Silence dans les rangs ! Voilà le mot d’ordre passé à tous les rectorats dont dépendent les départements où le SNU deviendrait obligatoire pour les élèves de Seconde à partir de janvier 2024. Les départements du Cher, des Hautes Alpes, des Vosges, le Finistère, la Dordogne et le Var seraient les (mal-)heureux élus. D’autres départements ont été envisagés mais compte tenu des difficultés organisationnelles, le ministère ira difficilement au-delà cette année. On imagine toutefois que cette liste peut être encore modifiée.

Tous les lycées de ces départements « expérimentateurs » auraient à organiser le départ des élèves pour deux semaines en « séjours de cohésion » vers des centres de SNU, et ce, sur le temps scolaire. En 2025, cela concernerait 20 départements avant la généralisation totale en 2026, soit 800 000 élèves. Le président de la République aurait écarté une autre hypothèse, celle d’un SNU concentré pendant les vacances scolaires.

Le ministère de l’Education nationale envisage donc le plus sérieusement du monde de supprimer deux semaines de cours en Seconde.

L’apprentissage de la citoyenneté version SNU

« Et parce que la confiance dans la vitalité de notre vie démocratique s’est, elle aussi, émoussée,  nous aurons, nous le savons dans les mois qui viennent beaucoup à faire. Je poserai dans toutes  prochaines semaines, les premiers jalons d’un Service National Universel. Nous aurons à  lancer les aménagements nécessaires à nos institutions et à notre vie publique et citoyenne. » Voeux 2023 aux Français, Emmanuel Macron, président de la République.

Le SNU fait donc partie intégrante d’un projet plus ample de réforme des institutions et du cadre de la vie démocratique. Il est aussi l’expression d’une conception de l’éducation à la citoyenneté qui fait de l’organisation militaire un modèle à suivre.

L’EMC sur la sellette

Dans l’hypothèse d’un SNU obligatoire sur le temps scolaire, aux dires mêmes de la secrétaire d’Etat, il faut envisager un passage par la loi. Il est aussi prévu de saisir le conseil supérieur des programmes pour repenser l’enseignement moral et civique et son articulation avec le « cadrage pédagogique » d’un SNU vu comme l’aboutissement du « parcours citoyen ». L’enseignement moral et civique en Seconde serait d’une manière ou d’une autre intégré au « séjour de cohésion » dans une conception qui laisse bien peu de place à l’approche critique des savoirs et soumet dans les faits cette discipline scolaire à la logique d’une instruction militaire. Le ministère assure qu’il n’y aura pas substitution des 18 heures annuelles d’EMC par les activités civiques organisées lors du SNU. Pourquoi devrions-nous les croire alors que, déjà, tout le discours officiel fait de ce dispositif la clé de voûte de l’apprentissage de la citoyenneté ?

Tout cela constitue en soi une menace contre l’enseignement moral et civique tel qu’il se pratique au lycée et une mise en cause directe des pratiques pédagogiques des enseignants dans le cadre de la classe. Plus généralement, cela consacre l’idée que l’école de la République n’est plus le lieu par excellence de la fabrication de la nation.

Emancipation, résilience, mixité…

Lors des échange entre la FSU le 9 février dernier, si la secrétaire d’Etat n’a cessé de mettre en avant les objectifs de mixité sociale et d’inclusion des jeunes en situation de handicap, elle a dit voir dans le SNU un moyen de reconstituer l’unité perdue du système scolaire : « C’est dans ces séjours que des élèves scolarisés dans l’enseignement public ou privé, ou non scolarisés peuvent se rencontrer et vivre ensemble ». Les deux semaines de séjour de cohésion viseraient donc aussi à lutter contre toutes les formes de séparatisme scolaire, que ce gouvernement s’emploie pourtant à entretenir par toutes les réformes éducatives qu’il a mis et envisage de mettre en place. Tous les arguments sont bons, y compris les plus improbables pour justifier l’extension du dispositif.

Derrière la communication ministérielle, de nombreuses questions en suspens

Dans la dernière version, la seconde phase du SNU avec les missions d’intérêt général (MIG), disparaîtrait totalement et le volet « engagement » serait travaillé davantage en lien avec le service civique.

La question de l’organisation et de l’encadrement n’est pas le moindre des problèmes. Tous les élèves de Seconde d’un lycée partiraient en même temps et seraient répartis dans des centres dédiés. Les centres de SNU devraient être dotés à terme de véritables équipes à temps plein, composées pour un tiers de volontaires de l’Education Nationale (personnels, détachés ou sur poste à profil), pour un tiers issus de l’éducation populaire et pour un tiers issus de corps en uniformes non actifs (réservistes, reconversion). Les séjours seraient étalés de janvier à juin en 2024 et d’octobre à juin les années suivantes. Dans les lycées, il faudrait donc prévoir une organisation qui tiennent compte de l’absence des élèves de Seconde dans un calendrier scolaire désormais soumis aux contraintes du SNU.

Comment contraindre les jeunes à partir en « séjour de cohésion » alors qu’aujourd’hui, aucun voyage scolaire ne peut être imposé ? « On n’enverra pas les gendarmes » nous a répondu la secrétaire d’Etat mais « on organisera des séjours de rattrapage pendant les vacances scolaires ». A part les exemptions pensées sur le modèles des textes renvoyant « aux cas de forces majeures », aucune disposition type « objection de conscience » n’est envisagée car, précise-t-elle, « ce n’est pas un service militaire ».

Mais, le SNU, qu’est-ce que ça peut bien être?

Le décret du 29 juillet 2020 décrit les objectifs du SNU et l’inscrit pourtant clairement dans le code du service national : « Les Français recensés, âgés de moins de dix-huit ans, peuvent, dans la limite des places disponibles, participer à un séjour de cohésion organisé par l’Etat. Ce séjour consiste en une période de vie collective avec hébergement. Les participants à ce séjour de cohésion s’engagent à participer à une mission d’intérêt général validée par l’autorité administrative compétente. Ce séjour et cette mission d’intérêt général ont pour objet de renforcer la cohésion nationale, de favoriser la mixité sociale et territoriale, de développer une culture de l’engagement et de contribuer à l’orientation et à l’accompagnement des jeunes. Conformément à l’article R. 112-22, la participation au séjour de cohésion permet d’accomplir la journée défense et citoyenneté. »

Pour l’instant, seul·es les jeunes de 15 à 17 ans de nationalité française sont éligibles au SNU . Il y aurait dans les tuyaux un décret modificatif qui étendrait le SNU aux étranger·es. Comment le SNU peut-il être imposé avec des modalités qui intègrent la journée d’appel, ce qui en ferait (toujours selon les dires de la secrétaire d’Etat) une obligation pour l’inscription aux examens et aux concours ?A ce jour, même les étranger·es appelé·es à devenir français·es à 18 ans en sont exclu·es. Dans la perspective de la fin de la condition de nationalité, que devient la journée d’appel? Comment se met en place le recensement de tous les jeunes de 15 ans pour le SNU ?

La frénésie de communication sur Twitter ou le partenariat avec la radio Skyrock pendant toute une semaine au mois de février ne lèvent pas les interrogations. Salut au drapeau, Marseillaise, défilé au pas, le tout dans la « convivialité » (sic), tout cela sème la confusion sur les intentions et les objectifs. On ne retient dans cette séquence que le simulacre de la geste militaire et l’obsession de l’ordre , appliqués à une jeunesse au comportement jugé potentiellement dangereux car désobéissant par essence et incivique par principe.

A cet égard, les analyses et les travaux de Bénédicte Chéron , maître de conférence (ICP) et spécialiste des questions qui touchent aux relations entre armées et sociétés, éclairent les enjeux politiques et les dangers d’un tel projet.

Non au SNU !

Il ne serait pas acceptable qu’une telle chose voie le jour ! Que ce gouvernement envisage de consacrer plusieurs milliards annuels au SNU est révélateur des priorités politiques qui l’animent. Même si des réunions ont déjà eu lieu dans les rectorats pour préparer la généralisation du SNU, même si la déléguée générale au SNU récemment nommée et ses deux adjoints ont prévu de nombreux déplacements dans les départements expérimentateurs, il est encore temps de renoncer.

Pour le SNES-FSU, Le SNU constitue une attaque en règle contre les principes même d’un système éducatif qui fait de l’émancipation par les savoirs le coeur de son organisation. Les jeunes ont besoin d’école, pas d’un dispositif de domestication qui dévoie les symboles de l’armée au profit d’un projet politique qui vise une fois de plus à affaiblir l’Education nationale.

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