien peu de temps pour construire les maquettes des masters qui prépareront les candidat-es : la première session de ce nouveau concours doit en effet avoir lieu dès 2022. La place du concours a aussi changé : les candidat-es qui le présenteront devront à minima être inscrits en M2.

La FSU a de nouveau demandé, dans un communiqué de presse publié le 2 février, l’abandon de cette réforme qui fait l’unanimité contre elle.  Les raisons pour le SNES de la rejeter sont nombreuses : étudiant-es de M2 placé-es en responsabilité comme contractuels ; survalorisation du terrain comme lieu de formation en soi ; absence de mesures d’accompagnement de l’élévation du niveau de recrutement ; mise à temps plein de la plupart des fonctionnaires-stagiaires ; évolution de la nature de certaines épreuves … Cet article présente plus particulièrement les évolutions de fond que révèlent ces dernières.

Une épreuve commune à tous les concours

Pour la plupart des concours, il y aura toujours quatre épreuves : deux épreuves d’admissibilité et deux épreuves d’admission, sauf pour les langues régionales (basque, breton, catalan, créole, occitan-langue d’oc), les langues kanak et les lettres classiques (3 épreuves écrites). Mais à l’oral l’admission, une seule épreuve, intitulée « épreuve de leçon », porte sur la discipline de recrutement, contre deux antérieurement. La seconde épreuve d’admission du nouveau concours, intitulée « épreuve d’entretien », est commune à tous les concours (CAPES, CAPET, CPE, CAPEPS, CRPE…). Cette épreuve cristallise les oppositions. Elle fait basculer le concours dans une autre dimension : celle d’un possible « contrôle de conformité » des futurs collègues à la doxa pédagogique du moment, et d’une vision ouvertement managériale des recrutements.

L’épreuve d’entretien, un entretien d’embauche au poids démesuré

Cette épreuve a été dévoilée pour la première fois en novembre 2019, lorsque le ministère a communiqué aux organisations syndicales un cadrage officiel. Elle était alors présentée comme un entretien « sur la motivation du candidat », propre à « faire valoir son parcours ». Les interventions des syndicats de la FSU, notamment, avaient permis de faire évoluer la formulation, qui n’en demeurait pas moins condamnable. La « motivation » n’apparaissait plus au tout premier rang de la description de l’épreuve, l’adjointe au DGRH ayant indiqué qu’elle n’en était « qu’un aspect ». Lorsque les projets d’arrêtés, qui déclinent section par section les épreuves, ont été présentés en octobre 2020, on a pourtant retrouvé le terme de « motivation » de façon très explicite, puisque les candidats auraient du fournir une « Fiche de candidature – Entretien de motivation ». Ils y auraient exposé la « présentation de [leur] motivation ». Dans une lettre au ministre le 23 novembre 2020, le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste, a dénoncé « un oral qui constitue une rupture de l’anonymat et de l’égalité entre les candidats », redoutant « une uniformisation du profil des candidats considéré aux dépens de la nécessité et de la richesse d’une diversité des profils ».

Si l’esprit initial demeure dans le texte définitif, puisque l’épreuve « porte sur la motivation du candidat et son aptitude à se projeter dans le métier de professeur », les arrêtés de janvier font apparaître quelques changement substantiels, qui expliqueraient le retard pris dans leur publication. Ainsi la fiche demandée aux admissibles ne mentionne plus de projet motivé. Scindée désormais en deux parties, l’épreuve laisse une plus grande place à l’évaluation de la capacité des candidats à « s’approprier les valeurs de la République » et à « faire connaître et faire partager ces valeurs et exigences ». Ces évolutions ne sont sans doute pas sans rapport avec les orientations manifestées par le Gouvernement, en particulier à travers le projet de loi « confortant les principes de la République » examiné depuis mi-janvier. Il est peu probable que cette seconde partie, qui doit porter, sans préparation, sur deux « situations professionnelles », ne suscite autre chose que des réponses toutes faites et formatées. Quels candidats prendraient par exemple le risque de tenter une approche critique de l’interprétation ministérielle de la notion de laïcité ou de neutralité ? Il sera probablement attendu du jury qu’il évalue par anticipation la manière de servir des lauréats, ce qui explique que pour cette épreuve, il comprenne « des personnels administratifs relevant du ministre chargé de l’éducation nationale, choisis en raison de leur expérience en matière de gestion des ressources humaines ».

Floue, dangereuse et problématique dans sa conception, cette épreuve se voit en outre affectée d’un coefficient 3 sur un total de 8 pour l’ensemble les épreuves d’admission… quand chaque épreuve écrite n’est pondérée que d’un coefficient 2 ! Elle pèse ainsi 25% de l’évaluation finale, et n’est donc pas anecdotique.

Des épreuves mal calibrées

Avant même que les projets précis ne soient présentés à l’automne 2020, de nombreuses voix s’étaient élevées pour s’inquiéter du recul de la part disciplinaire des concours. La FSU avait dénoncé, en décembre 2019, « des épreuves de concours qui mettent en avant la motivation aux dépens des connaissances ». Rares sont les organisations syndicales à estimer, aujourd’hui, que les nouvelles épreuves sont « la fois toujours trop nombreuses et académiques » (c’est ce qu’écrit le SGEN-CFDT en janvier 2021), ou qu’elles signent « le retour à des épreuves de concours très académiques et aux contenus purement disciplinaires » (ainsi que le pense le SE-UNSA en octobre 2020). C’est un fait que le Ministère fait mine de céder quelques gages aux tenants de « concours académiques », s’il fallait accepter l’opposition caricaturale entre formation disciplinaire et formation professionnelle. Une note éliminatoire de 5 est ainsi fixée pour chacune des épreuves écrites, ce qui est nouveau, et, le plus souvent, ces épreuves sont plus longues qu’elles ne l’étaient dans l’ancien concours. Dans certaines disciplines, les programmes sont plus étendus. Cet affichage peut n’être que de façade, car on le sait, tout dépend de l’évaluation que l’on en fait.

La réduction du nombre des épreuves à trois, dans la plupart des cas, si l’on ne tient pas compte de l’épreuve d’entretien qui ne se réfère pas ou très peu à des contenus disciplinaires spécifiques, a des conséquences considérables sur l’équilibre d’ensemble du concours. Dans les disciplines technologiques, la disparition de « l’épreuve d’entretien à partir d’un dossier » que préparaient avant l’épreuve les candidats signe par exemple une forme de dé-professionnalisation (en termes de compétences techniques et professionnelles) des futurs enseignants. Ailleurs, pour compenser, la seconde épreuve écrite, intitulée pour toutes les sections « épreuve disciplinaire appliquée » et la première épreuve d’oral dite « épreuve de leçon », cumulent les exigences. Les compétences professionnelles attendues des candidats sont beaucoup plus formalisées, au risque de chercher à évaluer un degré de formatage pédagogique attendu, et dans la quasi-totalité des sections du CAPES et du CAPET, l’épreuve de leçon est présentée dans les mêmes termes : elle « a pour objet la conception et l’animation d’une séance d’enseignement », et doit permettre « d’apprécier la maîtrise disciplinaire et la maîtrise pédagogique du candidat ». C’est un enseignant immédiatement opérationnel qui est attendu : la professionnalisation relancée en 2013 se renforce. C’est aussi là l’un des aspects inacceptables de la réforme : on va demander l’impossible aux candidats, en reportant sur eux l’essentiel de la charge de leur formation. Comment croire qu’un tel programme puisse se montrer engageant pour des étudiants qui déjà, montraient peu d’entrain à s’inscrire à ces concours, et, une fois inscrits, renonçaient une fois sur deux à composer ? Oui, les étudiants qui se destinent aux métiers d’enseignants et de CPE sont précieux… Il serait temps que le gouvernement prenne véritablement les mesures efficaces pour qu’ils s’engagent dans des études menant à nos métiers, tout y en acquérant les connaissances disciplinaires qui fonderont leur professionnalité, même si elle ne s’y réduit évidemment pas.

Des changements majeurs pour certaines disciplines et le concours CPE

Cette partie de l’article sera complétée

CPE

Les nouvelles épreuves ne font aucune référence à la circulaire de missions d’août 2015. Elles sont en adéquation avec les exigences de l’employeur, et visent à achever la reprise en mains du métier de CPE. Le secteur CPE du SNES-FSU fait ici une analyse complète de ces nouvelles épreuves.

CAPET

Les épreuves installent une édulcoration de la spécificité technologique du concours dont les modalités ne permettent plus d’évaluer des compétences d’ordre technologique (savoir exploiter des savoirs pour traiter des situations inspirées de l’environnement professionnel). Les épreuves de type « mise en situation ou étude de cas » auraient permis d’évaluer ces compétences mais elles disparaissent dans ce nouveau format au profit d’une évaluation de compétences pédagogiques jusqu’à la plutôt réservée aux concours internes.

Cette évolution ne permettra pas de recruter des collègues en capacité de mettre en œuvre les pédagogies spécifiques à l’approche technologique, pour les formations du second degrés et également au niveau des BTS.

Documentation

La première épreuve écrite fait enfin mention des « missions du professeur documentaliste », mais elle ouvre la possibilité de « s’appuyer sur son expérience professionnelle et/ou ses observations de situations professionnelles », ce qui risque de créer de l’iniquité selon le parcours des candidats. La question d’épistémologie de la documentation disparaît. Quant à la seconde épreuve écrite, au lieu de s’appuyer sur un sujet de politique documentaire, elle demande au candidat « d’élaborer ou de présenter un ou plusieurs axes de projet de politique documentaire », ce qui est irréaliste car la politiques documentaire se conçoit en lien avec d’autres personnels et ne peut se définir en une épreuve de 5 h.

Cette vision du métier suscite des inquiétudes sur le respect des trois volets de la circulaire de missions.

Histoire-géographie

L’épreuve écrite de commentaire de document disparaît en tant que telle (il y aura à la place une version écrite de l’actuel oral de mise en situation professionnelle) ; or le fait d’être capable d’analyser un document d’histoire ou de géographie de manière scientifique (donc critique) est aussi un des fondamentaux disciplinaires à transmettre aux élèves. On risque ainsi d’avoir de plus en plus de difficultés à préparer conjointement CAPES et agrégation, et de décourager les candidat·es non issu·es d’un Master MEEF de se présenter au CAPES. Le plus grand flou règne encore sur les questions qui figureront au programme, l’arrêté indiquant seulement « Le programme d’histoire et de géographie du concours fait l’objet d’une publication sur le site internet du ministère chargé de l’éducation nationale. »

A l’oral reste seulement une épreuve qui est une sorte de mélange entre les deux épreuves actuelles de mise en situation professionnelle et d’analyse de situation professionnelle (la lecture des rapports de jury montre que la délimitation des attendus entre les deux oraux n’est pas si claire). Du fait de l’absence de deuxième oral disciplinaire, les candidat·es ne seront pas évalué·es à l’oral sur l’une des deux disciplines : ce sera une « leçon » d’histoire OU de géographie.

Lettres classiques et Lettres modernes

Des changements importants touchent ces épreuves des concours. L’épreuve de composition française, ouverte et généraliste, est remplacée par une dissertation portant sur une œuvre précise parmi les six qui composeront un programme périodiquement renouvelable. La charge de travail sera importante pour les étudiants qui devront maîtriser les six œuvres en question pour l’écrit, sans pouvoir réinvestir, pour les oraux d’admission, leur travail de préparation, puisque pourront être proposés, pour la « leçon », tous textes issus de la littérature française – et de la littérature antique pour les Lettres classiques.

Les candidats en Lettres classiques passeront désormais trois épreuves d’admissibilité, et non deux. Une épreuve de traduction grecque et latine de 5 heures vient s’ajouter à la dissertation et à l’épreuve écrite disciplinaire appliquée. Bien évidemment, c’est considérablement lourd, mais on peut difficilement regretter la disparition de l’épreuve fourre-tout de l’ancien concours de Lettres classiques, véritable course contre la montre pour les candidats qui étaient appelés à traiter trois sous-épreuves différentes en 6 heures. 

Il n’y a plus aucune épreuve, écrite ou orale, permettant d’évaluer les capacités des futurs professeurs à expliquer un texte. Tout au plus demande-t-on aux seuls candidats de Lettres modernes de faire une étude stylistique juxtaposée à une étude de notions grammaticales, dans une des épreuves d’admissibilité. Que l’on puisse passer un concours de Lettres sans avoir à faire un commentaire ou une explication littéraire, laisse sans voix !

La dimension grammaticale reste en revanche très présente, et particulièrement pour les candidats en Lettres classiques qui seront aussi interrogés sur des points de la grammaire française, et plus seulement sur des notions appartenant aux langues anciennes. C’est enfin prendre en compte la réalité du métier, les professeurs de Lettres classiques enseignant la grammaire grecque, latine et française.

Voir également « Réforme des CAPES de Lettres modernes et classiques : notre analyse« 

Langues vivantes

On ne peut que déplorer une utilisation limitée de la langue vivante étrangère lors des épreuves. En effet, la première épreuve écrite devient un condensé des deux épreuves actuelles. On peut craindre que le degré de maîtrise de la langue exigé ne soit revu à la baisse. Il en sera de même pour l’oral, car si la première épreuve ne subit pas de changement fondamental, la disparition de la deuxième signifie un temps de parole total limité à 30 minutes en langue étrangère. Les candidats n’auront que peu d’occasions de montrer leur réelle maitrise de la langue écrite et parlée. 

Mathématiques

Le nouveau CAPES est marqué par deux axes forts :

  1. le renforcement de l’utilisation des outils numériques, qui deviennent pratiquement un incontournable, notamment dans la conception de séquences, étant donné que le jury fournira une bibliothèque numérique. Il n’est plus fait mention d’ouvrages papiers, autres que ceux apportés par le candidat ;
  2. le renforcement de la mise en valeur de la maîtrise de gestes professionnels qui le plus souvent n’auront pu être acquis qu’en situation d’exercice professionnel : cela passe par exemple par la capacité attendue du candidat à évaluer une production d’élève : identification et traitement d’erreurs, valorisation des réussites, proposition de remédiation ou d’approfondissement ». Les candidats hors MEEF risquent donc d’être fortement pénalisés.

Par ailleurs, le niveau général de maîtrise disciplinaire à l’écrit ne figure plus dans les attendus d’aucune des deux épreuves prévues, quand le niveau M1 était explicitement requis auparavant pour la seconde épreuve d’admissibilité. Le programme disciplinaire, commun à toutes les épreuves est celui des collèges et lycées, complété par un programme spécifique, potentiellement modifiable dans le temps qui n’est pas précisé dans l’arrêté.

Numérique et sciences informatiques

Le « copier/coller » destiné à une structure identique à l’ensemble des disciplines pose ici quelques problèmes : il n’existe quasiment plus de recherche en didactique de l’informatique depuis des années (bien qu’elle ait été un peu réactivée depuis l’annonce de la création du Capes NSI), or la réflexion didactique est évaluée dans la seconde épreuve écrite. Et pour la leçon, la question de la nature du matériel informatique mis à disposition pourra se poser : ordinateur ? Capteurs ? caméra ? robots ? …?

En ce qui concerne les savoirs, il est fait explicitement référence dès l’introduction à un niveau master, même si le programme s’arrête avec la spécialité NSI de terminale.

Sciences de la vie et de la Terre

La durée des deux épreuves écrites augmente (+ 1h) et leur champ de révision est également étendu avec référence au programme de la CPGE BCPST et au niveau, celui du Master.

La première épreuve écrite, disciplinaire, hormis le programme de révision sur lequel elle peut porter, ne change pas sur le fond. La deuxième épreuve écrite devient clairement une épreuve appliquée avec conception d’une séquence en collège ou en lycée, c’est un changement sur le plan disciplinaire ; l’étude du dossier documentaire avec des analyses de documents scientifiques et le développement d’un esprit critique sur les savoirs est supprimé. La première épreuve orale, la leçon, n’est pas fondamentalement différente de l’existant.

Dans une tribune parue dans Le Monde de l’éducation en date du 1er février, signée notamment par des membres de  l’association pour la formation des professeurs de SVT (AFPSVT), un collectif de professeurs de biologie et géologie pointe le risque d’une grande inégalité de préparation des candidat-es en raison « d’importants écarts en terme de volumes horaires et de répartition des contenus de formation entre les masters des différents INSPE » qui apparaissent dans les maquettes en cours d’élaboration.

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