Les déclarations du DGESCO à la presse laissent entrevoir une nouvelle conception des épreuves locales, qui sont présentées comme plus justes car standardisées au niveau national, sur le modèle de la banque de sujets des épreuves de compétences expérimentales (ECE en S et STL) ou les concours de recrutement des enseignants:
 » Il y aura plusieurs centaines de sujets  » susceptibles de tomber le jour de l’évaluation, promet Jean-Marc Huart. Il indique que le dispositif existe déjà pour les concours d’enseignants, avec une liste de leçons con-nues à l’avance et donc  » pas de surprise « . C’est  » une manière différente d’évaluer car les sujets sont con-nus « , c’est tout un processus de conception des sujets qui va changer.  » Aujourd’hui, les enseignants font remonter les sujets dans le cadre des directions des examens et concours des rectorats. Demain, avec une banque de sujets, on aura une forme d’industrialisation de la conception des sujets au niveau de l’administration centrale.  »

En vrai, la réalité est ailleurs …

L’impossible égalité de traitement
Dans le projet de réforme du baccalauréat (général et technologique), 30 % de la note finale reposerait sur trois séries d’épreuves communes de contrôle continu, organisées en 1ère (2 sessions) et en terminale (1 session). Celles-ci porteraient sur les disciplines de tronc commun (sauf français et philosophie ; l’enseignement scientifique ne serait évalué qu’une seule fois, en 1ère), et la spécialité abandonnée en fin de 1ère (une seule fois). Elles seraient organisées à l’échelle de chaque établissement, avec un  » anonymat  » des copies réduit à des échanges entre correcteurs du lycée ou éventuellement du bassin. Les sujets seraient choisis par chaque équipe, dans chaque lycée, au sein d’une banque nationale de sujets. Les évaluations seraient harmonisées académiquement.
Ces prétendues garanties d’égalité de traitement ne sont pourtant pas comparables à l’organisation d’épreuves finales avec jury anonyme, mixage des copies de tous les lycées, et sujet national.  » L’industrialisation de la conception des sujets  » sonne en fait comme un hommage du vice à la vertu. La bureaucratisation accrue du dispositif serait-elle donc le gage de l’égalité de traitement ? La nouvelle garantie de la valeur du d’un diplôme national ?

Qualifier d’anonymisation le protocole d’échange local de copies relève de l’escroquerie. Quelle que soit la configuration choisie, variable d’un lycée à l’autre, cela ne peut créer les conditions suffisantes de neutralité pour tendre vers une égalité de traitement entre les candidats.
Aucune banque de sujets, si bien faite soit-elle, ne pourra compenser le poids de l’arbitraire, engendré par le principe de l’organisation locale de l’examen. Cela suffit à donner prise aux  » réputations  » des établissements dans la valeur que les formations de l’enseignement supérieur accorderont au Baccalauréat.
L’organisation locale d’épreuves de contrôle continu est en soi une menace pour la crédibilité du baccalauréat comme diplôme (et examen) national.

La  » triche « , érigée en norme

En février dernier, un article du Guardian, quotidien britannique, titrait  » thousands of teachers caught cheating to improve exam results  » ( » des milliers d’enseignants pris en train de tricher pour améliorer les résultats des examens « ) . Les enseignants anglais sont-ils intrinsèquement malhonnêtes, quand les enseignants français seraient, eux, par nature honnête ? En réalité, ce sont les conditions d’organisation des examens, et de gestion des personnels, qui créent un contexte menant structurellement à la tentation de la triche de la part des enseignants.

La situation française n’est pas tout à fait comparable, puisqu’il n’y a pas de rémunération au mérite ni de recrutement local… pour l’instant. Cela dit, les enjeux d’orientation post-bac d’une part, et de concurrence entre établissements d’autre part, peuvent créer des conditions proches, amenant les collègues à communiquer à leurs élèves en amont les sujets d’épreuves ou plus simplement en orientant le travail de la classe en fonction du sujet qu’ils sauront devoir choisir. Et quand bien même les collègues  » tiendraient  » face à la tentation de tricher, l’organisation locale ne peut que déboucher sur des pressions externes sur l’évaluation, d’ailleurs constatées chaque année dans les épreuves locales de langues vivantes ; pressions des élèves, pressions des parents, pressions des chefs d’établissement, toutes poussant les enseignants à relever leurs notes. Il ne s’agit pas ici d’une transgression des règles d’éthique professionnelle mais, paradoxalement, d’une forme de loyauté vis à vis d’une institution exigeant de coller aux objectifs de performance et de concurrence.

La folie évaluative
Le Ministère explique également que ces épreuves de contrôle continu permettront d’éviter un trop fort  » bachotage  » des élèves à l’approche des épreuves finales du mois de juin. La multiplication du nombre d’épreuves entraînera, au contraire, l’inflation des pratiques de  » bachotage  » (au sens de révision intense formatée sur les sujets possibles). Et ce bachotage, au lieu d’être concentré sur les mois de mai/juin, se diffusera tout au long de l’année. Cette organisation favorise inévitablement l’effet  » teach to the test  » chez les enseignants eux-mêmes. Ils doivent préparer les élèves à une épreuve qui va arriver très vite dans l’année ; ils savent ou peuvent savoir assez facilement, et rapidement, sur quels sujets les élèves seront évalués (puisqu’ils contribuent à choisir lesdits sujets !). Le rythme des épreuves, et leur organisation locale, ne pourra qu’inciter les enseignants à formater leurs cours sur les évaluations, encore plus qu’aujourd’hui .
On peut aussi interroger les effets de cette organisation en termes de contenus de programmes et de nature des évaluations. Quand il faut avoir préparé les élèves à une épreuve qui arrive en fin de trimestre, on n’a pas le temps de développer des enjeux méthodologiques autour d’exercices complexes (du type dissertation) ; on n’attend pas des élèves une vision globale du programme, permettant de faire des liens entre ses différentes parties . Les épreuves communes de contrôle continu peuvent donc impliquer des programmes plus  » hachés  » encore qu’aujourd’hui, et des modes d’évaluation standardisés ne reposant pas sur la maîtrise de connaissances et de compétences complexes – mais rapides à corriger, par le développement de la dématérialisation des examens et des outils numériques.

L’obsolescence programmée
Dans sa communication officielle, le Ministère explique que cette réforme vise à  » simplifier un examen devenu trop complexe  » (la complexité étant illustrée par le fait qu’il y a  » 2900 sujets à préparer  » pour les épreuves finales). Cette complexité actuelle  » fragilise [l’]organisation  » de l’examen. Il ne semble pas difficile de montrer que la solution proposée est pire que le (soi-disant) mal. D’abord, cela aboutirait à un très grand nombre d’épreuves à passer (pour les élèves) et à organiser (pour les lycées) – on peut dénombrer de 18 à 23 épreuves communes, en fonction de la nature des épreuves, et sans compter l’EPS et les épreuves terminales. Ceci impliquera – pour alimenter les banques de sujet – la confection de très nombreux sujets. Si le MEN estime que le bac actuel  » pèse lourdement sur la vie des lycées « , on voit mal comment cela peut s’alléger quand chaque lycée devra organiser une session d’examen tous les 3 mois ! A moins que l’objectif ultime de cet échafaudage de réformes, du lycée à l’enseignement supérieur, ne soit d’étouffer à terme le premier grade universitaire sous le poids d’injonctions bureaucratiques, parfois contradictoires, et d’achever le projet d’un continuum de parcours individuels, où le Bac deviendrait sans objet, donc obsolète.

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