Qu’est-ce que c’est ?

Depuis 2016, la Banque de France a été chargée de mettre en œuvre la « stratégie Educfi », c’est-à-dire une éducation à la finance à travers des actions pour différents publics. La partie du site Eduscol consacrée à l’EducFi propose le dispositif « j’invite un banquier dans ma classe » dès le CM1 !

En collège, le ministère cible les élèves de Quatrième, dont les SEGPA. Chaque collège doit inscrire deux classes cette année. L’objectif est de faire valider le passeport Educfi aux élèves avant la fin du cycle 4. Un quizz permet de valider ce passeport, histoire de rendre son obtention ludique !

Concrètement, le ministère, en partenariat avec la Banque de France, propose, comme unique support, un diaporama de 28 diapositives illustrant ce qu’est un budget familial, insistant sur la nécessité d’épargner, avec un point sur les risques d’arnaques au paiement en ligne.

Ce passeport Educfi fleure bon l’économie domestique et l’instruction ménagère de la fin du XIXe siècle. Pour le ministère, il s’agit de former des citoyens dans le cadre d’un plan global de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale: on comprendra donc que les « pauvres » sont pauvres parce qu’ils gèrent mal leur budget… Vieille idée réactionnaire qui montre que ce dispositif repose très clairement sur une approche moralisante. Il y aurait des « bons » et des « mauvais » comportements, en dehors de toute considération sur les niveaux de revenus, l’inflation, et les inégalités.

 Il s’agit concrètement  « d’apprendre à construire et respecter un budget ; de comprendre que l’épargne, lorsqu’elle est possible, est utile pour faire face à des imprévus ; de  mesurer le coût d’un crédit, car un crédit est rarement gratuit ;  utiliser les moyens de paiement de manière sécurisée ; choisir une assurance adaptée à ses besoins ; apprendre à repérer une arnaque financière ; savoir à qui s’adresser en cas de difficultés ; comprendre aussi les grands mécanismes de l’économie pour prendre sa pleine place dans la société en tant que citoyen. » Si les revenus du travail sont bien présents, comme les « aides sociales » (dénomination peu rigoureuse), il n’est pas question des revenus du capital, ou du patrimoine alors qu’ils sont justement au cœur de la de la reproduction des inégalités de revenus au sein de la société. Quid du taux d’épargne très inégal des ménages en fonction de leur revenu ? Des dividendes et des salaires ? De l’héritage ? Rien finalement sur les grands mécanismes de l’économie dans le passeport et encore moins sur la question du partage des richesses, sur notre système social, etc. Il n’est pas prévu de relier cette « éducation financière » à la formation de l’esprit critique des élèves. On retombe dans le mythe paternaliste du bon père de famille, économe et épargnant qui n’a pour but que de culpabiliser les personnes en difficulté financière en les prétendant responsables de leur situation.

L’enjeu de la consommation et de l’épargne des ménages a longtemps été au programme en SES en Seconde, mais a été supprimée de ce programme avec la réforme du lycée. Ce dispositif contribue à séparer l’enseignement de la qualification disciplinaire et donc sape l’expertise de professeur.

Qui s’en occupe ?

Tout est prévu, même les commentaires dans une version du diaporama pour les enseignant·es ! La page Eduscol précise que « L’EDUCFI ne nécessite pas de compétences professionnelles spécifiques : tous les professeurs peuvent en effet s’engager dans cette éducation. » La note de service du 28/06/2022 leur propose cependant de s’autoformer sur son site. Cette dernière essaie d’enrober la chose d’un léger vernis pédagogique en indiquant que « Le choix de la mise en œuvre du passeport Educfi appartient aux professeurs, qui veillent à l’intégrer à leurs progressions pédagogiques. Les modalités retenues peuvent être diversifiées et relèvent pleinement de la liberté pédagogique des professeurs. ». Cette note de service n’a pas de valeur réglementaire ; rien ne peut donc être imposé aux professeur·es. Encore une fois, aucun moyen horaire n’est prévu pour cette « éducation à » qui empiètera donc sur des temps d’enseignement disciplinaire.

Dans les propositions de fiches pour le collège (c’est moins vrai en lycée), ce sont en majorité les professeur·es de mathématiques qui sont sollicité·es pour mettre en œuvre cette énième « éducation à ». Pour imposer ce passeport aux équipes, ou  l’intégrer artificiellement dans un parcours, les correspondant·es académiques de l’Educfi s’appuient sur les liens possibles avec le socle : « travailler sur l’énergie en physique-chimie, sur l’environnement en sciences de la vie et de la Terre interroge sur des choix et modes de consommation qui ont un impact sur le budget. Pour autant, en collège comme en lycée, il s’agit d’intégrations totalement artificielles des problématiques environnementales, qui relèvent au mieux du green-washing. En mathématiques, les élèves peuvent certes formaliser un budget sur tableur et mobiliser les calculs avec taux d’intérêt pour comparer des coûts d’emprunt, par exemple.Ce ne sont que des outils qui n’affûtent pas l’esprit critique. Le lexique financier peut être travaillé à partir d’un texte littéraire, en français et également en langues étrangères. » Ainsi, pour le ministère, le passeport Educfi a toute sa place dans le parcours Citoyen, dans le parcours d’éducation artistique et culturel (« Le thème de l’argent dans toutes les formes d’art ») et dans le parcours Avenir.

Entrisme du monde de la finance

Dans le cadre d’une semaine de l’éducation à l’économie en mars et des parcours, l’idéologie de cette éducation à la finance favorise directement l’entrisme du monde de la finance dans les collèges : « L’EDUCFI offre l’opportunité de découvrir le monde économique et professionnel : sensibilisation concrète à l’économie via des situations d’apprentissage ancrées dans la vie réelle, découverte de métiers liés à la finance et à l’économie, création de partenariats et développement du lien école/entreprise. » Quand simultanément le gouvernement entend mettre en œuvre une demi-journée Avenir hebdomadaire en Cinquième et une réforme de la voie professionnelle catastrophique, le passeport EDUCFI renforce le développement du lien école/entreprise.

Multiplication des certifications : quel objectif ?

Le passeport Educfi sera donc une énième certification, après l’ASSR, Pix, Ev@lang et bientôt le GreenPix du développement durable et une certification en mathématiques. Il s’agit probablement d’habituer les élèves à voir des parcelles de connaissances ou de compétences certifiées comme si cela était une nécessité. Ce qui est gratuit au collège ne le sera pas forcément tout au long de la vie (TOEIC, etc.) mais entré dans les mœurs. C’est aussi revenir au principe des compétences et une attaque des diplômes. A voir si le DNB y résistera dans les années à venir.

Pour le SNES-FSU, si une formation au collège sur les enjeux économiques est une nécessité, cela doit passer par une refonte des programmes en intégrant ces problématiques avec l’histoire sociale, l’EMC, etc.

Le SNES-FSU appelle les collègues à ne pas s’engager dans Educfi. Même si le collège inscrit des élèves, les enseignants restent libres de leur enseignement.

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