Ce mois de janvier 2024, la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (la DEPP) a publié des résultats partiels de la deuxième édition de son « Baromètre du bien-être au travail » dans sa note d’information n°24-03. Ils sont issus de la consultation 2023 à laquelle ont répondu 71 000 personnes, dont pour la première fois des AESH.

Une autre note (n°24-02) de la même direction sortie le même mois intitulée « Les enseignants : des cadres au contact du public qui se sentent utiles mais en manque de reconnaissance » présente les réponses des enseignant·es aux enquêtes sur les conditions de travail réalisées en 2013 et 2019 par la DARES, un service du ministère du Travail.

Ces deux notes fournissent des informations convergentes qui précisent et même dépassent le constat qui sert de titre à la deuxième : les personnels de l’Éducation nationale se sentent utiles mais aussi dévalorisés dans la société, se jugent mal payés et sont épuisés.

Deux baromètres, encore des questions.

La première note titre sur la stabilité des résultats de 2023 comparés à ceux de 2022 (publiés dans la note n°22-31), ce qui semble logique à une seule année d’intervalle. Les évolutions dans les domaines concernés se font évidemment généralement sur un temps long.

Comme nous le disions pour la précédente édition, les résultats qui se présentent comme des moyennes sur 10 ne sont pas toujours faciles à interpréter. Pour certains items, la Depp a recours à une comparaison qui peut être signifiante avec les résultats des Français en emploi et même des Français en emploi à bac+3 ou plus (issus de l’enquête Insee Cepremap « Bien-être » auprès des ménages). Mais pour d’autres questions spécifiques au Baromètre, ces données n’existent pas. Les résultats très bas ou très hauts peuvent être assez parlant naturellement. Mais que signifient un 5,7 ou 6,5/10 qui se maintient sur les deux éditions sans éléments de comparaisons extérieurs ou dans le temps long ? Par ailleurs, même les données complémentaires mises en lignes qui précisent en partie les réponses présentées dans la synthèse ne donnent pas accès pour chaque question traitée à des informations qui seraient pertinentes comme des ventilations par ancienneté ou par genre.

Stabilité d’un « bien-être au travail» ou d’un « mal-être » ?

Dans ce qui est publié, pour l’essentiel ce sont des résultats plutôt inquiétants ou très inquiétants qui sont stables.

La question posée aux personnels de l’Éducation nationale sur « leur satisfaction au travail en général » reçoit une note équivalente à celle de l’année dernière (5,9/10) toujours inférieure de 1,4 point à l’évaluation qu’en font les français en emploi de bac +3 ou plus.

Le décalage est donc net et se confirme, même si la formulation vague de la question induit certainement des interprétations différentes par les répondants.

Un autre résultat, plus précis quant à la question posée, est encore plus alarmant : la stabilité au dixième près de la note élevée attribuée au sentiment d’épuisement par les répondant·es : 6,8/10 exactement comme en 2022 et toujours plus de 50 % des répondants attribuent une note en 8 et 10 !

Pour une autre question, c’est l’évolution négative qui peut être préoccupante : la satisfaction vis-à-vis de l’équilibre entre le temps consacré aux proches et le temps de travail a perdu 4 dixièmes entre les deux éditions pour atteindre 5,3/10. A comparer au 6/10 attribué par les Français·es en emploi en juin 2023 au même item.

Évidemment, ces résultats confirment les alertes et les revendications du SNES-FSU sur la charge de travail croissante et ses effets sur la santé. Plus positif, l’impression de faire quelque chose d’utile aux autres demeure assez élevée et est évalué en moyenne à 7,4/10.

En revanche, on peut remarquer un décalage avec le sentiment de fierté dans le cadre de leur travail qui n’est estimé qu’à 5,9/10

Sans doute faut-il associer ce résultat à d’autres parmi les plus alarmants qui complètent ce tableau. Dans l’Éducation nationale, le sentiment de valorisation de leur métier dans la société est noté en moyenne à 2,5/10 et la satisfaction quant aux perspectives de carrière (avancement, titularisation, rémunération…) à 2,9/10.

Qu’attendent les personnels ?

Les domaines à améliorer prioritairement restent les mêmes en 2022 et 2023. Avec trois choix possibles parmi plus de 10 items, on retrouve, dans les deux éditions, le pouvoir d’achat en tête (cité par plus de 57% des répondant·es ), suivi de la charge de travail et l’aménagement de fin de carrière, qui ont tous deux augmenté de plusieurs points.

Un peu de « bien-être » ?

Les quelques autres éléments positifs relevés par le Baromètre portent sur le sentiment de sécurité dans et aux abords de l’établissement presque à 8/10, le fait d’aimer exercer dans son école ou son établissement en moyenne à 7/10 et le sentiment d’être respecté par les élèves ou d’avoir le soutien de ses collègues en cas de problème noté entre 7 et 8 sur 10. En revanche sur le soutien de la hiérarchie en cas de problème on redescend à 5,7/10.

Les AESH font leur entrée.

Interrogé·es pour la première fois en 2023, les accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH) déclarent, sans surprise, une satisfaction en termes de rémunération et de carrière encore plus basse encore que la moyenne des personnels de l’Éducation nationale. En revanche, des niveaux de satisfaction légèrement supérieurs à ceux des autres personnels sont exprimés sur la satisfaction de leur travail en général, la charge de travail ou en ce qui concerne le travail au sein de l’établissement.

Des questions sans réponses ?

Pour finir sur cette note, nous relevons comme pour la première enquête qu’ un certain nombre de résultats ne sont toujours pas publics. Par exemple ceux des questions portant sur :

– les sentiments d’anxiété et d’épanouissement

– l’accès à la médecine du travail

– le souhait de partir le plus tôt possible à la retraite ou d’aménager l’emploi du temps des dernières années

– l’évolution du sentiment de satisfaction ou des conditions de travail par rapport au moment où on commencé à exercer son métier

– la confiance donnée ou reçu par les autres catégories de professionnels comme la hiérarchie ou les autres acteurs du système éducatif y compris les usagers

– des questions assez précises sur les tâches

Si les modèles de « bien-être au travail » et les indicateurs utilisés induisent souvent l’exclusion de questions comme les critères de qualité ou l’organisation du travail, les réponses à certaines questions pourraient être intéressantes pour approcher leurs effets.

Les conditions de travail… en 2019 ?

La deuxième note publiée en janvier porte sur les conditions de travail des enseignants du public et du privé, contractuels et titulaires. Elle évoque dès les premières lignes leur importance pour l’attractivité des métiers. Les informations sont issues de réponses des enseignants aux enquêtes menées par la DARES auprès de professionnel·les de divers secteurs d’activité en 2013 à 2019. Il faut avoir en tête que les plus récentes ont 4 ans, même si par commodité, comme dans la note, notre texte est au présent. Elles sont donc antérieures à la crise sanitaire, à la réforme des retraites et à bien des effets des premières années de la politique Blanquer.

Des contraintes fortement ressenties par les enseignant·es

En 2019, les enseignant·es ressentent plus fortement que les cadres du privé des contraintes dans presque tous les domaines des risques psycho-sociaux. La seule exception est celui de l’insécurité économique. Pour le second degré, ces contraintes sont fortement ressenties, avec un écart très important par rapport aux déclarations des autres cadres, dans :

  • la reconnaissance et évaluation du travail,
  • les exigences émotionnelles,
  • l’autonomie et perspective d’évolution.

Viennent ensuite les contraintes physiques (posture debout par exemple…), les rapports sociaux au travail, l’intensité du travail et finalement les conflits de valeur.

Des cadres particuliers.

La note met en évidence un certain nombre de particularités du travail enseignant par rapport à celui d’autres cadres. Par exemple la note souligne le contact constant avec un public nombreux, situation rare chez les cadres finalement, qui explique l’importance prise par les questions liées aux exigences émotionnelles et la reconnaissance et l’évaluation de leur travail. Les enseignants du second degré déclarent ainsi deux fois plus que les autres cadres vivre des situations de tensions avec le public.

Une maîtrise du temps ?

Si, les enseignant es répondent plus que les autres cadres avoir des horaires s’accordant avec leurs engagements familiaux, l’écart est bien moindre que pour les questions précédentes et il tend à se réduire. Plus de 80 % déclarent aussi pouvoir organiser leur travail comme il leur convient le mieux. Réponses comparables, mais inférieures de quelques points à celles des autres cadres.

Les enseignants sont 2 à 3 fois plus nombreux que les cadres à déclarer travailler le samedi ou le dimanche. Ce qui pourrait encore relever de la liberté d’organisation, mais peut être aussi vécu comme une contrainte.

D’ailleurs, l’écart est considérable sur l’item « vous pouvez interrompre votre travail quand vous le souhaitez ». 91,2 % des cadres répondent par l’affirmative, contre 21,9 % des enseignant·es du secondaire.

En ce qui concerne la facilité à se libérer l’esprit de son travail, l’avantage n’est pas aux enseignant·es. Plus de 80 % des professeur·es des collèges et lycées répondent « je pense toujours ou souvent à mon travail quand je n’y suis pas » contre 57,5 %.

Utiles, mais mal payés, mal évalués, dévalorisés. Peut-on tenir ?

Cela résume un ensemble d’informations fournis par des réponses qui concordent avec celles de citées dans la note du « Baromètre du bien-être au travail. »

80 % des enseignants du secondaire déclarent avoir toujours ou souvent l’impression de faire quelque chose d’utile aux autres, mais seulement la moitié pensent recevoir le respect et l’estime à la hauteur de leur travail.

En 2019, seuls 19 % des professeur·es du secondaire se considèrent bien ou très bien payés compte tenu du travail réalisé contre 30 % des cadres.

Les enseignants considèrent être de moins en moins évalués par des personnes connaissant leur travail.

Presque les deux tiers des enseignants du secondaire déclaraient devoir faire dans leur travail des choses qu’ils désapprouvent.

Sur toutes ces questions, les autres cadres donnaient des réponses nettement plus favorables avec un écart toujours d’au moins 10 points. Par exemple, 55 % répondaient être bien ou très bien payés.

Dans ces conditions, les réponses sur la manière de se projeter dans l’avenir sont cohérentes :

Plus des deux tiers des enseignant·es du secondaire souhaitent faire le même métier jusqu’à leur retraite mais plus de la moitié déclarent ne pas se sentir en capacité de le faire !

Pour les autres cadres c’est l’inverse : seulement un peu plus de la moitié souhaitent faire le même métier, mais les deux tiers pensent pouvoir le faire jusqu’à la retraite.

Finalement, un Baromètre et des enquêtes pour quoi faire ?

Attractivité des métiers, Pacte, choc des savoirs… en quoi les mesures prises par le ministère depuis bientôt deux ans dans ces domaines pourraient améliorer ces signaux au rouge ? Ou même en quoi paraît-il en avoir tenu compte ? En Rien. Pourtant la note d’octobre 2022 était une première alerte, des résultats de l’enquête de la DARES sont cités dans des publications de la DEPP en 2021. Les informations issues des propres services du ministère seront elles prises en compte quand les alertes, remontées et revendications que le SNES-FSU doivent s’appuyer sur l’action syndicale pour être considérées ? Quels décideurs vont-elles réellement intéresser ?

Il est à craindre que la réalisation d’un Baromètre du « bien-être au travail» relève plus de la communication, ou d’une to do list de justifications, que d’une réelle politique de prévention en matière de santé au travail qui questionnerait l’organisation du travail.

On le voit, un réel dialogue social de qualité apporterait directement au ministère des informations qui sont dans le Baromètre, et bien d’autres encore, pour enrichir sa réflexion. Par exemple, les effets concrets de cette tension vécue par des personnels qui se savent utiles, mais épuisés, peu valorisés, mal rémunérés et qui peinent à pouvoir être pleinement fiers de ce qu’ils font dans une organisation du travail sans cesse bouleversée pour aller vers plus de contraintes et d’entraves.

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