L’US Mag : Quelle est la raison qui vous a conduit à prendre part à cet ouvrage collectif ? Quel est l’objectif premier de cette démarche ?

Fabien Truong :L’objectif du livre est de dépasser un clivage qui tue dans l’œuf la plupart des débats sur l’école :le déclinisme/catastrophisme vs.l’angélisme.Ces deux positions trahissent le plus souvent le rapport très personnel à l’école de ceux qui les portent et ne nous parlent jamais de la réalité des situations qui sont infiniment plus nuancées. Ce livre prend ici un contre-pied en donnant à voir ce qui se fait, en montrant des expériences qui s’inscrivent dans le temps long. Il n’y a alors aucune place pour les grandes leçons de morale ou de pédagogie. Il ne s’agit pas de nier les difficultés,mais au contraire de partir de celles-ci pour montrer comment tracer un chemin concret devient possible. Cette conception du métier est très proche de mon travail de sociologue et d’enseignant

L’US Mag : Comment analysez-vous le déficit d’image de l’éducation prioritaire, mal menée par les médias alors que les personnels y font bien leur métier (c’est d’ailleurs rappelé avec force dans la présentation écrite par B. Falaize) ?
F. T. :Le problème tient surtout au fonctionnement du champ médiatique. Le besoin d’audimat favorise les oppositions tranchées du type « pour » ou « contre » qui, au fond, existent d’abord médiatiquement. Quelques (ex-)enseignants ou polémistes acceptent ce cadrage et rentrent bien dans les cases : ce sont toujours les mêmes « spécialistes » qui parlent. Il y a aussi le manque de temps pour préparer les sujets. Changer de grille et opter pour la nuance oblige à repenser les questions que l’on pose, leur mise en scène et… à trouver de nouveaux intervenants. Si on ajoute à cela la sociographie des journalistes qui fait qu’ils sont objectivement assez loin de la réalité et du quotidien de « la banlieue »et des « profs », cela fait beaucoup. Cela oblige beaucoup de journalistes consciencieux à devoir penser contre eux-mêmes : c’est difficile.

L’US Mag : Y a-t-il des liens avec votre ouvrage Loyautés radicales, poursuivez-vous ainsi l’exploration de ces territoires « en marge » des grandes villes pour en saisir l’impact sur la jeunesse ?
F. T. :Ils sont nombreux. Je pense notamment aux rapports houleux à l’école des « mauvais élèves »,à l’institution, qui tient de ce que j’appelle un amour éconduit, au sens où le rejet ostensible de l’école ne provient pas d’une « culture anti-école » décliniste mais plutôt du sentiment d’être entrain de rater ce qui compte le plus pour les parents, les profs et, au fond, vous-mêmes. La défiance de façade n’est que la reconnaissance des critères de légitimité scolaire par ceux qui savent très bien qu’ils n’ont pas les codes ni les ressources pour se conformer au désirable. Ces gestes-là (notamment quand ils mettent volontairement en scène la religion) ne devaient pas constituer un point d’arrêt ou une alerte à la menace publique, ils sont justes le point de départ éducatif,ce sur quoi l’on doit construire pour permettre le décentrement.Cela implique de troquer le catéchisme contre une considération des souffrances, des difficultés et des idéaux partagés. C’est, je crois, ce qui guide tous les textes et ils sont nombreux à nous transporter assez loin…

L’US Mag : Que répondre à celles et ceux qui avancent que, dans ces territoires défavorisés socialement, l’école ne peut pas tout résoudre ?
F. T. :Qu’ils ont raison ! Si les difficultés sont aujourd’hui aussi grandes, c’est parce que la ségrégation urbaine et l’augmentation des inégalités ont créé des poches où se concentrent les problèmes.L’école ne fera jamais tout, et l’école-sanctuaire encore moins.

« Dossier L’éducation Prioritaire – Supplément au N° 781 du 22 septembre 2018 »

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