Nous avons voulu en savoir plus sur un article qui doit être sérieux puisqu’il est relayé par un Inspecteur général. Spoiler : un article de sciences cognitives peut aussi (voire avant tout) être pensé pour apporter un vernis scientifique au marketing d’une entreprise du numérique.

Une découverte étonnante en sciences cognitives…

M. Lahaye, IGESR qui occupe le poste de « sous-directeur des savoirs fondamentaux et des parcours scolaires  » à la Direction générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO), semble enthousiaste suite à la lecture d’un article de mars 2023 intitulé « An astonishing regularity in student learning rate » et publié dans « Psychological and cognitive sciences »1. A en croire leur titre, les auteurs sont donc « étonnés » par les résultats de leur propre étude : après « 1,3 millions d’observations », à force d’équations, de courbes et de graphiques, leur conclusion est sans appel : plus on s’entraîne à un test, plus on a de chance de le réussir !

S’agit-il de la découverte disruptive du siècle ? Dans les faits, cela rappelle les grandes heures bien dépassées du behaviorisme à la B.F. Skinner : des apprentissages permis par la mise en conformité de comportements, permettant d’obtenir une récompense. Une théorie dans laquelle le contexte de l’apprentissage, qu’il soit individuel ou collectif (social, matériel, psychologique, culture, etc.) est globalement minoré, voire ignoré.

Or la conformité d’un comportement immédiat ne signifie pas mécaniquement apprentissage profond et durable. Et même les techniques d’enseignement les plus originales et/ou rigoureuses ne peuvent compenser substantiellement les effets des inégalités des conditions (matérielles, sociales, etc.) d’apprentissage.

Revenons à notre article. Il conclut que « si les conditions d’apprentissage sont favorables à l’engagement et si l’apprenant s’engage suffisamment dans les opportunités d’apprentissage qui lui sont offertes, tout le monde peut apprendre ce qu’il veut.2 ». Un optimisme de la volonté que le SNES-FSU aurait du mal à ne pas partager, étant donné le mandat qui est le sien depuis longtemps : l’accès de toutes et tous à une culture commune émancipatrice !

Mais quelles sont ces « favorable learning conditions » ? Des bâtiments décents, sans trou dans les murs, ni rats ? Des élèves qui n’ont pas faim en arrivant ? Des effectifs de classe décents ? Des personnels respectés en tant qu’experts de leur métier, en nombre suffisant et bien payés ? Non, pour les auteurs de l’article, il s’agit d’une « variété de technologies de pratique interactive en ligne bien conçues3  !

Voilà donc la solution à tous les maux de l’éducation : des élèves mis devant des écrans, répétant des exercices jusqu’à donner la bonne réponse ! Un rêve ? Un cauchemar plutôt. Mais l’article nous rassure en précisant qu’il faudra quand même des humains pour motiver les élèves. Des personnels enseignants ? Du « human tutoring », laissé sans définition, fera bien l’affaire. L’affaire de qui ?

… pour servir les intérêts de la Edtech

Pourquoi des scientifiques vantent-ils de telles perspectives ? Trois des quatre auteurs et autrices font partie du « Human-Computer Interaction Institute » à la Carnegie Mellon University à Pittsburg aux États-Unis. Une sorte de temple de la numérisation totale de l’enseignement, mais avec « l’humain au centre » (qui en douterait ?)4.

La dernière autrice, ancienne de la même université, travaille aujourd’hui pour Amira Learning. Il s’agit d’une entreprise de la EdTech, qui, étonnamment, propose une application permettant aux élèves d’apprendre seuls à lire devant un écran, grâce l’IA ! Mais avec des « tuteurs humains », rassurons-nous !

Inversement, un simple coup d’oeil au site de l’entreprise montre que parmi ses « partenaires scientifiques », parmi les recherches démontrant que son application permet des apprentissages fondés sur des preuves scientifiques, on trouve la Carnegie Mellon University.5

Voilà donc comment une étude en sciences cognitives apporte sa caution scientifique à une entreprise du numérique qui veut remplacer les enseignant-es par des personnels assistant des machines, elles-mêmes dopées par l’IA. Cette conjonction d’intérêts économiques, managériaux et même idéologiques devrait alerter jusqu’aux plus hauts responsables de la mise en oeuvre des politiques éducatives.

1 Consultable en accès libre ici : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2221311120

2 « given favorable learning conditions for deliberate practice and given the learner invests effort in sufficient learning opportunities, indeed, anyone can learn anything they want »

3 « variety of well-designed interactive online practice technologies »

4 Voir leur site ici : https://www.hcii.cmu.edu/

5 https://www.amiralearning.com/research.html

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