Après les aveux de C. Villani sur France Inter mi-janvier, qui reconnaissait à demi-mots que l’enseignement des mathématiques ne trouvait pas sa place dans l’enseignement scientifique du lycée, le mathématicien J.P. Bourguignon a, pour sa part, et sur la même antenne, critiqué les effets de la réforme du lycée sur le suivi, par les élèves filles, de l’enseignement des mathématiques, déclenchant rapidement nombre de réactions des sociétés savantes, des associations de spécialiste et de divers collectifs mathématiques (notamment engagés dans un combat pour l’engagement des filles dans la discipline) et du SNES-FSU.

Ces prises de position faisaient également suite à des interpellations, reprises par la presse (Le Figaro, Les Echos, l’Etudiant, etc.), de collègues de CPGE, notamment économiques et commerciales voie générale (ECG), qui alertaient en décembre sur le risque de tarissement des viviers d’élèves ayant suivi des mathématiques qui menacerait le recrutement dans ces classes.


Il faut dire, pour être complet, que c’est une dépêche de l’AEF, qui a, en décembre dernier, ouvert le bal, en rapportant des propos de P. Matthiot, père spirituel du Lycée Blanquer : il y assumait pleinement le fait que les mathématiques ne soient plus enseignées dans le cycle terminal aussi largement que par le passé, considérant par exemple que les étudiants de Sciences Po, dont on sait le rôle qu’ils jouent dans la constitution des élites dirigeantes du pays, n’avaient pas nécessairement besoin de cet enseignement… La crise sanitaire a pourtant démontré à plusieurs reprises la place et le rôle que peuvent jouer les mathématiques, et plus généralement les sciences, dans le débat et la décision publique, et les effets de l’incompréhension parfois profonde de phénomènes exponentiels ou des concepts de modélisation …

Communication exceptionnelle

Le ministère a ainsi adressé, le 25 janvier, un message à tous les professeurs de la discipline, pour vanter 5 ans d’initiatives de tous ordres en matière de mathématiques dans le cadre scolaire. Cette communication tout azimut du ministère – et sur les réseaux sociaux, de Ch. Torrossian, inspecteur général, architecte et promoteur du Plan Mathématiques depuis 5 ans montre la nervosité du ministre sur la question des mathématiques, de leur place dans la nouvelle architecture du lycée et dans l’ensemble du système éducatif.

Ce message mérite qu’on s’y arrête, et que soient remis en perspective certains arguments ouvertement promotionnels :

  • Les laboratoires de mathématiques, dont « L’année des mathématiques a donné une impulsion indispensable » (voir la réaction du SNES-FSU). Les premiers retours de terrain montrent surtout que l’impulsion est restée concrètement très limitée, le déploiement n’en étant qu’à ses tout débuts. Par ailleurs, à notre connaissance, aucun bilan de ce dispositif, encore largement inconnu des collègues, n’a pour le moment été réalisé dans les académies.

  • La création d’un tronc commun de mathématiques au lycée technologique : il n’y a là rien de vraiment neuf, toutes les filières de cette voie avaient déjà un enseignement de mathématiques… La nouveauté a résidé dans le fait de disposer de programmes communs, ce qui apporte certes un confort aux collègues, mais coupe tout de même les mathématiques enseignées de la coloration de la série, même si les collègues choisissent autant que possible des illustrations en lien avec celle-ci.
    Notons toutefois et au passage que le ministère ne dit rien des problèmes d’articulation que posent les programmes du tronc commun et de la Spécialité Physique/Mathématiques dans la voie technologique industrielle… dont le SNES-FSU demande une remise à plat, considérant qu’il n’est pas possible d’aborder tôt dans l’année des approfondissements de notions à peine découvertes dans le tronc commun.

  • La place des mathématiques dans le nouveau lycée, largement évoquée dans le message, et notamment par le prisme déformant de quelques chiffres judicieusement choisis et censés éclairer leur attractivité retrouvée, dissimule en réalité la très forte hausse du nombre d’élèves qui quitteront le lycée sans avoir suivi un enseignement de mathématiques significatif (hors enseignement scientifique donc …) de mathématiques au cours du cycle terminal (effet de l’absence de la discipline dans le tronc commun de la voie générale et le renoncement progressif à des spécialités). Le message passe également sous silence des effets très lourds sur la différentiation qui s’accroît fortement entre les choix des filles et ceux des garçons : sur ces sujets, le SNES-FSU a déjà produit de premières analyses plus complètes de la communication grand public du ministère.

  • La mise en avant d’un guide sur la résolution de problèmes mathématiques au collège – sobrement surtitré « Les guides fondamentaux pour enseigner » – , opus de 213 pages qui, s’il ne prescrit pas encore complètement une pédagogie officielle, rappelle tout de même nombre de fortes recommandations méthodologiques (« Stratégies d’enseignement ») dans la manière d’aborder les notions du collège. Ce phénomène, largement dénoncé dans le 1er degré et véritable « marque de fabrique » de J.M. Blanquer déjà contestée lorsqu’il fut le DGESCO du ministère Chatel, semble donc vouloir gagner progressivement le 2nd degré. Ce n’est pas encore une attaque frontale de liberté pédagogique, mais si l’on la met en regard de la grille de positionnement des manuels scolaires par un comité scientifique (sic !) , on pourrait aisément y lire une forte volonté d’encadrement de celle-ci. Même si ce guide peut donner un éclairage et des pistes pour la construction d’un cours ou d’une activité, il ne peut être « le » document de référence et la solution de tous les problèmes que traverse la discipline. Le SNES-FSU rappelle en outre sa demande de mise en place des repères annuels dans la construction des programmes, et en articulation avec les autres disciplines scientifiques, afin de permettre la construction de progressions cohérentes, et assurer la même ambition pour tous les élèves.

  • L’annonce de l’attribution de moyens supplémentaires ponctuels équivalents à 1500 postes (mais en HSE !) pour cette année scolaire escamote la nécessité d’aménagements de programmes que nous continuons de réclamer pour tenir compte des effets de deux années de pandémie sur les apprentissages des élèves, et nie la réalité de le charge de travail induit par des services comportant déjà très souvent 2h supplémentaires hebdomadaires. En outre, ce volume est à rapprocher des 1900 postes de mathématiques définitivement supprimés en lycée par la réforme (chiffres DEPP), et sonne comme un cruel rappel à l’ordre des choix opérés dans son cadre.

Notons pour terminer que cette communication officielle ne revient pas sur les résultats des élèves mesurés à l’entrée de Sixième, dont le SNES-FSU a dénoncé les faux-semblants à l’occasion de leur dernière publication. Il faut dire que le « rebond » en mathématiques évoqué publiquement par le ministre n’y saute pas encore aux yeux …

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