Cette étude de documents montre à quel point les prescriptions de la réforme sont mal comprises par les collègues rédacteurs. Nous reprenons l’exemple qui a lancé le #cloclogate. Ce livre présentait trois textes documentaires sur le thème de la résistance électrique du corps humain et de l’électrocution. Une question de synthèse leur succédait.
La page était doublement estampillée :
– « EPI » (Enseignement Pratique Interdisciplinaire).
– « tâche complexe » : ce qui correspond à la nature de l’activité sur Claude François.

I « EPIphénomène »

La définition d’un EPI échappe aux professeurs rédacteurs ainsi qu’aux directeurs de la publication. Il ne s’agit pas d’une séance unique de travail sur un sujet, qui pourrait, à l’aune des anciens programmes, appartenir à un « thème de convergence » (1) entre deux disciplines. « Mobilisant au moins deux disciplines, ils permettent de construire et d’approfondir des connaissances et des compétences inscrites dans les différents programmes d’enseignement. Ils s’appuient sur une démarche de projet et conduisent à une réalisation concrète, individuelle ou collective. » d’après Eduscol.

Cette incompréhension de ce qu’est un EPI montre l’usine à gaz qu’il faudra mettre en place pour trouver des ensembles de points communs entre les disciplines qui permettent de travailler dans la durée sur un thème tout en traitant le programme. Dans cette série de cahiers, les collègues rédacteurs se sont emparés de miettes du programme de Sciences-Physiques qui pourraient se juxtaposer à une notion d’une autre discipline. Ont-ils vraiment cru œuvrer dans le sens de la réforme? Ou bien ont-ils baissé les bras face à l’ampleur de la tache? En tout cas, leurs activités n’ont d’EPI que le nom!

II Tâches complexes : écrasés par l’Everest des préconisations…

Depuis plusieurs années, les inspecteurs et formateurs prescrivent fortement la « tâche complexe contextualisée » que les collègues n’avaient pas réussi à illustrer en sciences-physiques dans les éditions récentes de manuels de collège. « La tâche complexe est une tâche mobilisant des ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu…) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires…) » d’après Eduscol. Les professeurs rédacteurs feraient donc des progrès en la matière. Encore faudrait-il que la contextualisation à tout va ne nous amène pas à des exemples d’aussi mauvais goût.
Par ailleurs, des questions se posent sur la forme et le fond scientifique. Quel est l’intérêt d’écrire: « D’après le rapport de police:
-la résistance de son corps était faible et a permis le passage d’une forte intensité;
– il était resté »collé » à l’applique, aggravant des dommages. »
Evidemment aucun rapport de police ne serait rédigé de la sorte. Parti d’un fait divers, nous voilà en pleine fiction scientifique. L’électrocution ne fait pas seulement appel à des phénomènes résistifs (loi d’Ohm à utiliser dans le corrigé). C’est d’ailleurs bien ce que l’on peut observer dans le doc.1 qui montre l’évolution de la résistance du corps humain en fonction de la tension. Les courbes seraient des droites horizontales si c’était le cas. Pour contextualiser à toute force, la simplification excessive des phénomènes fait glisser dans l’erreur scientifique.

« Itinéraire de découverte (IDD) », « Thèmes de convergences », « tâches complexes contextualisées », « démarche d’investigation (DI) », « Evaluation par compétences » et maintenant « EPI » sont autant de dispositifs ou de méthodes qui s’accumulent avant de passer de mode. Ils renouvellent les préconisations faites aux professeurs, les contraignent dans leur liberté pédagogique sans que les conditions de réussite des élèves ne soient réellement mises en place (car trop « coûteuses » tels que les petits groupes pour expérimenter en sciences).

Mais abandonnons Claude François, le médiatique, pour tourner les pages de cette série de cahiers d’activités. Quelles autres « taches complexes » nous propose-t-on? Des rêves de vie extra-terrestre sur la planète Kepler-452b qui a défaut de cacher des traces de SVT nécessite des calculs de niveau seconde! Et la charge d’une batterie de voiture qui met en jeu un pont de diodes! Le fameux pont de diodes qui faisaient tant peiner les élèves de 3e dans le programme de 1999 qu’il en a été évincé en 2008. L’Inspection Générale et les IA/IPR n’ont pourtant de cesse de rappeler aux collègues qu' »une tache complexe ne doit pas être une tache compliquée ». Comment peut-on en arriver à proposer à des élèves de collège des exercices aussi difficiles à résoudre? Peut-être, tout simplement, que les notions étudiées au collège ne permettent pas une « contextualisation » systématique, à la fois juste et abordable à ce niveau.

III « Pour traiter le programme dès la rentrée 2016 », vraiment?

La question se pose aussi de savoir sur quelle version du programme ont travaillé les auteurs. A ce jour, seule cette maison d’édition envoie des spécimens aux collègues pour le cycle 4. Or les chapitres 13 à 15 du cahier de 3e traitent de la tension alternative qui a disparu du programme. Quant au chapitre 5 du même niveau, il étudie les transformations nucléaires, partie du nouveau programme dont le SNES-FSU a obtenu l’allégement au Conseil Supérieur de l’Éducation.

Le problème de l’interprétation du programme se pose aussi clairement dans cette publication. Certains attendus sont trop flous. Jusqu’où doit-on approfondir l’étude de certaines notions? Si la décision a été prise de développer l’étude de la tension alternative chez Bordas, en contrepartie, l’étude du son est réduite à sa plus simple expression alors que d’autres collègues sur Eduscol se montrent extrêmement ambitieux. (cf. http://www.snes.edu/D-EPI-en-depit.html)

En 4ème aussi, deux taches complexes sont hors programme: à propos de la myopie d’Hubble et une affaire de chaussettes et de daltonisme. Comme elles sont labellisées EPI, on peut s’aventurer à penser qu’elles ont été inspirées par la liste d’EPI proposée dans le programme officiel. Il est dommage que ce soit justement des EPI qui ne sont reliés à aucune des notions du programme! (cf. http://www.snes.edu/Analyse-des-nouveaux-programmes-2015-de-Sciences-Physiques.html).

IV Manuels ou cahiers d’activité, un choix loin d’être anodin.

Enfin cette série de cahiers n’est pas une série de manuels puisque les Sciences-Physiques ne seront pas prioritaires pour l’achat de manuels au cycle 4. Espérons que cette année de délai permette la conception d’outils plus adaptés à l’enseignement du nouveau programme de Sciences-Physiques. Les éditions Bordas espèrent sans doute que les professeurs demanderont aux élèves d’acheter ces cahiers d’activité. Se pose dans ce cas la question de l’école publique gratuite.

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