Mais en préalable, il faut sans doute « contextualiser » notre discussion. Elle intervient en effet après la suspension par le ministère du projet d’augmentation des temps de service des professeurs de CPGE (et non son annulation…), et assez rapidement après une période plutôt courte et intense de grèves, manifestations, protestations auprès de différents interlocuteurs administratifs et politiques.
Les discussions nombreuses qui ont eu lieu, dans les AG, par mails, à l’occasion des différents épisodes de protestation, ont soulevé beaucoup de sujets et révélés aussi des situations très différentes d’une académie à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une filière à l’autre, d’un collègue à l’autre. Cette mise à plat nous incite sans doute à aller plus loin, et cela d’autant plus que les attentes des personnes que nous avons rencontrées ont été exprimées, ainsi que celles de nombreux collègues : « et maintenant que faisons-nous ? Qu’avez-vous à proposer plutôt que de refuser la réforme ? Etc, etc… »

La question est aussi de savoir si nous devons proposer quelque chose ? Le faut-il ? Faut-il changer et si oui quoi ? Car après tout, c’est d’abord le ministère qui, par ses propositions et ses projets, nous a placés dans cette situation. Faut-il alors forcément vouloir faire fonctionner le « système prépa » autrement ?
Ces remarques préalables, que certains d’entre nous ont aussi formulées lors de la réunion, sont nécessaires semble-t-il, avant que de résumer le contenu de nos interventions que l’on peut par ailleurs regrouper en 3 axes :

– Axe 1 : défendre un statut spécifique ou pas ?

Il n’y a pas de statut en tant que tel de professeur en classes préparatoires aux grandes écoles qui ait été défini. Les professeurs de prépa sont titulaires des concours de l’enseignement secondaire, et même s’ils sont pour certains d’entre eux docteurs des Universités, c’est d’abord parce qu’ils sont lauréats de ces concours, et plus particulièrement de l’Agrégation, qu’ils enseignent en classes préparatoires. Leur recrutement est effectué en fonction de leurs états de services, par l’Inspection générale, après avoir fait acte de candidature. Ils sont évalués et notés par cette institution et par leurs chefs d’établissement. Leur progression dans la carrière dépend de ces évaluations. Cette progression se fait selon les mêmes grilles indiciaires que les professeurs de l’enseignement secondaire, à l’exception d’une partie d’entre eux qui obtient le statut de professeur de Chaire supérieure, un statut spécifique attribué là encore par l’Inspection générale.
Ils enseignent en lycée. Leurs obligations de service vont de 8 à 11 heures par semaine en fonction des effectifs des classes (plus ou moins de 35 élèves) et des niveaux d’enseignement (1ère ou 2ème année).
La question est donc de savoir si l’évaluation par l’Inspection générale, les obligations de service et la Chaire supérieure sont des éléments suffisants pour justifier la définition d’un statut spécifique ? Faut-il y ajouter d’autres caractéristiques ? Envisager, comme des collègues le demandent, l’application du statut de Chaire supérieure à l’ensemble des professeurs enseignants en classes préparatoires ?
Certains collègues soulignent que la définition d’un statut spécifique serait affaiblir notre situation puisque un corps de 8000 personnes ne pèse pas beaucoup par rapport à celui des 381 000 professeurs du Secondaire, et serait alors facile à supprimer si nécessaire…
D’autres ne souhaitent tout simplement pas d’un autre statut que celui qui est le leur aujourd’hui. Ils se considèrent comme faisant partie du corps de tous les professeurs de l’enseignement secondaire, même s’il s’agit pour eux d’un enseignement post-bac, préparant aux grandes écoles, enseignant à des étudiants, mais n’appartenant pas à l’Université.

– Axe 2 : quelle place pour les classes préparatoires entre Université et Lycée ?

La question d’un statut spécifique pose aussi celle de la place des enseignants de classes préparatoires dans le cadre de l’enseignement supérieur. Celui-ci a beaucoup évolué ces derniers temps, dans le cadre de la loi LRU mais aussi du fait d’une plus grande autonomie des Universités qui donne lieu à de nombreuses expérimentations : des PRAG/PRCE (professeurs agrégés/certifiés) sont recrutés parmi les enseignants diplômés de l’enseignement secondaire pour intervenir principalement en L1 et L2 ; des Maîtres de Conférence (le statut est remis en question) se voient proposer de choisir entre une « spécialisation enseignement », orientée principalement vers la Licence, ou une « spécialisation recherche » (en garantissant un nombre donné de publications) ; le nombre de Licences doit être réduit et recentré sur quelques disciplines « simples », sur le modèle d’une transdisciplinarité de filières Lettres, Sciences, Eco-Droit, qui n’est pas sans rappeler le principe de l’enseignement en classes préparatoires ; enfin, des expérimentations ont lieu dans certaines académies (Lyon-St Etienne ?) afin d’organiser les parcours des élèves sur le principe d’un enseignement de Bac – 3 à Bac + 3 qui réorganiserait programmes, formations et statuts des anciens autour de ces parcours…
Si l’on ajoute à cela l’obligation à venir d’un rattachement des lycées ayant des classes préparatoires à une Université, qui doit être mis en place avant la fin de cette année scolaire, il ne fait pas de doute que beaucoup d’éléments incitent à penser que le rapprochement Universités/prépas est un projet non-dit, mais un projet quand même. Par ailleurs, beaucoup de membres de l’Université réclament clairement et publiquement aujourd’hui la suppression du système des grandes écoles ou sa dissolution dans l’Université, au nom d’une exception française qui n’aurait plus lieu d’être, mais aussi du fait du coût de l’enseignement de prépa (14 000 euros par élève) par rapport à l’Université (9 000 euros par élève).
Certains ont exprimé le fait que l’intégration à l’Université pourrait être l’occasion pour les professeurs de prépa d’«apporter quelque chose » à cette institution, et notamment la compétence en termes d’enseignement, qui est parfois estimé comme étant le point faible de la fac, notamment dans les premières années. La question mérite d’être discutée sans doute, mais alors que deviendrait la relation qui est la notre aux élèves, les heures d’interrogation orale pour chaque étudiant (et la rémunération qui va avec pour les professeurs…) ? Comment perpétuer le système des devoirs blancs avant l’examen ? Tous ces éléments sont parmi les points forts de l’enseignement en prépa, et sont une garantie de la qualité de la formation, de ce qu’il ne faut pas avoir peur d’appeler l’élite des étudiants.
La crainte d’une baisse du niveau général de notre enseignement en passant des lycées à l’Université est forte, en perdant les moyens (heures enseignées, contrôle continu…) effectivement importants qui lui sont attribués, en « nivelant par le bas » pour le dire clairement, puisqu’il faut aussi reconnaître le peu de moyens dévolus aux étudiants en Licence notamment. Quant à l’écart de coûts entre un étudiant de prépas et un étudiant de l’Université, la question est posée en comparant les 42 000 euros du coût d’un élève qui cube pour entrer dans une grande école et les 45 000 euros d’un étudiant qui met 5 ans à entrer en Master…
Cela nous amène ainsi à la question de savoir, et de faire savoir ce que nous faisons « vraiment » en classes préparatoires ?

– Axe 3 : que sont les classes préparatoires aujourd’hui ?

Le compte-rendu de l’action du Ministère et de la réaction des professeurs et élèves de prépas dans les médias a été un choc pour beaucoup d’entre nous : « nantis travaillant pour des nantis… conservateurs, privilégiés… reproduction des élites… système traumatisant pour les élèves, instrument de soumission des individus… » ; on pourrait sans doute trouver beaucoup d’autres poncifs, d’autres représentations, d’autres fantasmes plus délirants les uns que les autres sur ce que serait le « système prépas » en 2013.
Peu de médias ont relayé par ailleurs la réalité de ce que nous vivons pour la très grande majorité des élèves et des professeurs dans nos classes aujourd’hui. Peu ont évoqué les 30 % de boursiers dans les établissements (34 % au lycée Malherbe, 39 % dans la filière littéraire), la promotion effectuée pour les classes prépas dans les « petits » lycées des Académies, auprès d’élèves qui pensent ne pas être capables d’« oser la prépa », le suivi quasi-quotidien des élèves, en dehors des cours, par mail, sur les Espaces Numériques de Travail, par textos, parfois sur les réseaux sociaux, pour la communication des documents, des informations pour les concours, les révisions, l’orientation, les copies à corriger, les cours renouvelés chaque année pour autant de programmes que de concours parfois…
Beaucoup de collègues ont rendu compte de situations parfois très complexes, de classes multipliées, de groupes réunissant plusieurs niveaux pour maintenir l’enseignement des options, et cela particulièrement dans les « petites prépas » ou les « petites disciplines » en effectifs, et montrant la très grande diversité des statuts « réels » des uns et des autres derrière l’appellation « profs de prépas » dont on ne retient souvent que les situations les plus avantageuses, si tant est que faire l’équivalent de 2 postes, dont 1 en heures sup., est une situation avantageuse…
Il apparaît à beaucoup d’entre nous qu’avant de proposer, de revendiquer, il faut avant tout faire connaître ce qu’est l’enseignement en classes préparatoires :

• La préparation des cours, leur remise en question régulière, que les programmes changent ou pas

• L’évaluation permanente de nos enseignements, et de nos établissements à travers les résultats des élèves, en colles, en devoirs, lors des concours blancs et évidemment des « vrais » concours (les concours noirs ?)

• L’adaptation à de nouveaux publics d’élèves, plus diversifiés, donc plus exigeants (dont beaucoup sont loin d’être soumis !) et à qui même nous apprenons souvent à se questionner, se remettre en question, et nous avec, puisque nous l’avons bien cherché…

• Le suivi permanent, et attentif le plus souvent, de nos élèves, au-delà de nos cours et au-delà du bout du couloir

• La promotion de nos établissements, nos filières, nos classes dans nos établissements et en dehors, et partout dans nos académies

• La réussite que nous offrons à des élèves de faible extraction sociale, boursiers, dont on connait par ailleurs la discrimination qu’ils peuvent subir à l’Université, au cours des premières années d’enseignement, comme le montrent régulièrement les statistiques, et cela de plus en plus

• …

Plus que de proposer, les attaques ministérielles et médiatiques, nous montrent qu’il est sans doute nécessaire de se défendre, et de défendre ce « système » et ce qu’il est aujourd’hui, et son état d’esprit, à savoir un enseignement qui prône l’excellence, qui s’acquiert par les efforts, le travail, qui défend les savoirs disciplinaires, et qui fait réussir les étudiants dans une proportion très forte ; un système qui marche.
Et s’il existe des inégalités, c’est peut-être avant tout entre nous qu’elles se trouvent, entre enseignants de classes préparatoires, entre établissements et entre académies. Mais cela relève d’un autre débat que celui qui nous a mis dans la rue nous semble-t-il ; un débat qu’il faudra peut-être ouvrir un jour, mais pour lequel il existe sans doute déjà beaucoup d’outils à la disposition des établissements (définir les dotations horaires en conseil d’établissements, améliorer le quotidien des professeurs et des élèves), de l’Inspection générale (promouvoir les carrières, les horaires des enseignements, les programmes), du Ministère (limiter le nombre d’heures supplémentaires, créer des postes et des classes !) et des syndicats (demander à intervenir davantage dans les commissions paritaires, notamment dans celle des Chaires Sup !) et que tout ce petit monde se voit un peu plus souvent, dans la transparence, en associant les associations (voilà une belle revendication : « associer les associations ») et l’on pourra peut-être éviter une semaine de grève, des AG à répétition, les tensions et la fatigue qui va avec, et dont franchement on pourrait se passer, tout en continuant à faire évoluer notre métier, nos statuts, notre « système ».

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