La commande des nouveaux programmes a été passée par Pap Ndiaye juste avant qu’il ne soit remplacé par Gabriel Attal. Dans la lettre de saisine du Conseil supérieur des programmes, le ministre a promis un doublement de l’horaire, qui passerait donc à une heure hebdomadaire au cycle 4.

Une heure d’EMC par semaine au collège ?

On peut légitimement s’interroger sur le financement d’une telle promesse. Dans les grilles horaires du collège, enseignement moral et civique et histoire-géographie ne sont pas distincts. S’agira-t-il de passer moins de temps à faire de l’histoire-géographie pour permettre un « doublement » des heures d’EMC ? Ou de détacher l’EMC du service des professeur·es d’histoire-géographie en collège pour s’aligner sur la situation qui prévaut au lycée depuis près de 25 ans et la création de l’ECJS (éducation civique juridique et sociale) ? Rappelons que dans un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2021 sur « La formation à la citoyenneté », cette dernière déplorait que « le cloisonnement disciplinaire (un horaire par discipline, un service d’enseignement exprimé uniquement en heures de cours hebdomadaires) freine la pluridisciplinarité qui nécessite un temps de concertation entre professeurs et l’appropriation du parcours [citoyen] par l’ensemble des enseignants. » Elle notait également qu’en lycée la désignation d’un enseignant pouvait, « obéir à des préoccupations utilitaires (« boucler un service ») . [Mais] le quasi-monopole de fait des enseignants d’histoire-géographie sert souvent de prétexte à leurs collègues pour s’en désintéresser. Ce mode d’attribution ne favorise pas le travail pluridisciplinaire prôné par les programmes. » L’expérience nous a montré combien les préoccupations de la Cour des comptes, orientées par le souci d’optimiser le budget consacré par l’État à l’éducation, sont loin des enjeux pédagogiques, et que ses prescriptions ont des conséquences délétères pour nos conditions de travail.

Des contenus peu renouvelés

D’après la lettre de saisine de Pap Ndiaye les programmes d’EMC doivent être revus pour intégrer trois « thématiques majeures » : les valeurs de la République et la laïcité ; l’écocitoyenneté et l’éducation au développement durable ; l’éducation aux médias et à l’information avec en particulier « les droits et devoirs dans l’espace numérique » et « les risques liés aux usages du numérique ». Que de nouveautés et d’audace ! On est saisi d’un frisson à envisager que le gouvernement considère enfin les enjeux climatiques comme des questions civiques, voire, horresco referens, comme des questions politiques !

En 2020 le dernier « verdissement » des programmes, y compris d’EMC, sous la houlette de Jean-Michel Blanquer a abouti à mettre en avant les « petits gestes », et des « savoirs verts » très délavés (lire notre analyse), parfaites illustrations d’une volonté de dépolitiser les questions écologiques. Pour ce qui est des « valeurs et principes de la République qui fondent le Pacte républicain » évoqués dans la lettre de saisine, il ne peut s’agir d’objets sacrés appelant la vénération. Ces valeurs et principes ont une histoire, ont fait et font encore l’objet de débats, d’interprétations (songeons seulement à une égalité laissant de côté les femmes et les populations colonisées)… En 2023 encore, dans leur quotidien, y compris en dehors de l’école, élèves et personnels sont trop souvent confrontés au gouffre entre les principes et valeurs proclamés et la réalité de leur application. Ce grand écart ne facilite pas l’efficacité pédagogique de l’enseignement moral et civique. De nouveaux programmes qui ne le prendraient pas en compte n’apporteront aucune plus-value par rapport à l’existant. Les annonces médiatiques de rentrée du président Macron sur « l’instruction civique » (lire chaque semaine un « grand texte fondamental sur nos valeurs ») ne nous rassurent pas sur ce point.

Pour des pratiques et des savoirs émancipateurs

Pour le SNES-FSU, l’éducation à la citoyenneté ne doit pas s’apparenter à l’exposé frontal de valeurs désincarnées, mais être vécue concrètement dans les classes et les établissements, par des pratiques émancipatrices et des savoirs vivants. A cette fin, la démocratie collégienne et lycéenne doit cesser d’être un simple affichage pour devenir une réalité. L’apprentissage de la citoyenneté nécessite du temps, des moyens horaires, des effectifs réduits. Il n’est pas compatible avec la course aux évaluations chiffrées, en particulier « certificatives » comme c’est devenu le cas pour le baccalauréat avec le contrôle continu en Première et en Terminale. Il ne peut se résumer à la nécessité de cocher telle ou telle case dans un logiciel pour valider un niveau de « compétence » à la fin du collège. L’idée même de noter l’adhésion à une série de valeurs républicaines est non seulement incongrue, elle est contre-productive, favorisant la simple récitation ou la seule mise en avant de qualités formelles à l’écrit comme à l’oral. L’EMC doit au contraire former l’esprit critique, permettre à chaque élève de se construire une opinion argumentée, conditions sine qua non à l’exercice d’une citoyenneté réelle. Comme le rappelait déjà Condorcet il y a plus de deux siècles, « le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger ».

Pour le SNES-FSU, l’EMC comme tous les enseignements et disciplines scolaires, doivent participer à l’émancipation des élèves, autrement dit, les outiller pour lutter contre toutes les formes de domination et d’aliénation qui traversent la société.

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