Remarquons tout d’abord que pour Jean-Michel Blanquer, les seules modifications acceptables des textes officiels en cette période difficile pour les personnels comme pour les élèves consistent à y ajouter (encore !) des lignes, alors que les conséquences de la crise sanitaire sur les apprentissages auraient dû conduire à repenser l’ensemble des programmes.
Et dans le même temps, les changements ne prennent pas la mesure de l’importance du phénomène du changement climatique, ni de la gravité de la crise écologique.

Une modification inquiétante en géographie en 5e

Les « objectifs de développement durable » de l’ONU sont introduits comme fil directeur sur l’année. Ils sont certes honorables, mais, pas plus que les précédents objectifs du millénaire, ne peuvent servir d’armature épistémologique à toute une année de géographie. Il y a là un fort risque de lassitude, de sentiment de répétition, pour un programme qui « passait bien » auprès des élèves. La mention systématique des ODD alourdit le texte alors que rien n’a été soustrait par ailleurs.
Une autre évolution inquiétante concerne plus particulièrement le thème 3 de géographie.
« Ce thème doit permettre aux élèves d’aborder la question du changement climatique et des défis pour les sociétés et d’appréhender quelques questions élémentaires liées à la vulnérabilité et à la résilience des sociétés face aux risques, qu’ils soient industriels, technologiques ou liés à au changement climatique. »
Ne plus parler de changement global mais uniquement de changement climatique est réducteur. Il n’y a pas plus de légitimité scientifique et didactique à écarter l’urbanisation et la déforestation (supprimés dans la nouvelle version) alors que ce sont des processus au cœur du problème et de ses éventuelles solutions. Et ceci est particulièrement étonnant alors que la pandémie actuelle est liée à la destruction des espaces naturels et à l’urbanisation ! Une approche globale est plus que jamais nécessaire pour comprendre le monde.

Le programme d’histoire en 6e change aussi

« Les débuts de l’humanité (qui s’inscrivent dans une chronologie qui les dépasse considérablement) ont connu de fortes oscillations climatiques, qui ont profondément transformé l’environnement et amené les groupes humains à adapter leurs modes de vie. »
On trouve ici deux biais qui relativisent la gravité du changement global et qui freinent la nécessité impérieuse de penser autrement le monde :
– d’abord l’idée que les évolutions climatiques ne sont pas chose nouvelle, donc que le changement actuel n’est qu’un parmi d’autres. Il y a certes eu d’autres variations climatiques, mais le changement actuel et à venir n’a aucun équivalent par son ampleur et par sa rapidité sur toute l’histoire de l’humanité (incluant donc la préhistoire), à tel point qu’on parle « d’anthropocène » ;
– puis l’idée que les humains se sont toujours adaptés, dont l’ont pourrait déduire que, étant si ingénieux, nous finirons toujours pas trouver quelque chose pour nous sortir des difficultés liées au changement climatique.
Il est certes important de ne pas faire des cours anxiogènes, mais laisser entendre qu’on s’est toujours « adapté » et donc qu’on continuera à le faire est préoccupant. Que signifiera concrètement s’adapter ? Et qui s’adaptera tout en restant vivant et en bonne santé ? Sans doute pas les plus pauvres, ni les plus fragiles…

EMC : Une tendance à dépolitiser la question du changement global qu’on perçoit de plusieurs manières

On le voit particulièrement dans les formulations en EMC sur tous les cycles.
« La culture de l’engagement favorise l’action collective, la prise de responsabilités et l’initiative. Elle développe chez l’élève le sens de la responsabilité par rapport à lui-même et par rapport aux autres et, à la nation et à l’environnement (climat, biodiversité…).
Cette culture civique irrigue l’ensemble des enseignements, elle est au cœur de la vie de l’école et de l’établissement, elle est portée par certaines des actions qui mettent les élèves au contact de la société. En particulier, les actions concernant l’éducation au développement durable, au service de la prise de conscience écologique, ont vocation à contribuer à la culture de l’engagement individuel comme collectif, citoyen avant tout, au service du respect et de la protection de l’environnement à toutes les échelles, et à court et moyen termes. »

On ne peut nier l’importance des gestes individuels, surtout s’ils sont massifs… mais précisément, s’ils sont massifs, c’est qu’ils sont collectifs et non plus une simple somme de gestes individuels. La question est celle du passage de l’individuel au collectif, et de la morale à la politique. Or, la formulation du nouveau programme présente l’action collective de manière bien plus morale que politique. Ainsi l’« action collective » renvoie à la « responsabilité » individuelle (par exemple « la responsabilité du citoyen en tant que consommateur » ou encore la référence aux écodélégués, qui de fait ne sont bien souvent qu’une coquille vide).
Les formulations sont vagues et n’interrogent pas la nécessité de changer collectivement nos sociétés, nos façons d’habiter, produire, etc.
La dépolitisation est aussi visible par une absence : la question du développement durable n’est pas introduite dans les chapitres de géographie de 3e sur les « espaces productifs ». Cela serait pourtant l’occasion de mettre en évidence l’importance des décisions des acteurs (politiques et économiques) à différentes échelles.

Pourquoi tant de « défis » ?

Le terme de défi ne correspond pas à une interrogation du monde géographique. Il tient plus du marketing et de l’idéologie dominante. Le Robert rappelle bien que le terme est devenu très présent dans la langue française dans les années 1960 comme traduction de « challenge ».
On lui préférerait le terme de « problème » ou peut-être de « question ». Le changement global n’est pas un challenge à dépasser en faisant preuve d’agilité. Il serait bon de ne pas laisser passer des pré-supposés issus du « darwinisme social » par l’usage excessif des termes « défi » et « adaptation. »
Le changement global est un problème mondial, majeur pour l’humanité. Y répondre pour assurer la survie de nos sociétés n’est pas une forme de défi, mais bien une question politique des plus importantes présente et à venir. Et la géographie, l’histoire (et les autres disciplines) doivent permettre de penser ce problème pour pouvoir y répondre.

Pour conclure, paradoxalement, ces modifications dans les programmes des cycles 2, 3 et 4 sont plutôt marginales pour ce qui concerne l’histoire-géographie et l’EMC, n’en affectant pas la logique d’ensemble. Pourtant le problème du changement global constitue une menace vitale sur nos sociétés, sur l’humanité et sur le vivant. Il nous semble donc préoccupant d’envoyer un tel message : des changements cosmétiques pour enseigner une question de la plus haute importance.
Plus problématique encore est la dépolitisation qui résulte de l’utilisation d’un vocabulaire vaguement consensuel : « défi », développement durable, etc. Cette dépolitisation est aussi la conséquence d’une approche faisant primer les gestes individuels ou à l’échelle locale, n’interrogeant jamais le mode de production global, ni les choix de société. Et pourtant l’histoire et la géographie sont bien des sciences sociales, l’étude des sociétés humaines dans le temps et dans l’espace.

Vos questions
Le Snes défend les droits individuels et collectifs. Vos représentants vous répondent, vous conseillent et vous accompagnent.
Accès à la FAQ

Vous ne trouvez pas votre réponse, posez-nous votre question