La mauvaise conscience de l’État Nous savons, pour avoir à lutter au quotidien contre la précarité, que c’est un combat de longue haleine tant l’État n’a de cesse d’utiliser des « agents non titulaires ». Le phénomène est ancien : ainsi, parallèlement à la mise en place d’un régime propre aux fonctionnaires, un recours à des personnels ne bénéficiant pas des mêmes garanties statutaires s’est instauré*. Si, dans les diverses administrations de l’État, cette précarité est présente (elle est très forte dans les petits ministères), elle prend une dimension particulière dans le secteur de l’Éducation nationale. Les non-titulaires représentent près de 18 % des agents recrutés dans la fonction publique selon la dernière étude publiée le 17 avril 2015. L’apparition des non-titulaires dans la fonction publique accompagne les moments de crise, d’appauvrissement de l’État mais est aussi la conséquence directe de certains choix de politique budgétaire. L’ampleur de la précarité ne peut que renvoyer au décalage entre l’emploi statutaire et les besoins réels du système éducatif. Il suffit de constater que, dès que l’actualité fait apparaître des besoins dans un secteur donné, on recourt à l’emploi précaire. Dans les textes, notamment les plus anciens, ce recours est très réglementé. Le recours aux agents non titulaires est présenté comme « dérogatoire » au statut général du fonctionnaire. Et ne saurait se justifier que sur des besoins occasionnels ou saisonniers. Ne nous cachons pas derrière les définitions, les non-titulaires sont des CDD employés sur des besoins permanents du service public. À l’heure actuelle, on peut véritablement parler de précarité aggravée dans la fonction publique avec l’apparition de phénomènes analogues à ceux du secteur privé : externalisation et flexibilité des tâches, localisation des financements publics qui fait ressembler les rectorats à des entreprises, des personnels de moins en moins protégés (droits immédiats ou futurs payés à la prestation, éclatement des cadres juridiques qui ne sont respectés qu’en fonction des besoins), recrutements d’agents de droit privé, d’emplois aidés (EVS, CAE, CA). Quelques étapes clefs Après la Seconde Guerre mondiale, la pratique s’est largement développée. Les plans de titularisation se sont succédé. Dans un premier temps, un certain nombre de dispositions arrachées par l’action favorisent la titularisation d’agents non titulaires puis, la « pompe » à précaires se réamorce sans que jamais soit menée une réflexion à long terme. En 1983, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le plan Le Pors (du nom du ministre de la Fonction publique de 1981 à 1984, membre du PCF) a titularisé près de 35 000 MA… Il a fallu attendre 1996 pour qu’un nouveau plan (loi Perben) soit mis en place dans un contexte marqué par un chômage massif des auxiliaires. De fortes mobilisations syndicales, la création de collectifs et de sections syndicales de maîtres auxiliaires au chômage (S1 MA chômeurs), la coordination nationale des non-titulaires ont permis le réemploi des MA en 1997 mais de nouveaux non-titulaires ont été recrutés avec moins de droits. Le plan Sapin a permis de dépasser les conditions de la loi Perben qui a titularisé près de 13 000 MA mais il a échoué à résorber la précarité et n’a titularisé au final que 14 532 collègues. La loi du 26 juillet 2005 a mis en place le CDI dans la fonction publique, sans prévoir un plan de titularisation pourtant nécessaire car la précarité atteignait 20,5 % des agents pour l’ensemble des trois fonctions publiques. Enfin, la loi du 12 mars 2012 a mis en place un concours réservé pour les agents contractuels. Les conditions d’éligibilité sont tellement restrictives que la plupart des agents non titulaires ne peuvent en bénéficier, de sorte que cette mesure a peu d’impact sur la résorption de la précarité. Pour preuve dans la fonction publique de l’État, entre fin 2012 et fin 2013, le nombre d’agents non titulaire a augmenté de 5,3 % et le nombre de contrats aidés de plus de 32,5 %. Ainsi comme le ­soutiennent les syndicats de la FSU, cette mesure n’était pas suffisante et seul un véritable plan de titularisation ambitieux pourra véritablement améliorer la situation des collèges vivant dans la précarité depuis de très nombreuses années. Le visage actuel de la précarité Les non-titulaires paient gravement les conséquences d’un choix qui a été fait depuis des années de réduire les dépenses publiques et notamment dans les années 90. Alors même que la création des IUFM permettait d’élever le vivier des candidats aux concours, les politiques gouvernementales ont choisi de réduire les recrutements, de ne pas reconnaître les besoins réels et nouveaux, de ne pas anticiper les réformes, de dévaloriser certaines missions de services publics, comme le remplacement. Au lieu de créer les emplois statutaires et qualifiés nécessaires, l’État a renvoyé de plus en plus hors de sa compétence le financement de ses emplois. Cette gestion par crédits est de plus en plus déconcentrée, conjuguée à la réforme de l’ordonnance de 1959 en matière budgétaire (LOLF) elle amplifie le désengagement de l’État et livre de plus en plus les personnels à une gestion locale et à l’autoritarisme des chefs d’établissement. Avec la loi du 26 juillet 2005 instaurant le CDI, l’état pérennise la précarité sur emplois permanents. Pour autant, il ne faut pas considérer la précarité comme une fatalité, sauf à renoncer à désigner les responsabilités, à accorder aux gouvernements successifs que la précarité n’est que mauvaise gestion ou adaptation des moyens, qu’elle ne dépend pas de la volonté politique et donner ainsi crédits aux habituels discours sur « la variable d’ajustement », le « mal nécessaire »… Dans notre société, la précarité est considérée comme une voie normale d’entrée dans le monde du travail et une solution « pour le plein-emploi », on la juge au fond acceptable. Cette idéologie doit cesser. La précarité est un cancer social. Les emplois déqualifiés, instables, faiblement rémunérés ou déconnectés de la qualification conduisent à un niveau de vie médiocre, à de grandes difficultés à se projeter dans l’avenir et à n’avoir comme horizon que le chômage. Elle laisse peu de chances de promotion sociale. La précarité désespère un nombre croissant de personnes de leur place dans le monde du travail et dans la société et du rôle qu’ils pourraient tenir comme citoyens. Scandale d’un bizutage des jeunes amenés à exercer dans des conditions difficiles, sans formation, et au moindre coût à travers une gestion par crédits qui brade les droits alors qu’elle exige de plus en plus des personnels. Scandale de l’État qui précarise ses serviteurs. Scandale de la précarisation des missions même de l’État et remise en cause du rôle du service public. Dans la fonction publique, à l’Éducation nationale, nous devons le dénoncer ­fermement : l’État est loin d’être un employeur modèle ! Près d’un million de précaires dans la fonction publique Publiée au printemps 2006, alors que la mobilisation contre le contrat première embauche culminait, la statistique avait surpris : l’État et les collectivités publiques emploient une proportion importante de salariés en contrat court (Etude de la DARES, janvier 2006). La proportion de 16 % est comparable à la part des contrats courts dans le secteur privé. La proportion relativement stable sur la durée masque la dégradation des formes d’emploi des personnels non titulaires, et le renouvellement partiel des personnes dans cette situation. Plusieurs plans de titularisation intervenus depuis 1984 n’ont pas permis de stopper l’embauche de nouveaux personnels de plus en plus précaires : contrats courts et interrompus, temps incomplets, vacations, « emplois aidés » mobilisés sous différentes formes au nom de la lutte contre le chômage. Le remplacement des étudiants surveillants par les assistants d’éducation est exemplaire de cette dégradation : menace du non renouvellement du contrat, temps de travail augmenté, refus du droit à mutation. Les conséquences de cette situation, ce sont d’abord 800 000 personnes qui les vivent : incertitude permanente quant à la pérennité de leurs emplois, faible rémunération, absence fréquente de carrière et d’évolution de la rémunération… Comment dans ces conditions préparer sereinement l’avenir quand dans le même temps la réduction des recrutements crée un nouvel obstacle ? Comment s’intégrer dans un collectif de travail lorsque l’on n’a aucune stabilité ? Les employeurs publics font un calcul à bien courte vue lorsqu’un choix comptable les fait préférer au recrutement d’un fonctionnaire l’embauche d’un agent contractuel, le recours à des emplois subventionnés par d’autres fonds publics. Pourtant aux interventions répétées de la FSU qui demande l’ouverture d’une négociation sur ce dossier, il est opposé un refus systématique : la création du CDI aurait réglé le sujet selon les gouvernements successifs. C’est, d’une part, nier que les agents contractuels, même en CDI ne se voient pas reconnaître l’ensemble des garanties apportées aux fonctionnaires, d’autre part, vouloir ignorer les pratiques des administrations qui contrarient les possibilités d’accès au CDI. Ceux-ci représentent d’ailleurs à peine plus de 1 % des non titulaires. Et si la proportion est plus élevée pour les enseignants, proche de 20 %, c’est parce que l’action syndicale a débouché en 1997 sur la garantie de réemploi des maîtres auxiliaires, et de même la combativité des syndicats de la FSU et en premier lieu le SNES-FSU a permis que les enseignants en formation initiale ou continue, les CPE, CO-Psy, les infirmières aient accès au CDI en vertu de la loi du 26 juillet 2005. Si les dispositions légales et réglementaires actuelles rappellent que les emplois permanents doivent être occupés par des fonctionnaires, il n’en reste pas moins que la loi du 11 janvier 1984 dans sa version issue de la loi du 12 mars 2012 laisse toujours une place importante à l’emploi des contractuels. Contrairement à ce qui a été avancé, le nombre d’agents non titulaires a augmenté entre fin 2012 et fin 2013 de 5,3 % dans la fonction publique de l’État et de 32,5 % pour les contrats aidés, comme l’atteste la dernière étude de l’INSEE publiée le 17 avril 2015. Pour autant, les luttes du SNES et de la FSU ont débouché sur une série de groupes de travail à la DGRH, à la Fonction publique et au Ministère de l’Education nationale. Ces groupes de travaux (GT 13), actuellement en cours, ont donné lieu à des projets de décrets reprenant plusieurs des amendements déposés par nos syndicats de la FSU, visant à améliorer la gestion, les conditions d’emploi et de rémunération des agents non titulaires. Parallèlement, le SNES a obtenu l’allongement du recrutement réservé jusqu’en 2018, et une modification des conditions exigées pour candidater. Le SNES et la FSU continueront à porter les revendications des non titulaires, pour un vrai plan de titularisation ! * L’administration a très tôt fait appel aux agents non titulaires. Ce phénomène trouve vraisemblablement son origine au siècle dernier dans la volonté d’exclure les femmes de l’accès au fonctionnariat, notamment celles qui occupaient des fonctions de gérante d’agence postale. Il semble également qu’il y ait eu en 1869 des recrutements d’agents pour occuper des fonctions dans cette même administration sans avoir la qualité de fonctionnaire : est généralement citée, la création d’un cadre pour les dames dactylographes en 1901. Le phénomène a pris de l’ampleur lors de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il a fallu remplacer les fonctionnaires mobilisés sur le front. Les administrations pouvaient recruter des agents appelés « auxiliaires » à l’occasion de travaux exceptionnels et urgents rémunérés sur des crédits globaux ouverts par le ­Parlement. Les chiffres font état d’une évolution conséquente de 10 000 agents en 1914 à 70 000 en 1922. À l’issue de la guerre, un certain nombre d’agents ont été maintenus en place, d’autres licenciés. Le phénomène a pris de l’ampleur avec la Seconde Guerre mondiale. Les effectifs ne représentaient pas moins de 90 000 personnes à la veille de la guerre contre 210 500 en 1946. Les mesures de titularisation ainsi que les licenciements vont faire diminuer ces chiffres. Mais le phénomène qui était jusque-là principalement cantonné à deux administrations : les Postes Télégraphes et Téléphones et l’Éducation nationale, va se généraliser à partir des années soixante, période qui correspond, du reste, à une crise de recrutement des fonctionnaires. Vont ainsi apparaître dans l’ensemble des ministères, des statuts propres aux agents non titulaires dénommés le plus souvent « agents contractuels ». Ce phénomène, bien qu’entrecoupé par deux grands plans de titularisation (en 1965 et en 1974), a continué à progresser. La réduction des effectifs constatée dans les années 80 résulte de l’effet ­conjugué des mesures de limitation du recours aux agents, du plan de titularisation Le Pors et de la création de corps de fonctionnaires dans la recherche. Si les chiffres ont oscillé dans une fourchette variant entre 200 000 et 400 000 agents, le pourcentage des agents non titulaires au sein de la fonction publique de l’État a connu une baisse en raison de l’augmentation du nombre de fonctionnaires depuis la Seconde Guerre mondiale (534 044 fonctionnaires en 1947 contre 1 626 764 en 1994) en ­passant durant cette période de 33,61 % à 11,01 % des effectifs totaux de la fonction publique de l’État. Les agents non titulaires représentaient, en 1994, 209 979 personnes et 206 000 en 2001. (Source : Carole Moniolle, Les agents non titulaires de la fonction publique de l’État entre précarité et pérennité). combattre la précarité : une prirorité du SNES

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