Ces extraits de témoignages d’enseignants d’histoire-géographie ont été recueillis entre le 7 et le 10 janvier 2015.
Même si chacun sait que le travail devra se poursuivre en profondeur une fois l’émotion passée, dans plusieurs établissements, ces moments ont vraiment été constructifs. Ils montrent aussi que les professeurs sont capables d’utiliser les ressources de leur discipline pour engager les discussions, sans démagogie mais en pédagogues.

Enseignant d’un lycée professionnel et technique de la Seine-et-Marne

Les élèves étaient en grande demande d’informations sur les conséquences : stigmatisation, recul des libertés etc. [Ils] étaient tous choqués avec la volonté de comprendre et de ne pas pratiquer l’amalgame. Seules deux remarques sur le rétablissement de la peine de mort et de renvoyer chez eux les suspects. La discussion s’est engagée entre élèves et je crois que la réflexion a avancé.

Enseignante collège dans l’Oise
Je n’ai pas rencontré d’opposition de la part de mes élèves de 5è, ils étaient unanimement choqués. Les musulmans ont expliqué aux autres que l’Islam, c’est « respect », que les tueurs n’étaient pas de vrais musulmans. ..Ils ont mis des mots sur leur peur…

Collège Seine-saint-Denis

Les 3e étaient ceux qui avaient le plus de réflexions à partager.
Je leur ai demandé de s’interroger sur ce qui venait de se passer et le fait d’être en permanence devant sa télé pour suivre la traque. Je pense que le problème chez certains d’entre eux est de ne pas accepter la critique de la religion car c’est quelque chose de sacré pour eux. On a vraiment beaucoup de boulot.

Lycée de Seine et Marne

Les élèves étaient en attente, les échanges avec eux ont été de qualité et ont permis de mettre des mots sur le drame jeudi et vendredi. Il nous faudra la semaine prochaine expliquer aussi qu’après les journalistes, les fascistes s’en sont pris à des juifs parce qu’ils étaient juifs, en choisissant un magasin casher pour cible.

Collège à Montpellier

…Dans les classes de 4°-3°, quelques élèves avec qui cela a été difficile, il y eu des propos un peu vifs échangés entre certains; une fois des propos non admissibles, j’ai du sortir une élève de la classe (« votre religion de merde »).
Globalement élèves choqués, y compris parmi de nombreux musulmans, qui voient dans l’instrumentalisation de l’islam par certains d’autres buts. Quelques-uns, en 4°, ont eu des propos ambigus, du genre c’est pas normal de les avoir tués, on n’est pas d’accord, ce n’est pas ça l’islam, mais bon ils l’ont un peu cherché… Il pouvait s’agir aussi de maladresses de langage, les propos ayant pu changer durant l’heure.
Mon propos a donc surtout consisté à essayer de montrer que CH utilise la liberté d’expression et n’est pas un journal raciste ; j’ai insisté sur le sens de ce mot, galvaudé aujourd’hui … J’ai d’autre part rappelé l’affaire qui avait opposé CH à l’UOIF il y a quelques années afin de montrer que si on n’est pas d’accord, il y a des moyens légaux et pacifiques de combat.
En revanche, tout ceci m’a amené à une réflexion: … je ne parle pas assez du droit à la dérision et au rire et du fait que les deux ne sont pas incompatibles. Je pense que lorsque je montre des caricatures de Louis XVI, les élèves ne transposent pas à aujourd’hui. … Ce droit au rire ne devrait-il pas être présent dans les programmes?

Lycée dans le Var

Les élèves étaient très nombreux et recueillis à la minute de silence commune dans la cour jeudi midi. L’idée a été de rédiger un communiqué écrit par les élèves pour publication sur le site du lycée.

Collège dans le Val de Marne

Le principal a joué son rôle, en allant en salle des profs dès 8h, puis à la récré avec des viennoiseries « pour consoler tout le monde comme on le fait pour les deuils familiaux ».
Il se trouve que j’étudie le chapitre d’EC sur les valeurs en 3ème. Par un choquant hasard, j’avais fait lundi avec une de mes 3èmes (la bilangue) une séquence bâtie après « l’affaire des caricatures de Mahomet ». J’avais à cette époque décidé, pour amener les élèves à tolérer l’irrévérence envers l’Islam, et couper cours à toute victimisation, de leur parler de la laïcité en leur expliquant qu’elle s’est construite contre l’Eglise Catholique. Je commence la séance par un arrêté de 1900, interdisant le port de la soutane sur le territoire de la Commune du Kremlin Bicêtre, en des termes très fleuris et peu flatteurs pour les prêtres. Le KB, ils connaissent, c’est à côté, alors ça capte leur attention….

Tous ont respecté sagement la minute de silence avec [une collègue d’anglais], mais voici ce qu’elle m’a rapporté sur leur prise de parole après:
– pourquoi charlie hebdo ils avaient le droit de s’exprimer et pas Dieudonné? (l’argument deux poids deux mesures)
– oui mais, ils l’ont bien cherché
– … Douze morts, ce n’est pas tant que ça… c’est beaucoup de bruit pour rien, je ne me sens pas concerné…
– d’abord la religion c’est sacré, ça ne peut pas évoluer il ne faut pas y toucher

Je doute que ces discours viennent des familles, je les connais …
J’ai terminé en leur rappelant ce qu’ils auraient dû retenir depuis la 5ème, à savoir qu’une religion naît dans un contexte historique, social, géographique, destiné à évoluer. …
Beaucoup d’élèves m’ont dit qu’ils étaient soulagés. … Ses camarades lui ont rappelé que ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord qu’on n’écoute pas les argument adverses.

Enseignante Lycée Val de Marne

J’ai préféré les laisser parler en apportant des éclaircissements au fur et à mesure et leur ai projeté un extrait d interview des caricaturistes abattus : émotion !
Condamnation sans ambiguïté des attentats par les élèves:
– certains expriment aussi le fait qu’ ils sont choqués par les caricatures et c’est là que sont rappelés que selon lieux et époques, les interdits varient mais aussi le lien entre caricature/liberté (via la Révolution Française) et le fait que la sensibilité est d ‘autant plus grande lorsque que l’on se sent victime de discriminations.
– des élèves me rapportent que dans le lycée circulent la phrase « ils l’ont bien cherché ». … intervention remarquable d’une élève insistant sur ce qui nous rassemble et contestant l’idée d’une identité unique.

ZEP en Meurthe et Moselle

Avec des classes de quatrième, 5 à 6 élèves de confession musulmane par classe, mais pas mal d’autres familles qui adhèrent à des idées complotistes, antisionistes et pour tout dire loufoques.
Les réflexions de mes élèves musulmans m’ont plutôt rassuré : »Mon père m’a dit que les vrais musulmans ne tuent jamais personne. », « On a honte pour eux [les terroristes]. », « C’est un journal de chiotte (sic), je ne le lirai jamais, mais après tout ils peuvent écrire ce qu’ils veulent ce n’est pas une raison pour les tuer »

Enseignante Lycée dans l’Essone

Une discussion s’est engagée entre élèves à partir de l’idée exprimée par une jeune fille que pour elle la limite était qu’on ne devait pas se moquer des religions. Dans une autre classe une élève a découvert avec surprise (une bonne surprise pour elle) que Charlie Hebdo ne « tapait » pas que sur la religion musulmane, mais sur toutes les religions et tous les politiques, et qu’en plus ils avaient fait un article pour soutenir la création d’un Etat palestinien (c’était un article de Bernard Maris).

Collège REP dans le Nord

Dans mon établissements REP de centre-ville, les élèves sont sensibilisés régulièrement aux problématiques liées à la xénophobie, moins, à la liberté de la presse… Il me paraissait donc évident de préparer, mercredi soir, une séance d’une heure sur les relations entre liberté d’expression, celle de la presse et la démocratie. Les attentes des élèves étaient de comprendre, j’ai retracé les événements depuis Salman Rushdie jusque mercredi, les caricatures danoises, la solidarité exprimée par Charlie Hebdo en diffusant les dessins, l’absence de solidarité des autres médias, les fatwas (avec rappel rapide de ce qu’était l’inquisition) et leur contexte géopolitique. La séance a donc abouti sur l’opposition entre deux visions politiques: laïque et religieuse. Et la mise en évidence de la démocratie comme seul moyen de coexistence pacifique de tous.
Les questions étaient assez prévisibles: « s’ils savaient qu’ils étaient menacés, pourquoi ont-ils continué? », « Pourquoi les autres journaux n’étaient-ils pas solidaires à l’époque? » « ne craignez-vous pas que le message « Je suis Charlie » ne soit galvaudé très vite? ».
J’ai vraiment eu l’impression d’être en première ligne mais d’avoir les ressources, l’envie et le devoir de répondre de la manière la plus consensuelle et républicaine possible même si mes idées sont beaucoup plus abruptes concernant les religions et la liberté.
Beaucoup d’élèves montrant énormément de tristesse, ressentant beaucoup d’empathie envers des dessinateurs … ont produit spontanément beaucoup de dessins, se sont essayés à la caricature

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